Peut-on être heureux sans être libre ?

Annale bac 2015, Séries Technologiques - France métropolitaine

Corrigé synthétique.

Dernière mise à jour : 19/11/2021 • Proposé par: cyberpotache (élève)

Questions préalables

- Le bonheur peut-il exister sans conscience d'être heureux ?
- L'absence de liberté suppose l'obéissance : à qui ou à quoi ?
- La liberté serait-elle une condition suffisante pour être heureux ?

Introduction

Comment puis-je être heureux ? Telle est une des questions que tout individu en vient sans doute, à un moment ou à un autre de son existence, à se poser. Même si Kant affirme que le bonheur n'est pas vraiment de ce monde (mais cela suppose que l'on postule l'immortalité de l'âme, et cela n'a rien d'obligatoire), chacun s'obstine à le chercher. Faute d'en connaître la recette, on peut au moins essayer d'en repérer les conditions, et c'est dans cette optique qu'il apparaît nécessaire de se demander si l'on peut être heureux en étant privé de liberté.

I. Toute contrainte supprime l'autonomie des buts

L'absence de liberté, qu'elle soit celle de l'esclave antique ou celle du prisonnier contemporain, qu'elle apparaisse temporaire ou définitive, signifie globalement qu'un sujet ne peut réaliser ses propres buts. L'esclave est obligé d'obéir à une volonté qui n'est pas la sienne et de régler son activité sur les désirs d'autrui ; le prisonnier est soumis à un emploi du temps, à des règlements, à un mode de vie sur lesquels il n'a aucun pouvoir. Dans tous les cas, la volonté du sujet est bafouée, sinon annulée, et laisse place à une volonté extérieure, qu'elle soit celle du maître ou celle d'une anonyme administration pénitentiaire.

Peut-on accéder au bonheur dans de telles conditions ? Sans doute n'est-il pas impossible d'y rencontrer des motifs de .satisfaction. Les moments de repos peuvent être savourés après le travail forcé, mais entraînent-ils cette sorte de sentiment de plénitude que l'on attribue au bonheur? Certainement pas, puisque le repos lui-même dépend du maître et de son bon vouloir. De même, il n'est pas impossible que le prisonnier ressente quelque modification de son affectivité pour peu qu'il entende, au-delà des barreaux, un chant d'oiseau. Mais cette perception peut simultanément accroître son désir de liberté, lui faire prendre encore davantage conscience de sa situation actuelle : même s'il éprouve un fugace plaisir, il sait que ce dernier n'est qu'une exception, et que très vite reprendra le rythme de la vie quotidienne, avec ses ordres, ses obligations et la négation durable de toute initiative de sa part.

II. Le bonheur suppose la réalisation de buts choisis

Or le bonheur ne saurait consister en une simple satisfaction dans la consommation d'un plaisir aléatoire. Lorsqu'il est ressenti, c'est parce que la situation dans laquelle on se trouve vient combler une attente et coïncider avec l'image " idéale " qu'on en avait à l'avance élaborée. S'il n'y a pas de bonheur sans conscience (ce pourquoi il est fallacieux de considérer qu'un animal peut être heureux), cela signifie aussi que le bonheur ne peut que répondre aux projets de celle-ci. L'impression d'un ajustement entre ce que me propose le monde et ce que je souhaitais voir se réaliser suppose que j'ai pu commencer par formuler mon souhait. C'est lui qui oriente mon existence, les efforts que je peux déployer pour qu'il se réalise. Mais la formulation d'un souhait, d'un espoir, d'un voeu, suppose que je dispose d'une autonomie qui soit aussi bien mentale que physique, c'est-à-dire d'une liberté capable d'entreprendre ou de faire.

Sans proposer une approche ambitieuse de cette dernière, il faut au moins noter que la liberté d'un être humain ne saurait se concevoir pleinement en l'absence de ce double aspect : être libre, c'est jouir de l'indépendance dans la pensée en même temps que d'une capacité à manifester physiquement, concrètement, le sens de ma décision. Ce n'est que si je peux essayer - et même si rien ne garantit à l'avance ma réussite - d'accorder ma réalité avec le but que je veux poursuivre ou obtenir que j'ai quelque chance de connaître un moment de bonheur.

III. La liberté comme condition nécessaire, mais non suffisante

II apparaît ainsi que la liberté est une condition nécessaire du bonheur. À moins de concevoir la vie humaine comme intégrée dans une organisation rationnelle de l'univers dont les plans m'échappent mais à laquelle je suis obligé d'acquiescer comme le faisaient les stoïciens, et d'en déduire que je ne puis être heureux qu'en me souciant de mon intimité et en élaborant une indifférence totale à ce qui ne dépend pas de moi - auquel cas c'est la notion même de liberté, au sens moderne, qui perd son sens. Mais dès que je donne à ce concept une signification impliquant ma capacité à intervenir dans ma propre existence et dans mon environnement au moins immédiat, je suis amené à en juger nécessaire la présence pour connaître le bonheur.

Rien ne garantit toutefois que la liberté suffise pour assurer le bonheur: celui-ci, pour être vécu, dépend aussi de facteurs extérieurs à la personne. Ce qui signale la nécessité, pour le but poursuivi, d'être inscrit dans le cadre général d'une certaine vraisemblance, autrement dit que sa liberté de conception tienne compte aussi bien de mes conditions d'action que de la manière dont je peux envisager de les outrepasser. Si le bonheur ressenti provient de la confirmation de mes désirs ou ambitions par la situation réelle à laquelle je parviens, on doit admettre que c'est malgré tout cette dernière qui, en dernière analyse, se révèle apte à rendre mon bonheur actuel ou non. Une liberté s'illusionnant sur les possibilités d'intervention pratique dans le monde ne proposerait que des buts irréalisables et condamnerait, sinon au malheur, du moins à l'absence de bonheur. À l'opposé, la quête de buts trop immédiats ou faciles à obtenir ne suscite pas le sentiment de plénitude et de réalisation de soi qui peut témoigner de la réalité du bonheur.

Conclusion

Il apparaît finalement que la liberté conditionne bien l'accès au bonheur, mais qu'elle ne saurait suffire à en constituer à elle seule l'esquisse : il lui faut en effet s'accorder aux contraintes du réel - ce qui permet d'ailleurs d'en préciser la nature, puisqu'il ne peut être question de la dévoyer vers un ensemble de buts irréalistes si l'on entend maintenir les chances de son exercice.