L'Etat est-il l'ennemi de la liberté ?

Corrigé entièrement rédigé en trois parties.

Dernière mise à jour : 09/01/2022 • Proposé par: evab (élève)

Le premier article de la Déclaration universelle des droits de l’homme affirme que l’homme est libre par nature. Ce serait là notre droit le plus fondamental. Cependant, on peut se demander si en vivant dans une société gouvernée par un État, l’homme ne perd pas certaines de ses libertés fondamentales, qu’il cède à l’État au profit d’autres bienfaits comme la sécurité ou la tranquillité. D’où la question : l’État est-il l’ennemi de la liberté ? L’État est une notion politique, c’est l’institution qui rassemble les pouvoirs, l’instance qui gouverne la société. L’ennemi c’est celui qui est hostile, l’adversaire. La liberté vient du latin « libertas » et désigne la condition d’homme libre par rapport à celle d’esclave. Être libre ce serait donc agir conformément à sa volonté.

En théorie, l’État est créé pour permettre aux hommes de vivre tous ensemble, et doit donc les protéger, assurer leur sécurité. Cela inclut donc la protection de nos libertés individuelles. Très clairement, les États totalitaires ou injustes, ceux qui ne visent pas le bien de leurs citoyens sont des ennemis de la liberté, qui est un danger pour eux. Mais pour les États qui ont à cœur la sécurité de leurs citoyens, la question est plus compliquée : en effet en pratique pour protéger ses citoyens l’État réduit leurs libertés. On peut se demander si les notions d’État et de liberté ne s’excluent pas complètement. Nous nous concentrerons ici sur les États qui ont pour fin le bien des hommes.

Nous verrons tout d’abord comment l’État est créé pour protéger les hommes, et leur liberté, puis comment en essayant d’arriver à sa fin il finit par faire disparaître la liberté, et enfin comment en nous protégeant l’État crée la liberté civile.

I. L'État protège les hommes et leur liberté

a) L’État : une protection absolument nécessaire pour vivre en paix

Hobbes pense un état de nature fictif dans lequel il imagine que les êtres humains seront dangereux et violents les uns envers les autres ; c’est ce qu’il résume en empruntant ce vers du poète Plaute « l’homme est un loup pour l’homme ». Sans État civil l’homme est misérable, condamné à toujours être sur ses gardes. De plus, il laisse libre cours à toutes ses pulsions agressives et destructrices, l’état de nature est un état de guerre perpétuelle. L’État civil apparaît ainsi comme la condition de la paix, de la vie ensemble sans violence donc de la sécurité pour l’homme. L’état est une construction artificielle des hommes : ils acceptent volontairement de se soumettre au pouvoir. Mais c’est donc que ce pouvoir peut leur apporter un plus grand bien en échange. L’État garantit la sécurité et la justice, comme compensation de la diminution de la liberté.

b) La fin de l’État : sécurité ou liberté ?

« Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ». Cette phrase d’Henri Lacordaire montre bien le paradoxe entre l’État et la liberté, la contradiction entre la fin de l’État qui est la sécurité et la liberté. La liberté dans le sens de faire tout ce que l’on veut ne protège pas, c’est pour cela que l’État réduit la liberté, pour mieux protéger. La fin d’un État est de protéger ; or, pour faire ceci, il s’oppose complètement à la liberté de faire tout ce que nous désirons.

c) Licence & liberté : une distinction conceptuelle entre vivre dans la peur & être libre paisiblement

Mais cette liberté de donner libre cours à tous nos désirs porte un nom particulier : c’est la licence du latin « licentia » qui signifie permission, c’est la liberté excessive, sans limites et sans règle. C’est la liberté qui permet au fort de commander sans jamais obéir et donc alors qu’elle prétend ne suivre aucune règle, aucune obligation, paradoxalement suit une loi : celle du plus fort. L’État se fait l’ennemi de la licence pour le bien de tous. En effet la licence finit par être s’autodétruire : c’est l’exemple du tyran qui n’est jamais heureux, jamais en paix, toujours occupé à tuer plus de gens, à semer plus de terreur, car on ne peut rester le plus fort bien longtemps.

Donc l’État s’oppose à la licence et à la liberté naturelle afin de protéger ses citoyens, mais a priori il n’est pas l’ennemi de la liberté.

II. Paradoxe : pour arriver à sa fin, qui est de protéger les citoyens, le moyen de l’état est-il de faire disparaître la liberté ?

a) La liberté : entièrement, un peu, beaucoup ?

Mais à partir du moment où on se soumet à l’autorité d’un État, où l’on accepte, ne serait-ce qu’un peu, de réduire sa liberté est-on encore libre ? Peut-on vraiment être un peu libre ou très libre ? Cela pose la question de savoir si la liberté comme notion tout entière peut être divisée, et pour les anarchistes la réponse est non : « la liberté est indivisible » écrit Bakounine. Dans ce cas-là aucune liberté ne peut m’être retirée sans que j’en souffre. C’est néanmoins, une vision peut-être un peu trop binaire de la liberté, et idéalisée : nous ne regrettons pas que nos voisins ne soient pas libres de s’introduire chez nous. Toutes les libertés ne sont pas désirables. Elle pose cependant une autre question : qu’elle est la limite entre un citoyen avec une liberté réduite, mais protégée, et un citoyen sans liberté et totalement pris en charge par son État ?

b) La liberté fait partie intégrante des biens que défend un état ?

