Jean-Baptiste Poquelin dit Molière dans le Malade Imaginaire, créé en 1673, met en scène Argan, un hypocondriaque qui souhaite marier sa fille à un médecin afin d’assurer sa propre surveillance médicale. Son dévolu s’est porté vers Thomas Diafoirus, le fils de Monsieur Diafoirus et neveu de Monsieur Purgon, son médecin attitré. Dans l’acte II scène 5, M. Diafoirus et son fils viennent rencontrer Argan et Angélique. Thomas Diafoirus présente ses hommages à Argan et Angélique.
Problématique
Comment les personnages caricaturaux des Diafoirus permet-il à Molière de dresser la satire des médecins ?
I. La stupidité de Thomas Diafoirus
a) Ridiculisé par son père
Thomas est bête, stupide, son père le dit sans détour: « il n’a jamais eu l’imagination bien vive » (l.98, 99), « ni ce feu de l’esprit que l’on remarque chez quelques uns » (l. 99) , « il n’a jamais été ce qu’on appelle mièvre et éveillé »(l.102). Des hyperboles « on eut toutes les peines du monde à lui apprendre à lire » (l.105, 106), « il avait neuf ans, qu’il ne connaissait pas encore ses lettres » (l.106) viennent renforcer la simplicité d’esprit de Thomas. Son père le qualifie « d’arbres tardifs » (l.108), explique que « à force de battre le fer »(l.116), il a obtenu sa licence, ce qui confirme la stupidité de Thomas.
On apprend aussi que Thomas est borné : « il s’attache aveuglément aux opinions de nos anciens et que jamais il n’a voulu comprendre les prétendues découvertes de notre siècle » (l.126). En plus d’être stupide, il est aussi borné car il ne veut pas admettre des résultats prouvés scientifiquement. Tout le discours du père est truffé de négations « ni ce feu de l’esprit » (l. 99), « il ne connaissait pas encore ses lettres » (l.106), « il n’a jamais eu l’imagination bien vive », « il n’a jamais été ce qu’on appelle mièvre et éveillé » (l.102), « ne disant jamais mot et ne jouant jamais » (l.104), « jamais il n’a voulu comprendre les prétendues découvertes » (l.127). Ces négations mettent en relation l’absence de toute qualité chez Thomas. On apprend enfin qu’à la faculté, Thomas va « argumenter à outrance pour la proposition contraire » (l.121). C’est un contradicteur qui ne cherche pas à comprendre, donc imbécile.
M. Diafoirus, venu faire l’éloge de son fils, obtient l’effet contraire. En pensant mettre Thomas en valeur par sa « persévérance » au travail, il ne fait que décrédibiliser Thomas en avouant son évidente stupidité. Ce manque de discernement de la part du père suffit à le ridiculiser lui-aussi.
b) Thomas, ridicule à lui tout seul
Il met en évidence sa stupidité : « tirant une grande thèse » (l.130)qui n’est en fait qu’une simple affiche, « des prémices de mon esprit »(l.134): il est orgueilleux alors qu’on a vu qu’il était stupide. Il soutient une thèse contre les partisans de la circulation du sang dans les veines alors que ceux-ci ont prouvés scientifiquement leur thèse. Sa démarche est stupide et inutile.
Il est très maladroit avec les femmes. Il propose deux cadeaux à Angélique: « j’ai contre les circulateurs soutenu une thèse, qu’avec la permission de monsieur, j’ose présenter à mademoiselle » (l.131) , « je vous invite à venir voir l’un de ces jours[…] la dissection d’une femme » (l.139), mais celle-ci s’en moque complètement. Ses offres sont déplacées « Monsieur, c’est pour moi un meuble inutile » (l.135), et elle ne prend pas la peine de répondre à la deuxième offre; il y a du mépris d’Angélique vis à vis de Thomas. Toinette elle, répond à Thomas alors que ce n’est pas son rôle « Donnez, donnez, elle est toujours bonne à prendre pour l’image. Cela servira à parer notre chambre » (l.137), « il y en a qui donne la comédie à leur maîtresse, mais donner une dissection est quelque chose de plus galant » (l.142), cela marque de l'ironie de la part de Toinette. Après avoir été ridiculisé par son père, Thomas s’attire le mépris d’Angélique et de Toinette qui renforce le comique de la scène par son ironie.
Conclusion: Thomas Diafoirus, que ce soit à travers le portrait que son père fait de lui ou à travers ses propres répliques, apparaît comme un individu stupide et borné. Il se rend ridicule aux yeux de sa fiancé et discrédite les médecins.
II. Une médecine formaliste et rétrograde
a) Formaliste
Quand Toinette affirme « ils sont bien impertinents de vouloir que, vous autres, messieurs, vous les guérissiez ! […] vous n’y êtes que pour recevoir vos pensions et leur ordonner des remèdes ; c’est à eux de guérit s’ils le peuvent. » (l.164), M. Diafoirus répond « Cela est vrai. On n’est obligé qu’à traiter les gens dans les formes. » (l.169). Les médecins exercent donc sans se soucier des différents cas de maladie ni même de leurs patients; ils sont stupides et formalistes.
« Pourvu que l’on suive le courant des règles de l’art » (l.158): la médecine n’a aucune valeur, elle est appliquée comme un automatisme.
b) Rétrograde
Leur formalisme « on n’est obligé de soigner les gens que dans les formes » (l.169), «pourvu que l’on suive le courant des règles de l’art » (l.158) les laisse dans le passé.
« s’attache aveuglément aux opinions de nos anciens » (l.126): les médecins se sentent supérieur car ils refusent le progrès. « jamais il n’a voulu comprendre les prétendues découvertes de notre siècle » (l.127): c'est un refus en bloc.
Conclusion: les médecins sont présentés comme des incompétents, des marionnettes qui suivent aveuglement des préceptes archaïques et prônent des aberrations scientifiques. La vision de la médecine que donne ce texte ce rapproche d’une citation tirée de Dom Juan « l’art est pure grimace ».
III. Des médecins cupides et cyniques
a) Cupidité
Ils sont auprès de leurs patients uniquement pour leur argent « vous n’y êtes que pour recevoir vos pensions » (l.166) . Eux-mêles sont avides d’argent « Cela est vrai » (l.169), « le public est commode » (l.157), ce qui sous entend que le « peuple » est une manne financière facile.
b) Cynisme
Ils n’ont aucune déontologie et aucune honte à le faire savoir « Vous n’avez pas à répondre de vos actions » ( l.157), « ils veulent absolument que leurs médecins les guérissent » (l.162), « on n’est obligé à traiter les gens que dans les formes » (l.169).
Leur cynisme est renforcé par l’ironie dont fait preuve Toinette « ils sont bien impertinents, de vouloir que vous autres, messieurs, vous les guerissiez » (l.164) alors que ce sont des médecins, « c’est à eux à guérir s’ils peuvent » (l.168).
Conclusion: la médecine est complètement discréditée par la cupidité et le cynisme dont fait preuve M. Diafoirus.
Conclusion
Cette scène de rencontre entre Angélique et son prétendant, qui se solde par un échec, vise surtout à travers les personnages des Diafoirus père et fils, à dénoncer le danger que représente les médecins par leur incompétence, leur prétention, leur formalisme, leur attachement stupide à des préceptes archaïques, et leur cupidité. Cette scène est une satire de la médecine.