Maupassant, Bel-Ami - Incipit (2)

Commentaire complet et entièrement rédigé en trois parties, pour un devoir à la maison. Note obtenue : 19/20.

Dernière mise à jour : 11/11/2022 • Proposé par: Aleyna Hargrave (élève)

Texte étudié

Quand la caissière lui eut rendu la monnaie de sa pièce de cent sous, Georges Duroy sortit du restaurant.

Comme il portait beau par nature et par pose d'ancien sous-officier, il cambra sa taille, frisa sa moustache d'un geste militaire et familier, et jeta sur les dîneurs attardés un regard rapide et circulaire, un de ces regards de joli garçon, qui s'étendent comme des coups d'épervier.

Les femmes avaient levé la tête vers lui, trois petites ouvrières, une maîtresse de musique entre deux âges, mal peignée, négligée, coiffée d'un chapeau toujours poussiéreux et vêtue toujours d'une robe de travers, et deux bourgeoises avec leurs maris, habituées de cette gargote à prix fixe.

Lorsqu'il fut sur le trottoir, il demeura un instant immobile, se demandant ce qu'il allait faire. On était au 28 juin, et il lui restait juste en poche trois francs quarante pour finir le mois. Cela représentait deux dîners sans déjeuners, ou deux déjeuners sans dîners, au choix. Il réfléchit que les repas du matin étant de vingt-deux sous, au lieu de trente que coûtaient ceux du soir, il lui resterait, en se contentant des déjeuners, un franc vingt centimes de boni, ce qui représentait encore deux collations au pain et au saucisson, plus deux bocks sur le boulevard. C'était là sa grande dépense et son grand plaisir des nuits ; et il se mit à descendre la rue Notre-Dame-de-Lorette.

Il marchait ainsi qu'au temps où il portait l'uniforme des hussards, la poitrine bombée, les jambes un peu entrouvertes comme s'il venait de descendre de cheval ; et il avançait brutalement dans la rue pleine de monde, heurtant les épaules, poussant les gens pour ne point se déranger de sa route. Il inclinait légèrement sur l'oreille son chapeau à haute forme assez défraîchi, et battait le pavé de son talon. Il avait l'air de toujours défier quelqu'un, les passants, les maisons, la ville entière, par chic de beau soldat tombé dans le civil.

Quoique habillé d'un complet de soixante francs, il gardait une certaine élégance tapageuse, un peu commune, réelle cependant. Grand, bien fait, blond, d'un blond châtain vaguement roussi, avec une moustache retroussée, qui semblait mousser sur sa lèvre, des yeux bleus, clairs, troués d'une pupille toute petite, des cheveux frisés naturellement, séparés par une raie au milieu du crâne, il ressemblait bien au mauvais sujet des romans populaires.

Maupassant, Bel-Ami - Incipit (2)

Le texte étudié est l’incipit du roman Bel-Ami écrit par Guy de Maupassant, un auteur très connu du 19ème siècle. Il a écrit de nombreux romans, dont Bel-Ami et plusieurs nouvelles. Il fréquentait des écrivains tels que Zola et était le disciple de Flaubert. Il était un écrivain illustre de l’école naturaliste et réaliste. Ces genres visent à décrire la société telle qu’elle est sans embellissement et d’une approche plus scientifique, et dans le cas de Maupassant, plutôt pessimiste.

L’ouvrage écrit en 1885 dévoile et critique la société de cette époque. À travers le personnage de Georges Duroy on découvre ce qui se passe derrière les coulisses de la haute société parisienne et le point de vue de Maupassant sur le monde de la finance, de la politique et du journalisme qui a connu un grand essor. Dans le roman il est question de l’ascension sociale de Duroy par le biais des femmes. Séducteur et rusé, ce personnage principal utilise habilement son charme pour s’enrichir et passer d’un sous-officier pauvre à un journaliste très influent.

Dans cet incipit Maupassant introduit rapidement son personnage principal et décrit la situation. Il nous informe du lieu et du temps où va se dérouler l’histoire et peint le portrait de son personnage principal, Georges Duroy. En quoi est-ce que cet incipit remplit-il bien son rôle? Que peut-on dire du personnage principal? Enfin, de quelle façon cette œuvre est-elle réaliste? Pour pouvoir y répondre, je vais présenter mes arguments en trois parties en commençant par les caractéristiques qui rendent l’incipit traditionnel et vivant, ensuite m’exprimant sur le portrait complexe et intéressant de Duroy et enfin en terminant par analyser tous les thèmes réalistes introduits dans cet incipit.

