Stendhal, La Chartreuse de Parme - Partie I, chapitre 3: Fabrice à Waterloo

Commentaire en deux parties :
I. Un héros naïf et inexpérimenté,
II. Une désillusion.
Commentaire d'une élève de Première ES

Dernière mise à jour : 15/09/2021 • Proposé par: Anne75 (élève)

Texte étudié

Nous avouerons que notre héros était fort peu héros en ce moment. Toutefois la peur ne venait chez lui qu'en seconde ligne ; il était surtout scandalisé de ce bruit qui lui faisait mal aux oreilles. L'escorte prit le galop; on traversait une grande pièce de terre labourée, située au-delà du canal, et ce champ était jonché de cadavres.

-- Les habits rouges ! les habits rouges ! criaient avec joie les hussards de l'escorte, et d'abord Fabrice ne comprenait pas ; enfin il remarqua qu'en effet presque tous les cadavres étaient vêtus de rouge. Une circonstance lui donna un frisson d'horreur ; il remarqua que beaucoup de ces malheureux habits rouges vivaient encore, ils criaient évidemment pour demander du secours, et personne ne s'arrêtait pour leur en donner. Notre héros, fort humain, se donnait toutes les peines du monde pour que son cheval ne mît les pieds sur aucun habit rouge. L'escorte s'arrêta ; Fabrice, qui ne faisait pas assez d'attention à son devoir de soldat, galopait toujours en regardant un malheureux blessé.

-- Veux-tu bien t'arrêter, blanc-bec ! lui cria le maréchal des logis. Fabrice s'aperçut qu'il était à vingt pas sur la droite en avant des généraux, et précisément du côté où ils regardaient avec leurs lorgnettes. En revenant se ranger à la queue des autres hussards restés à quelques pas en arrière, il vit le plus gros de ces généraux qui parlait à son voisin, général aussi, d'un air d'autorité et presque de réprimande ; il jurait. Fabrice ne put retenir sa curiosité ; et, malgré le conseil de ne point parler, à lui donné par son amie la geôlière, il arrangea une petite phrase bien française, bien correcte, et dit à son voisin:

-- Quel est-il ce général qui gourmande son voisin ?
-- Pardi, c'est le maréchal !
-- Quel maréchal?
-- Le maréchal Ney, bêta ! Ah çà! où as-tu servi jusqu'ici ?

Fabrice, quoique fort susceptible, ne songea point à se fâcher de l'injure ; il contemplait, perdu dans une admiration enfantine, ce fameux prince de la Moskova, le brave des braves.

Tout à coup on partit au grand galop. Quelques instants après, Fabrice vit, à vingt pas en avant, une terre labourée qui était remuée d'une façon singulière. Le fond des sillons était plein d'eau, et la terre fort humide, qui formait la crête de ces sillons, volait en petits fragments noirs lancés à trois ou quatre pieds de haut. Fabrice remarqua en passant cet effet singulier ; puis sa pensée se remit à songer à la gloire du maréchal. Il entendit un cri sec auprès de lui : c'étaient deux hussards qui tombaient atteints par des boulets ; et, lorsqu'il les regarda, ils étaient déjà à vingt pas de l'escorte. Ce qui lui sembla horrible, ce fut un cheval tout sanglant qui se débattait sur la terre labourée, en engageant ses pieds dans ses propres entrailles ; il voulait suivre les autres : le sang coulait dans la boue.

Ah ! m'y voilà donc enfin au feu ! se dit-il. J'ai vu le feu ! se répétait-il avec satisfaction. Me voici un vrai militaire. A ce moment, l'escorte allait ventre à terre, et notre héros comprit que c'étaient des boulets qui faisaient voler la terre de toutes parts. Il avait beau regarder du côté d'où venaient les boulets, il voyait la fumée blanche de la batterie à une distance énorme, et, au milieu du ronflement égal et continu produit par les coups de canon, il lui semblait entendre des décharges beaucoup plus voisines ; il n'y comprenait rien du tout.

A ce moment, les généraux et l'escorte descendirent dans un petit chemin plein d'eau, qui était à cinq pieds en contre-bas.

Le maréchal s'arrêta, et regarda de nouveau avec sa lorgnette. Fabrice, cette fois, put le voir tout à son aise ; il le trouva très blond, avec une grosse tête rouge. Nous n'avons point des figures comme celle-là en Italie, se dit-il. Jamais, moi qui suis si pâle et qui ai des cheveux châtains, je ne serai comme ça, ajoutait-il avec tristesse. Pour lui ces paroles voulaient dire : Jamais je ne serai un héros. Il regarda les hussards ; à l'exception d'un seul, tous avaient des moustaches jaunes. Si Fabrice regardait les hussards de l'escorte, tous le regardaient aussi. Ce regard le fit rougir, et, pour finir son embarras, il tourna la tête vers l'ennemi.

Stendhal, La Chartreuse de Parme - Partie I, chapitre 3

Présentation du texte



Passionné par l’Italie car pays privilégié de son utopie pour la chasse au bonheur
Dans une Italie de fiction, le roman met en scène un jeune aristocrate de 17 ans, Fabrice Del Dongo, venu participer aux combats clandestinement.
La bataille de Waterloo est une défaite de Napoléon contre les Anglais = “habits rouges”, belges et hollandais le 18 juin 1815. Signe sa chute car 4 jours après Napoléon abdique. Bataille notamment rendue célèbre par un poème de Victor Hugo “L'expiation”, et relaté dans Les Misérables IIe partie (épique, hommes valorisés) et Mémoires d’Outre-Tombe IIIe partie

Comment cette vision naïve et insolite de la guerre permet elle de caractériser le héros?

I. Un héros naïf et inexpérimenté

A) Un étranger

- Il participe à la guerre clandestinement “conseil de ne point parler”, et ne doit donc pas révéler sa nationalité par son accent. Il souhaite cependant s’intégrer : “une petite phrase bien française”.

- Le décalage de niveau de langue entre sa question “gourmander” et la réponse des soldats “pardi” “ah çà!” accentue l’écart avec les autres

- Également étranger au conflit, scène incompréhensible pour Fabrice : “Fabrice ne comprenait pas” l.4, “il n’y comprenait rien” l.28, “singulier” deux fois dans le texte. Fabrice comprend certains aspects mais n’a pas de vision globale.

- Les phrases interrogatives appuient sur l’incompréhension du héros

- L’étonnement de Fabrice peut être comparé à celui de Candide : les nombreux détails chez Stendhal s’opposent à la vue d’ensemble chez Voltaire. De même, l’étonnement presque heureux de Fabrice n’aboutit pas à une critique alors que l’optimisme de Candide dénonce la guerre.

B) Un enfant spectateur

- Il a alors 17 ans

- Description extérieure avec des termes enfantins : “scandalisé de ce bruit” l.2 la peur vient après chez lui alors que c’est la guerre, “avec satisfaction” alors que combat horrifique

- Perçu comme un enfant dans les discours des maréchaux : “blanc-bec” pour la couleur du bec des jeunes oiseaux, “bêta”, “perdu dans une admiration enfantine”.

- Réflexion de Frabrice déstructurée “puis sa pensée se remit à songer”.

- Il est touché par les blessés, zèle en décalage : “[i]l’escorte s’arrêta ; Fabrice, qui ne faisait pas assez d’attention à son devoir de soldat, galopait t

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