Molière, Le Malade imaginaire - Acte II, scène 5

Commentaire composé en trois parties.

Dernière mise à jour : 02/04/2022 • Proposé par: jblefou (élève)

Texte étudié

MONSIEUR DIAFOIRUS, THOMAS DIAFOIRUS, ARGAN, ANGELIQUE, CLEANTE, TOINETTE, LAQUAIS.

ARGAN, mettant la main à son bonnet, sans l'ôter.
Monsieur Purgon, monsieur, m'a défendu de découvrir ma tête. Vous êtes du métier: vous savez les conséquences.

MONSIEUR DIAFOIRUS
Nous sommes dans toutes nos visites pour porter secours aux malades, et non pour leur porter de l'incommodité.

(Ils parlent tous deux en même temps, s'interrompant et confondant.)

ARGAN
Je reçois, monsieur...

MONSIEUR DIAFOIRUS
Nous venons ici, monsieur...

ARGAN
Avec beaucoup de joie...

MONSIEUR DIAFOIRUS
Mon fils Thomas et moi...

ARGAN
L'honneur que vous me faites...

MONSIEUR DIAFOIRUS
Vous témoigner, monsieur...

ARGAN
Et j'aurais souhaité...

MONSIEUR DIAFOIRUS
Le ravissement où nous sommes...

ARGAN
De pouvoir aller chez vous...

MONSIEUR DIAFOIRUS
De la grâce que vous nous faites...

ARGAN
Pour vous en assurer.

MONSIEUR DIAFOIRUS
De vouloir bien nous recevoir...

ARGAN
Mais vous savez, monsieur...

MONSIEUR DIAFOIRUS
Dans l'honneur, monsieur...

ARGAN
Ce que c'est qu'un pauvre malade...

MONSIEUR DIAFOIRUS
De votre alliance...

ARGAN
Qui ne peut faire autre chose...

MONSIEUR DIAFOIRUS
Et vous assurer...

ARGAN
Que de vous dire ici...

MONSIEUR DIAFOIRUS
Que dans les choses qui dépendront de notre métier...

ARGAN
Qu'il cherchera toutes les occasions...

MONSIEUR DIAFOIRUS
De même qu'en toute autre...

ARGAN
De vous faire connaître, monsieur...

MONSIEUR DIAFOIRUS
Nous serons toujours prêts, monsieur...

ARGAN
Qu'il est tout à votre service.

MONSIEUR DIAFOIRUS
A vous témoigner notre zèle. (Il se retourne vers son fils et lui dit.) Allons, Thomas, avancez. Faites vos compliments.

THOMAS DIAFOIRUS est un grand benêt nouvellement sorti des écoles, qui fait toutes choses de mauvaise grâce et à contretemps.)
N'est-ce pas par le père qu'il convient de commencer.

MONSIEUR DIAFOIRUS
Oui.

THOMAS DIAFOIRUS
Monsieur, je viens saluer, reconnaître, chérir et révérer en vous un second père, mais un second père auquel j'ose dire que je me trouve plus redevable qu'au premier. Le premier m'a engendré; mais vous m'avez choisi. Il m'a reçu par nécessité; mais vous m'avez accepté par grâce. Ce que je tiens de lui est un ouvrage de son corps; mais ce que je tiens de vous est un ouvrage de votre volonté; et, d'autant plus que les facultés spirituelles sont au-dessus des corporelles, d'autant plus je vous dois, et d'autant plus je tiens précieuse cette future filiation, dont je viens aujourd'hui vous rendre, par avance, les très humbles et très respectueux hommages.

TOINETTE
Vivent les collèges d'où l'on sort si habile homme!

THOMAS DIAFOIRUS
Cela a-t-il bien été, mon père?

MONSIEUR DIAFOIRUS
Optime.

ARGAN, à Angélique.
Allons, saluez monsieur.

THOMAS DIAFOIRUS
Baiserai-je?

MONSIEUR DIAFOIRUS
Oui, oui.

THOMAS DIAFOIRUS, à Angélique.
Madame, c'est avec justice que le ciel vous a concédé le nom de belle-mère, puisque l'on...

ARGAN
Ce n'est pas ma femme, c'est ma fille à qui vous parlez.

THOMAS DIAFOIRUS
Où donc est-elle?

ARGAN
Elle va venir.

THOMAS DIAFOIRUS
Attendrai-je, mon père, qu'elle soit venue?

MONSIEUR DIAFOIRUS
Faites toujours le compliment de mademoiselle.