I. Un incipit traditionnel et vivant

Le premier rôle d’un incipit est de commencer l’histoire en introduisant le personnage principal et le lieu de déroulement de l’histoire. L'incipit en question est traditionnel et vivant de trois façons. Il donne beaucoup d’indices spatio-temporels qui permettent de bien situer l’action. On apprend qu’elle se passe à Paris (« rue Notre-Dame-de-Lorette », l.19) pendant l’été (« 28 juin », l.12). L’année n’est pas indiquée, c’est au lecteur de la deviner grâce à d’autres indices, notamment le vocabulaire utilisé (« gargote », « cheveux frisés naturellement séparés par une raie au milieu. » Ces mots sont propres au temps de Maupassant, la coiffure étant en vogue à l’époque) et en effet on peut comprendre qu’il s'agit de la même époque que Maupassant. On comprend bien qu’il s’agit en effet d’un roman réaliste grâce à tous les détails réalistes, véridiques apportés par l’auteur au récit. En même temps qu’il met en place le décor où va se dérouler notre histoire, il introduit rapidement son personnage principal.

Cela en fait un incipit mouvementé. Les verbes d’actions au passé simple (« sortit », « cambra », « frisa », « jeta », « se mit à descendre ») donnent du dynamisme et du rythme à l’histoire. L’auteur a gardé les descriptions au minimum avec des énumérations courtes pour les personnages secondaires (« juste pour souligner leurs classes sociales »; « une maîtresse de musique [...] robe de travers », l.7-9) et une énumération plus longue pour le portrait de Duroy (« il [...] romans populaires », l.28-32). Le lieu où se déroule l’action est décrit seulement par le nom de la rue (« rue Notre-Dame-de-Lorette » , l.19) et le temps est une date précise, mais seulement le jour et le mois (« 28 juin », l.11) Le lecteur est plongé très rapidement dans le récit. Maupassant ne perd pas de temps à décrire la scène dans tous les détails avant d’introduire peu à peu son héros. Dès la première ligne on voit apparaître son nom et il est déjà dans l'action (« sortant du restaurant », l.1). Il s’agit donc d’un début in media res.

Le personnage principal est présenté tout de suite, il se nomme Georges Duroy. Il est manifestement pauvre, on le voit compter méticuleusement son argent (« il lui restait juste en poche trois francs quarante pour finir le mois » , l.12-13). Il semble aussi avoir un effet sur les femmes, quelles qu’elles soient (« Les femmes avaient levé la tête vers lui », l.6) et il fait attention à son apparence (« il gardait une certaine élégance tapageuse », l.27-28; « des cheveux frisés naturellement, séparés par une raie au milieu du crâne », l.31). Enfin donc on connaît les circonstances dans lesquelles va évoluer notre personnage de Duroy grâce à cet incipit traditionnel.

II. Le portrait complexe de Duroy

Dès les premières lignes on peut voir que notre personnage principal Duroy est un bel homme, il a un physique flatteur. Il est « Grand, bien fait, blond, d'un blond châtain vaguement roussi, avec une moustache retroussée, qui semblait mousser sur sa lèvre, des yeux bleus, clairs, troués d'une pupille toute petite, des cheveux frisés naturellement, séparés par une raie au milieu du crâne » (l.28-31). Son apparence fait tourner des têtes et attire l’attention des femmes, qu’il sait utiliser à son avantage. Et il doit être quelqu’un qui attire le regard, qui est captivant, puisque son succès dépend de ses charmes et talents de séducteur.

Ce physique et son portrait psychologique ont été fortement influencés par son passé militaire. On apprend que Duroy était autrefois un sous-officier dans l’armée (« ancien sous-officier »,l.3), donc il était à peu près vers le milieu de l’hiérarchie. Les entraînements intensifs ont sans doute façonné son physique et la discipline et l'atmosphère militaire se sont imprégnés dans son esprit. Certains gestes lui sont devenus familiers et naturels (« frisa sa moustache d'un geste militaire et familier », l.4) et son allure (« la poitrine bombée, les jambes un peu entrouvertes comme s'il venait de descendre de cheval », l.21) rend même un complet très peu cher élégant (« Quoique habillé d'un complet de soixante francs, il gardait une certaine élégance tapageuse », l.28-29). Pourtant, on peut voir que sa personnalité est plus complexe et plus différente de ce que son apparence suggérerait.

