Questions préalables
- De quel passé s'agit-il : individuel ? collectif ?
- Quelle conception de la liberté est en cause ?
- Quels avantages y aurait-il à être " sans passé " ?
Introduction
"L'oeil était dans la tombe et regardait Caïn" : tel est selon Victor Hugo le symbole du remords. Et l'assassin qu'il "poursuit", voué à la fuite en avant sans qu'il se donne d'autre but que d'échapper à cet "mil" accusateur, semble évidemment privé de liberté : il est soumis au remords et devient incapable d'entreprendre quoi que ce soit. Or ce remords renvoie à son passé. Peut-on alors imaginer que, pour affirmer sa liberté, il suffit de se débarrasser du passé ? Un homme sans passé peut-il être un homme libre ?
I. "Le roc : ce fut"
Dans la philosophie moderne, c'est sans doute Nietzsche qui a le plus accusé le passé de stériliser l'être humain. Ce qu'il nomme "le roc : ce fut" peut en effet se révéler parfois bien encombrant. La mémoire envahie de souvenirs, la conscience historique qui rappelle les actions collectives les plus honteuses : voilà sans doute de quoi se morfondre, être la proie de repentirs et de remords qui semblent au moins freiner, sinon interdire, l'activité et l'ouverture vers l'avenir. Le poids du passé pourrait être ainsi accusé d'amoindrir la liberté, ou même de la faire à peu près disparaître : comment entreprendre quoi que ce soit si accourent immédiatement les avertissements de mes échecs, les accusations de mes mauvais comportements antérieurs, les leçons négatives de mes expériences ? Comment m'affirmer insouciant et léger, si chaque geste, à peine entamé, rameute un cortège de souvenirs ou de connaissances de l'histoire qui m'invitent à la prudence, à une réflexion plus approfondie, et finalement à l'inaction ? Sans même parler d'action, comment pourrais-je me sentir libre intérieurement si j'ai l'esprit envahi par les multiples témoignages de ce qui fut ?
On comprend que, pour qui espère la venue du "surhomme" comme homme se réalisant pleinement dans la gaîté et la non-culpabilité, la présence du passé paraisse ainsi insupportable, et que l'oubli s'affirme au contraire comme une vertu positive.
II. Les apprentissages du passé
On peut toutefois objecter à une telle interprétation du passé (et de la liberté) que sa suppression ne peut être intégrale. L'hypothèse d'un "homme sans passé" lui accorde un minimum de références au passé de son groupe, sans lesquelles il se