THOMAS DIAFOIRUS
Mademoiselle, ne plus ne moins que la statue de Memnon rendait un son harmonieux lorsqu'elle venait à être éclairée des rayons du soleil, tout de même me sens-je animé d'un doux transport à l'apparition du soleil de vos beautés et, comme les naturalistes remarquent que la fleur nommée héliotrope tourne sans cesse vers cet astre du jour, aussi mon coeur dores-en-avant tournera-t-il toujours vers les astres resplendissants de vos yeux adorables, ainsi que vers son pôle unique. Souffrez donc, mademoiselle, que j'appende aujourd'hui à l'autel de vos charmes l'offrande de ce coeur qui ne respire et n'ambitionne autre gloire que d'être toute sa vie, mademoiselle, votre très humble, très obéissant, et très fidèle serviteur et mari.

TOINETTE, en le raillant.
Voilà ce que c'est que d'étudier! on apprend à dire de belles choses.

ARGAN
Eh! que dites-vous de cela?

CLEANTE
Que monsieur fait merveilles et que, s'il est aussi bon médecin qu'il est bon orateur, il y aura plaisir à être de ses malades.

TOINETTE
Assurément . Ce sera quelque chose d'admirable, s'il fait d'aussi belles cures qu'il fait de beaux discours.

ARGAN
Allons, vite, ma chaise, et des sièges à tout le monde. Mettez-vous là, ma fille. Vous voyez, monsieur, que tout le monde admire monsieur votre fils; et je vous trouve bien heureux de vous voir un garçon comme cela.

MONSIEUR DIAFOIRUS
Monsieur, ce n'est pas parce que je suis son père; mais je puis dire que j'ai sujet d'être content de lui, et que tous ceux qui le voient, en parlent comme d'un garçon, qui n'a point de méchanceté. Il n'a jamais eu l'imagination bien vive, ni ce feu d'esprit qu'on remarque dans quelques-uns; mais c'est par là que j'ai toujours bien auguré de sa judiciaire, qualité requise pour l'exercice de notre art. Lorsqu'il était petit, il n'a jamais été ce qu'on appelle mièvre et éveillé. On le voyait toujours doux, paisible et taciturne, ne disant jamais mot, et ne jouant jamais à tous ces petits jeux que l'on nomme enfantins. On eut toutes les peines du monde à lui apprendre à lire; et il avait neuf ans, qu'il ne connaissait pas encore ses lettres. Bon, disais-je en moi-même: les arbres tardifs sont ceux qui portent les meilleurs fruits. On grave sur le marbre bien plus malaisément que sur le sable; mais les choses y sont conservées bien plus longtemps; et cette lenteur à comprendre, cette pesanteur d'imagination, est la marque d'un bon jugement à venir. Lorsque je l'envoyai au collège, il trouva de la peine; mais il se raidissait contre les difficultés; et ses régents se louaient toujours à moi de son assiduité et de son travail. Enfin, à force de battre le fer, il en est venu glorieusement à avoir ses licences; et je puis dire, sans vanité que, depuis deux ans qu'il est sur les bancs, il n'y a point de candidat qui ait fait plus de bruit que lui dans toutes les disputes de notre école. I1 s'y est rendu redoutable; et il ne s'y passe point d'acte où il n'aille argumenter à outrance pour la proposition contraire. Il est ferme dans la dispute, fort comme un Turc sur ses principes, ne démord jamais de son opinion, et poursuit un raisonnement jusque dans les derniers recoins de la logique. Mais, sur toute chose, ce qui me plaît en lui, et en quoi il suit mon exemple, c'est qu'il s'attache aveuglément aux opinions de nos anciens, et que jamais il n'a voulu comprendre ni écouter les raisons et les expériences des prétendues découvertes de notre siècle touchant la circulation du sang et autres opinions de même farine.

THOMAS DIAFOIRUS, tirant de sa poche une grande thèse roulée, qu'il présente à Angélique.
J'ai, contre les circulateurs, soutenu une thèse, qu'avec la permission de monsieur, j'ose présenter à mademoiselle, comme un hommage que je lui dois des prémices de mon esprit.

ANGELIQUE
Monsieur, c'est pour moi un meuble inutile, et je ne me connais pas à ces choses-là.

TOINETTE
Donnez, donnez. Elle est toujours bonne à prendre pour l'image: cela servira à parer notre chambre.

THOMAS DIAFOIRUS
Avec la permission aussi de monsieur, je vous invite à venir voir, l'un de ces jours, pour vous divertir, la dissection d'une femme, sur quoi je dois raisonner.

