Stendhal, Le Rouge et le Noir - Livre I, chapitre 10 : Ascension en montagne (2)

Une analyse linéaire du texte.

Dernière mise à jour : • Proposé par: oceane.dlns (élève)

Texte étudié

Julien s'échappa rapidement et monta dans les grands bois par lesquels on peut aller de Vergy à Verrières. Il ne voulait point arriver si tôt chez M.Chélan. Loin de désirer s'astreindre à une nouvelle scène d'hypocrisie, il avait besoin d'y voir clair dans son âme, et de donner audience à la foule de sentiments qui l'agitaient.
J'ai gagné une bataille, se dit-il aussitôt qu'il se vit dans les bois et loin du regard des hommes, j'ai donc gagné une bataille !
Ce mot lui peignait en beau toute sa position, et rendit à son âme quelque tranquillité.
Me voilà avec cinquante francs d'appointements par mois, il faut que M. de Rênal ait eu une belle peur. Mais de quoi ?
Cette méditation sur ce qui avait pu faire peur à l'homme heureux et puissant contre lequel, une heure auparavant, il était bouillant de colère acheva de rasséréner l'âme de Julien. Il fut presque sensible un moment à la beauté ravissante des bois au milieu desquels il marchait. D'énormes quartiers de roches nues étaient tombés jadis au milieu de la forêt du côté de la montagne. De grands hêtres s'élevaient presque aussi haut que ces rochers dont l'ombre donnait une fraîcheur délicieuse à trois pas des endroits où la chaleur des rayons du soleil eût rendu impossible de s'arrêter.
Julien prenait haleine un instant à l'ombre de ces grandes roches, et puis se remettait à monter. Bientôt par un étroit sentier à peine marqué et qui sert seulement aux gardiens de chèvres, il se trouva debout sur un roc immense, sûr d'être séparé de tous les hommes. Cette position physique le fit sourire, elle lui peignait la position qu'il brûlait d'atteindre au moral. L'air pur de ces montagnes élevées communiqua la sérénité et même la joie à son âme. Le maire de Verrières était bien toujours, à ses yeux, le représentant de tous les riches et de tous les insolents de la terre ; mais Julien sentait que la haine qui venait de l'agiter, malgré la violence de ses mouvements, n'avait rien de personnel. S'il eût cessé de voir M. de Rênal, en huit jours il l'eût oublié, lui, son château, ses chiens, ses enfants et toute sa famille. Je l'ai forcé, je ne sais comment, à faire le plus grand sacrifice. Quoi ! plus de cinquante écus par an ! Un instant auparavant, je m'étais tiré du plus grand danger. Voilà deux victoires en un jour, la seconde est sans mérite, il faudrait en deviner le comment. Mais à demain les pénibles recherches.
Julien, debout sur son grand rocher, regardait le ciel, embrasé par un soleil d'août. Les cigales chantaient dans le champ au-dessous du rocher, quand elles se taisaient tout était silence autour de lui. Il voyait à ses pieds vingt lieues de pays. Quelque épervier parti des grandes roches au-dessus de sa tête était aperçu par lui, de temps à autre, décrivant en silence ses cercles immenses. L'œil de Julien suivait machinalement l'oiseau de proie. Ses mouvements tranquilles et puissants le frappaient, il enviait cette force, il enviait cet isolement.
C'était la destinée de Napoléon, serait-ce un jour la sienne ?

Stendhal, Le Rouge et le Noir - Livre I, chapitre 10

Dans ce roman, Julien Sorel, un jeune homme cultivé, charmant et ambitieux issu d’un milieu modeste, est employé comme précepteur des enfants de M. de Rênal ; il vient de lui faire accepter une augmentation substantielle de ses gages en le faisant chanter.

On pourra se demander ici comment ce passage est annonciateur du destin de Julien.

I. Premier paragraphe : un paysage de contraste

Le premier paragraphe décrit un paysage de contraste, révélateur de l'état de « l'âme ». Ce passage relève de l'ordre du symbolique.

Le pléonasme « beauté ravissante », exagère la beauté de la nature et des bois. La nature très présente à travers le champ lexical de la domination. La nature surplombe le monde. Avec une dimension romantisme, lyrique, l’auteur dresse le portrait d'un paysage éblouissant.

Julien travaille sur lui-même par la méditation, ce qui change son caractère. Il devient calme, ce qui contraste avec son tempérament bouillant et tempétueux. Ce paysage traduit les sentiments de Julien. Le champ lexical de la démesure décrit fait écho à son ascension sociale, aux êtres qui s’élèvent, parallèlement aux rochers qui ont chuté.

Est-ce que le paysage reflète pour autant l’état d’âme de Julien ? Pas complètement, car il y a deux fois le modalisateur « presque ».

II. Deuxième paragraphe : l'ambition de Julien

Le deuxième paragraphe fait état de l'ambition de Julien.

Julien gravit l’échelle sociale, dans l’ombre des grandes roches, comme caché dans l’ombre des bourgeois. Sa position de surplomb « sur son roc immense », lui donne un sentiment de supériorité, d'autant qu'il est séparé de tous les hommes. Le narrateur compare la position physique avec l’ambition par le verbe « brûler ». Le personnage est complexe, et son ascension sociale le distingue des autres. Il y a une équivalence entre le physique et le moral, ce qui est ici la clé de lecture du passage. Ici le sentiment est celui de la sérénité, de la joie, donnée par l’air pur de la montagne, la nature et sa beauté. La solitude de l’âme en fait un personnage romantique.

Viennent alors les périphrases et les connotations péjoratives. On a une focalisation externe sur une phrase, avec « à ses yeux ». Le narrateur explique ainsi que Julien est en conflit avec M. de Rênal à cause de son ambition. L'emploi du subjonctif plus que parfait, dans « s’il eut cessé », décrit une situation irréelle du passé, qui n’est pas arrivée

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