Derrière son masque de beau garçon charismatique, Duroy est un homme à la psychologie très ambiguë. Il a certes fière allure, mais il apparaît aussi comme vaniteux, agressif (« il avançait brutalement dans la rue pleine de monde, heurtant les épaules, poussant les gens pour ne point se déranger de sa route », l.22-23), très ambitieux mais encore un peu gauche (« Il [...] le civil », l.25-26) avec toutefois un esprit acéré, calculateur et potentiellement manipulateur. Il veut également toujours être le centre de l’attention. Il fait du bruit (« battait le pavé de son talon », l.25), il heurte les passants (« heurtant les épaules, poussant les gens », l.23) et défie presque la ville entière, faisant preuve d’une ambition presque mégalomane (« Il [...] la ville entière », l.25). Ce personnage principal relève plus de l’anti-héros que du véritable héros. Il n’est pas question d’un héros fantastique vertueux et sans reproches. Le protagoniste a une moralité inévitablement ambiguë puisqu’il s’agit d’un roman réaliste.

III. Des thèmes réalistes

On peut remarquer l’apparition de plusieurs thèmes à travers l’incipit. L’argent fait son apparition à la première ligne, avant même que le personnage soit entré en scène et il est présent tout au long de l’incipit (champ lexical de l’argent comme « francs », « sous », « centimes » ainsi que des indications chiffrées). Duroy est obsédé par l’argent et la richesse, tout comme beaucoup de gens à cette époque. À travers Duroy on a un aperçu de la société du XIXème siècle à travers les yeux de Maupassant. C’est le premier grand thème réaliste du roman, cela se comprend à son introduction. Des calculs que fait Georges dans sa tête à la gradation des femmes en fonction de leur statut social (donc de leur richesse), le thème de l’argent est omniprésent sous différentes formes plus ou moins subtiles.

Ensuite, lié aux finances, on voit que Maupassant touche aussi à la sociologie. En effet son personnage principal doit grimper l’échelle sociale avec tact et finesse s’il veut parvenir à son but ultime: l’enrichissement. Pour se faire, comme on l’avait déjà découvert, le moyen le plus sûr est d’utiliser les femmes. En utilisant ses atouts physiques et psychologiques Duroy "capture" sa proie, qui est à chaque fois un échelon plus haut, d’une classe sociale plus élevée, mais également plus difficile à séduire. Il est vrai qu'à l'époque les femmes n’étaient pas complètement indépendantes et étaient largement “dominées” par les hommes, mais il semblerait que les hommes soient tout aussi dépendants des femmes. Ces nuances apparentes dès le début qui vont s’accentuer ensuite forment le deuxième thème réaliste sur lequel va être basé le récit.

Enfin, nous avons tous les petits détails qui aident vraiment à rendre l'œuvre vivante et réelle. Le nom des lieux qui existent vraiment, le vocabulaire contemporain (pour Maupassant), les problèmes de la société, les reproches et les critiques de Maupassant ne sont pas fantaisistes, loin de là. En lisant le roman et étant emporté par le flux du récit c’est ces petits éléments là qui nous permettent de nous immerger, et qu’on remarque qu’une fois qu'on en fait vraiment l’analyse. Tous ces thèmes qu’introduit Maupassant d’une façon experte nous permettent d’entrevoir le déroulement de l’histoire et contribuent à son réalisme.

Conclusion

L’incipit de Bel-Ami de Maupassant est un texte vivant et traditionnel dans sa manière d’introduire l’histoire grâce à trois éléments: le cadre spatio-temporel, le rythme du récit et l’introduction et présentation rapide du personnage principal. Ce dernier n’est pas un héros classique, bien au contraire il relève plus d’un anti-héros à cause de son portrait psychologique ambigu. Ce choix de personnage principal avec les thèmes proéminents du XIXème comme l’argent et les classes sociales associés à tous les merveilleux petits détails et le tout tissé ensemble par la main experte de Guy de Maupassant donnent un incipit réaliste.

Grâce à un tel début, on est facilement immergé et emporté par le flux du récit. L’incipit donne les pistes et les grands axes qui vont être suivis pendant tout le roman et le rythme donné est assez mouvementé ce qui rend Bel-Ami un roman captivant et relativement facile à lire. J’avais mes préjugés sur ce genre d’ouvrage mais Bel-Ami à excédé toutes mes attentes par ses personnage, son intrigue et son style merveilleusement complexes.

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