TOINETTE
Le divertissement sera agréable. Il y en a qui donnent la comédie à leurs maîtresses; mais donner une dissection est quelque chose de plus galant.

MONSIEUR DIAFOIRUS
Au reste, pour ce qui est des qualités requises pour le mariage et la propagation, je vous assure que, selon les règles de nos docteurs, il est tel qu'on le peut souhaiter; qu'il possède en un degré louable la vertu prolifique, et qu'il est du tempérament qu'il faut pour engendrer et procréer des enfants bien conditionnés.

ARGAN
N'est-ce pas votre intention, monsieur, de le pousser à la cour, et d'y ménager pour lui une charge de médecin?

MONSIEUR DIAFOIRUS
A vous en parler franchement, notre métier auprès des grands ne m'a jamais paru agréable; et j'ai toujours trouvé qu'il valait mieux pour nous autres demeurer au public. Le public est commode. Vous n'avez à répondre de vos actions à personne; et, pourvu que l'on suive le courant des règles de l'art, on ne se met point en peine de tout ce qui peut arriver. Mais ce qu'il y a de fâcheux auprès des grands, c'est que, quand ils viennent à être malades, ils veulent absolument que leurs médecins les guérissent.

TOINETTE
Cela est plaisant! et ils sont bien impertinents de vouloir que, vous autres messieurs, vous les guérissiez. Vous n'êtes point auprès d'eux pour cela; vous n'y êtes que pour recevoir vos pensions et leur ordonner des remèdes; c'est à eux à guérir s'ils peuvent.

MONSIEUR DIAFOIRUS
Cela est vrai. On n'est obligé qu'à traiter les gens dans les formes.

[...]

Molière, Le Malade imaginaire - Acte II, scène 5

Jean-Baptiste Poquelin dit Molière dans le Malade Imaginaire, créé en 1673, met en scène Argan, un hypocondriaque qui souhaite marier sa fille à un médecin afin d’assurer sa propre surveillance médicale. Son dévolu s’est porté vers Thomas Diafoirus, le fils de Monsieur Diafoirus et neveu de Monsieur Purgon, son médecin attitré. Dans l’acte II scène 5, M. Diafoirus et son fils viennent rencontrer Argan et Angélique. Thomas Diafoirus présente ses hommages à Argan et Angélique.

Problématique

Comment les personnages caricaturaux des Diafoirus permet-il à Molière de dresser la satire des médecins ?

I. La stupidité de Thomas Diafoirus

a) Ridiculisé par son père

Thomas est bête, stupide, son père le dit sans détour: « il n’a jamais eu l’imagination bien vive » (l.98, 99), « ni ce feu de l’esprit que l’on remarque chez quelques uns » (l. 99) , « il n’a jamais été ce qu’on appelle mièvre et éveillé »(l.102). Des hyperboles « on eut toutes les peines du monde à lui apprendre à lire » (l.105, 106), « il avait neuf ans, qu’il ne connaissait pas encore ses lettres » (l.106) viennent renforcer la simplicité d’esprit de Thomas. Son père le qualifie « d’arbres tardifs » (l.108), explique que « à force de battre le fer »(l.116), il a obtenu sa licence, ce qui confirme la stupidité de Thomas.

On apprend aussi que Thomas est borné : « il s’attache aveuglément aux opinions de nos anciens et que jamais il n’a voulu comprendre les prétendues découvertes de notre siècle » (l.126). En plus d’être stupide, il est aussi borné car il ne veut pas admettre des résultats prouvés scientifiquement. Tout le discours du père est truffé de négations « ni ce feu de l’esprit » (l. 99),  « il ne connaissait pas encore ses lettres » (l.106), « il n’a jamais eu l’imagination bien vive », « il n’a jamais été ce qu’on appelle mièvre et éveillé » (l.102), « ne disant jamais mot et ne jouant jamais » (l.104), « jamais il n’a voulu comprendre les prétendues découvertes » (l.127). Ces négations mettent en relation l’absence de toute qualité chez Thomas. On apprend enfin qu’à la faculté, Thomas va « argumenter à outrance pour la proposition contraire » (l.121). C’est un contradicteur qui ne cherche pas à comprendre, donc imbécile.

M. Diafoirus, venu faire l’éloge de son fils, obtient l’effet contraire. En pensant mettre Thomas en valeur par sa « persévérance » au travail, il ne fait que décrédibiliser Thomas en avouant son évidente stupidité. Ce manque de discernement de la part du père suffit à le ridiculiser lui-aussi.

b) Thomas, ridicule à lui tout seul

Il met en évidence sa stupidité : « tirant une grande thèse » (l.130)qui n’est en fait qu’une simple affiche, « des prémices de mon esprit »(l.134): il est orgueilleux alors qu’on a vu qu’il était stupide. Il soutient une thèse contre les partisans de la circulation du sang dans les veines alors que ceux-ci ont prouvés scientifiquement leur thèse. Sa démarche est stupide et inutile.

