Molière, L'Ecole des femmes - Acte I, scène 1

Fiche qui répond à la problématique : "En quoi cette scène d'exposition est elle réussie ?"

Dernière mise à jour : 15/09/2021 • Proposé par: evaleah (élève)

Texte étudié

Arnolphe.

Épouser une sotte est pour n’être point sot.
Je crois, en bon chrétien, votre moitié fort sage ;
Mais une femme habile est un mauvais présage ;
Et je sais ce qu’il coûte à de certaines gens
Pour avoir pris les leurs avec trop de talents.
Moi, j’irais me charger d’une spirituelle
Qui ne parlerait rien que cercle et que ruelle,
Qui de prose et de vers ferait de doux écrits,
Et que visiteraient marquis et beaux esprits,
Tandis que, sous le nom du mari de Madame,
Je serais comme un saint que pas un ne réclame ?
Non, non, je ne veux point d’un esprit qui soit haut ;
Et femme qui compose en sait plus qu’il ne faut.
Je prétends que la mienne, en clartés peu sublime,
Même ne sache pas ce que c’est qu’une rime ;
Et s’il faut qu’avec elle on joue au corbillon
Et qu’on vienne à lui dire à son tour : « Qu’y met-on ? »
Je veux qu’elle réponde : « Une tarte à la crème » ;

En un mot, qu’elle soit d’une ignorance extrême ;
Et c’est assez pour elle, à vous en bien parler,
De savoir prier Dieu, m’aimer, coudre et filer.

Chrysalde.

Une femme stupide est donc votre marotte ?

Arnolphe.

Tant, que j’aimerais mieux une laide bien sotte
Qu’une femme fort belle avec beaucoup d’esprit.

Chrysalde.

L’esprit et la beauté...

Arnolphe.

L’honnêteté suffit.

Chrysalde.

Mais comment voulez-vous, après tout, qu’une bête
Puisse jamais savoir ce que c’est qu’être honnête ?
Outre qu’il est assez ennuyeux, que je croi,
D’avoir toute sa vie une bête avec soi,
Pensez-vous le bien prendre, et que sur votre idée
La sûreté d’un front puisse être bien fondée ?
Une femme d’esprit peut trahir son devoir ;
Mais il faut pour le moins qu’elle ose le vouloir ;
Et la stupide au sien peut manquer d’ordinaire,
Sans en avoir l’envie et sans penser le faire.

Molière, L'Ecole des femmes - Acte I, scène 1

En quoi cette scène d'exposition est elle réussie ?

Comme le dit Molière, "Le théâtre n'est fait que pour être vu". En effet, il est fait pour se distraire, et de ce point, il se rapproche plus du spectacle que de la littérature traditionnelle.
Alors, nous allons étudier la Scène Première, de l'Acte Premier, de L'école des Femmes. Cette pièce de théâtre fût réalisée en 1662, et connut un immense succès mais suscita également de nombreux débats, en raison de son « immoralité ». Cette comédie en cinq actes a été écrite par le célèbre dramaturge français, Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, à la suite de son mariage avec une jeune femme de vingt ans de moins que lui. C'était une demande du Roi Louis XIV qui, encore jeune, souhaitait un spectacle différent de ceux de l’époque.
Notre étude sera focalisée sur la scène d'exposition, amenée de façon naturelle : Deux amis se rencontrent, l'un d'eux annonce son projet de mariage, tandis que l'autre se montre très surpris par la nouvelle.
Ainsi, nous pourrions nous demander en quoi cette scène d'exposition est réussie. Le plan suivra un grand thème : Nous observerons les caractéristiques de cette scène première.

Tout d'abord, il faut savoir que la scène d’exposition d’une pièce de théâtre est généralement la première scène, du premier acte. Elle est comparable à l'incipit d'un roman. Elle fournit les éléments nécessaires à la compréhension d’une situation initiale. Elle est soumise à des règles : selon le Manuscrit 559 de la Bibliothèque Nationale de France, une bonne scène d'exposition « doit instruire le spectateur du sujet et des principales circonstances de la pièce, du lieu de la scène, du moment où commence l'action, du nom, du caractère et des intérêts de tous les principaux personnages. Elle doit être entière, courte, claire, intéressante et vraisemblable ". Ici, le moment est bien choisi pour l’ouverture de la pièce : Arnolphe revient de voyage et discute avec son ami d'enfance, Chrysalde. L’action peut démarrer.
Pour commencer, dans cette première scène, les désirs d’Arnolphe sont révélateurs de son caractère. Sa peur d’être trompé est une véritable obsession, qui révèle son mépris pour la femme. Il la considère comme un être inférieur, qui ne mérite pas d’être instruit, comme le souligne le vers 84 : "Une femme habile est un mauvais présage". On observe également son amour du pouvoir, il veut tenir la première place dans sa maison comme le prouve les vers 91 et 92 : "Tandis que sous le nom de mari de Madame, Je serais comme un saint que personne ne réclame ?". Aussi, l'abondance de verbes de volonté fait ressortir son autorité: « je prétends » (vers 95), « je veux » (vers 99). C'est pourquoi Arnolphe souhaite est une femme soumise. À aucun moment il ne parle d’aimer lui-même sa future épouse.
Ainsi, ce texte constitue la première apparition du héros, qui fait de lui un personnage antipathique, par son mépris des femmes. Et par ses excès, Arnolphe est aussi l’antithèse de l’idéal de « l’honnête homme ». Molière, dans cette pièce comique fait passer par Arnolphe la misogynie exagérée des hommes au XVIIème siècle.