Dans le cas d’un État injuste qui ne vise pas le bien des citoyens très clairement l’État se fait l’ennemi de la liberté sous toutes ses formes pour sa propre sécurité, mais dans le cas d’un État qui agit dans l’intérêt des citoyens ? À vouloir absolument protéger ses citoyens, un État risque de finir dans l’absolutisme à l’instar du Big Brother du roman 1984 de George Orwell. Les citoyens sont entretenus : l’État fait ce qui est le mieux pour eux, par exemple il leur fait faire du sport chaque matin afin de maintenir leur forme. Cela reste une contrainte aliénante, même si elle est dans leur intérêt. Ou prenons l’exemple de Habib Bourguiba, qui paradoxalement est un « bon tyran » c’était un dictateur, mais il a modernisé son pays, amélioré l’éducation et les droits des femmes, tout en interdisant tous les autres politiques, en créant un culte de la personnalité autour de sa personne et en entretenant des milices armées. Dans ces deux cas, l’État se fait ennemi de la liberté, ce qui n’est pas acceptable même si c’est pour le bien des citoyens. L’État, prend un rôle trop paternaliste et opprime les citoyens, les infantilise complètement et les étouffe. La liberté s’accompagne de responsabilités, et nous devrions être libres de nous occuper de nous-mêmes, même si cela signifie que nous ne ferons jamais de sport ou ne lirons jamais : cela relève de notre propre responsabilité. Les campagnes qui encouragent à faire du sport nous sensibilisent, mais ne nous contraignent pas.

Un État ne peut pas protéger ses citoyens sans leur laisser de liberté, c’est une des conditions de leur bien-être. Donc un État qui protège trop ses citoyens paradoxalement finit par les opprimer. La liberté est une condition absolue au fonctionnement d’un État juste. L’État ne peut donc pas être l’ennemi de la liberté, il doit s’appliquer à la sauvegarder.

III. Par la protection des sujets, l’État crée la liberté civile

a) La liberté est plus qu’un droit, c’est une création à part entière de l’état

Lorsque Lacordière dit « la liberté qui opprime » on peut imaginer qu’il parle de la licence qui comme nous l’avons vu n’est pas souhaitable, mais ensuite il dit « la loi qui affranchit ». Le terme affranchir est intéressant : on affranchissait un esclave cela voulait dire qu’on lui rendait sa liberté. L’État ne fait pas qu’interdire la licence et garantir certaines libertés individuelles ; il en crée une autre, la liberté civile. Grâce aux lois nous accédons à cette nouvelle forme de liberté, qui elle dépend totalement de l’État et ne peut exister sans lui. « En un mot, la liberté suit toujours le sort des lois, elle règne ou périt avec elle, je ne sais rien de plus certain » écrivait Rousseau dans Lettres écrites de la montagne. Il n’est plus question de défendre la liberté, ou de la réduire, mais de la créer.

b) Ce type de liberté à un nom : l’autonomie

Ce n’est plus une liberté de l’indépendance, mais de l’autonomie : nous n’obéissons qu’à nous-mêmes grâce aux lois, du grec autonomos, autos propres et nomos lois. Pour Kant, la véritable liberté consiste à agir selon les lois morales universelles : être libre, c’est être autonome, c’est donc agir conformément aux lois morales que notre raison a conçues. Par extension on peut imaginer qu’un peuple libre, le peuple autonome c’est celui qui crée lui-même les lois auxquelles il se soumet, et non pas aux lois naturelles, aux lois du plus fort, qui elles seraient une hétéronomie, une autre — du grec hétéros — loi — de nomos .

c) Une institution qui représente son citoyen

À la fois, l’État est une institution, donc, sans préférence et pas corruptible, à la fois cette institution est créée par des hommes qui eux sont faillibles. C’est pour cela, que le citoyen doit s’investir dans des institutions pour qu’elles le représentent le plus fidèlement possible et ainsi éviter la corruption de l’État, participer à la création de lois le plus juste possible et empêcher l’État de ne défendre qu’une partie de la société. L’homme est à la fois le citoyen et le créateur d’un État. La liberté civile inclut des droits et amène des devoirs et des responsabilités pour le maintien de ces droits. Il n’y a pas de meilleur défenseur de sa liberté que le citoyen lui-même.

Conclusion

Donc l’État n’est, non pas l’ennemi de la liberté, mais le créateur de la liberté civile, la seule qui nous permette de vivre ensemble. Pour cela, il doit s’opposer à la licence, et trouver un équilibre entre la sécurité et la liberté des citoyens. Ces derniers, pour être libres, se doivent d’être le garde-fou de l’État. Nos définitions ont évolué : la liberté n’est pas la capacité de laisser libre cours à tous nos désirs, mais notre capacité à nous gouverner nous-mêmes de manière juste dans un état paisible, de plus elle s’accompagne de responsabilités et n’est pas innée. Quant à l’État, c’est l’institution artificielle que les hommes créent et où ils déposent leurs pouvoirs afin de pouvoir vivre librement. Cette institution leur permet d’effacer leurs défauts naturels, à condition qu’ils s’investissent dedans afin qu’elle les représente réellement.