Il est très maladroit avec les femmes. Il propose deux cadeaux à Angélique: « j’ai contre les circulateurs soutenu une thèse, qu’avec la permission de monsieur, j’ose présenter à mademoiselle » (l.131) , « je vous invite à venir voir l’un de ces jours[…] la dissection d’une femme » (l.139), mais celle-ci s’en moque complètement. Ses offres sont déplacées « Monsieur, c’est pour moi un meuble inutile » (l.135), et elle ne prend pas la peine de répondre à la deuxième offre; il y a du mépris d’Angélique vis à vis de Thomas. Toinette elle, répond à Thomas alors que ce n’est pas son rôle « Donnez, donnez, elle est toujours bonne à prendre pour l’image. Cela servira à parer notre chambre » (l.137), « il y en a qui donne la comédie à leur maîtresse, mais donner une dissection est quelque chose de plus galant » (l.142), cela marque de l'ironie de la part de Toinette. Après avoir été ridiculisé par son père, Thomas s’attire le mépris d’Angélique et de Toinette qui renforce le comique de la scène par son ironie.

Conclusion: Thomas Diafoirus, que ce soit à travers le portrait que son père fait de lui ou à travers ses propres répliques, apparaît comme un individu stupide et borné. Il se rend ridicule aux yeux de sa fiancé et discrédite les médecins.

II. Une médecine formaliste et rétrograde

a) Formaliste

Quand Toinette affirme «  ils sont bien impertinents de vouloir que, vous autres, messieurs, vous les guérissiez ! […] vous n’y êtes que pour recevoir vos pensions et leur ordonner des remèdes ; c’est à eux de guérit s’ils le peuvent. » (l.164), M. Diafoirus répond « Cela est vrai. On n’est obligé qu’à traiter les gens dans les formes. » (l.169). Les médecins exercent donc sans se soucier des différents cas de maladie ni même de leurs patients; ils sont stupides et formalistes.

« Pourvu que l’on suive le courant des règles de l’art » (l.158): la médecine n’a aucune valeur, elle est appliquée comme un automatisme.

b) Rétrograde

Leur formalisme « on n’est obligé de soigner les gens que dans les formes » (l.169), «pourvu que l’on suive le courant des règles de l’art » (l.158) les laisse dans le passé.

« s’attache aveuglément aux opinions de nos anciens » (l.126): les médecins se sentent supérieur car ils refusent le progrès. « jamais il n’a voulu comprendre les prétendues découvertes de notre siècle » (l.127): c'est un refus en bloc.

Conclusion: les médecins sont présentés comme des incompétents, des marionnettes qui suivent aveuglement des préceptes archaïques et prônent des aberrations scientifiques. La vision de la médecine que donne ce texte ce rapproche d’une citation tirée de Dom Juan « l’art est pure grimace ».

III. Des médecins cupides et cyniques

a) Cupidité

Ils sont auprès de leurs patients uniquement pour leur argent « vous n’y êtes que pour recevoir vos pensions » (l.166) . Eux-mêles sont avides d’argent « Cela est vrai » (l.169), « le public est commode » (l.157), ce qui sous entend que le « peuple » est une manne financière facile.

b) Cynisme

Ils n’ont aucune déontologie et aucune honte à le faire savoir « Vous n’avez pas à répondre de vos actions » ( l.157), « ils veulent absolument que leurs médecins les guérissent » (l.162), « on n’est obligé à traiter les gens que dans les formes » (l.169).

Leur cynisme est renforcé par l’ironie dont fait preuve Toinette « ils sont bien impertinents, de vouloir que vous autres, messieurs, vous les guerissiez » (l.164) alors que ce sont des médecins, « c’est à eux à guérir s’ils peuvent » (l.168).

Conclusion: la médecine est complètement discréditée par la cupidité et le cynisme dont fait preuve M. Diafoirus.

Conclusion

Cette scène de rencontre entre Angélique et son prétendant, qui se solde par un échec, vise surtout à travers les personnages des Diafoirus père et fils, à dénoncer le danger que représente les médecins par leur incompétence, leur prétention, leur formalisme, leur attachement stupide à des préceptes archaïques, et leur cupidité. Cette scène est une satire de la médecine.