Puis, un portrait négatif d'Agnès apparaît à travers les refus formulés par Arnolphe. Il n'accepte pas une « femme habile » (vers 84) employé ici en tant que terme péjoratif, car il sous-entend que son savoir la rendra apte à le tromper. Il blâme la femme précieuse, ou « spirituelle » (vers 87) notamment à cause de son mode de vie, avec l’allusion aux « cercles » (vers 88), "ruelles" (vers 88) ainsi que « marquis » (vers 90) et « beaux esprits » (vers 90). Ce sont des réunions mondaines, dans lesquelles la femme est entourée d’hommes, donc forcément tentée. Il refuse aussi une femme qui « de prose ou de vers ferait de doux écrits » (vers 89) car ses textes pourraient être mis au service de l’amour, en particulier pour envoyer un billet à son amant. De plus, il souligne "l’ignorance " (vers 100) d’Agnès. Il la veut naïve et sans esprit. D'ailleurs, on peut observer le champ lexical qui se développe autour de cette idée : « sotte » (vers 82), « bien sotte » (vers 104), ainsi que « une bête » (vers 110), et « stupide » (vers 115). À cela s’ajoute l’exemple du « corbillon » (l.97). Agnès remplira donc les obligations traditionnelles de la femme, avec une pratique religieuse, destinée à la maintenir dans la soumission, elle se dévouera totalement à son époux, avec pour seules activités les tâches ménagères : "C'est assez pour elle [...] de savoir prier Dieu, m'aimer, coudre et filer" (vers 102).
En un mot, Arnolphe fait apparaître une vision péjorative de cette femme. C’est elle qui sert de point de départ à sa méfiance. Il veut, en quelques sortes, fabriquer son épouse idéale.

Enfin, Chrysalde joue le rôle d’un contradicteur, d’abord par de brèves objections, coupées par Arnolphe, puis par une tirade. Ces contradictions sont faites pour intriguer le spectateur, en annonçant quelques désaccords avec le projet de son ami. On remarque aussi que ses propos sont plus sensés que ceux de son ami : "Il est assez ennuyeux je crois, d'avoir toute sa vie une bête avec soi" (vers 109/110). Chrysalde repproche également à Arnolphe de considérer la femme comme une servante, à qui il n'accorde aucune confiance.
En somme, Chrysalde est plus sage, plus équilibré et plus mûr que son ami d'enfance.

En définitive, cette scène remplit son rôle d’exposition en présentant au spectateur, de la manière la plus naturelle possible, à travers un dialogue, les informations nécessaires sur les personnages et la situation.

Ici, la scène d’exposition va informer le spectateur sur le thème de la pièce, elle met en relation les différentes opinions d’Arnolphe et de Chrysalde sur la femme idéale à épouser.

En effet, un problème très sérieux fait l'objet de cette comédie : le mariage. Thème récurent dans les oeuvres de Molière, véritable sujet de conflit entre les générations, les sexes, et les classes sociales. Nous retrouvons son réseau lexical : „épouser“ (vers 82), „mari“ (vers 91) et „femme“ (vers 94). Mais ici, c'est surtout le thème du cocuage, et la probabilité de „trahir son devoir“ (vers 113) lorsque l'écart de l'âge est trop grand entre les époux, qui nous invite à poser des questions plus générales sur la condition des femmes au XVIIème siècle : jusqu'à quel point peut-on forcer les femmes ? Quelles sont les limites de l'égoïsme ? La sottise de la femme garantie t-elle la sécurité du mari ? Chrysalde plein d'attention, expose à son ami les dangers d'un tel mariage, la discussion s'engage, s'anime. Chrysalde entre dans le jeu et lance une sorte de défi au présomptueux Arnolphe, les paris sont ouverts, qui aura raison entre le sage narquois et l'époux trop prudent et égoïste ?

Pour conclure, nous pouvons affirmer que ce dialogue tourne au débat et soulève déjà des questions sur la société de l’époque avec les thèmes du mariage et de l’éducation des femmes qui nous font entrer sur le terrain de la comédie de moeurs. C'est aussi une sorte de discours argumentatif.

En définitive, nous pouvons affirmer que la scène d'exposition de ce texte est réussit. Elle parvient à transporter le lecteur dans l'univers des personnages des la première scène. De plus, elle crée une double d’attente : Agnès sera-t-elle aussi « sotte » qu’elle apparaît dans le discours d’Arnolphe ? Arnolphe, qui a tellement peur d’être trompé, parviendra-t-il à éviter cela par ce choix d’une femme innocente ?