Stendhal, Le Rouge et le Noir - Livre I, chapitre 10: Ascension en montagne

Commentaire entièrement rédigé, en trois parties.

Dernière mise à jour : 25/06/2021 • Proposé par: pierred2 (élève)

Texte étudié

Julien prenait haleine un instant à l’ombre de ces grandes roches, et puis se remettait à monter. Bientôt par un étroit sentier à peine marqué et qui sert seulement au gardien de chèvres, il se trouva debout sur un roc immense et bien sûr d’être séparé de tous les hommes. Cette position physique le fit sourire, elle lui peignait la position qu’il brûlait d’atteindre au moral. L’air pur de ces montagnes élevées communiqua la sérénité et même la joie à son âme. Le maire de Verrières était bien toujours, à ses yeux, le représentant de tous les riches et de tous les insolents de la terre ; mais Julien sentait que la haine qui venait de l’agiter, malgré la violence de ses mouvements, n’avait rien de personnel. S’il eût cessé de voir M. de Rênal, en huit jours il l’eût oublié, lui, son château, ses chiens, ses enfants et toute sa famille. Je l’ai forcé, je ne sais comment, à faire le plus grand sacrifice. Quoi ! Plus de cinquante écus par an ! Un instant auparavant je m’étais tiré du plus grand danger. Voilà deux victoires en un jour ; la seconde est sans mérite, il faudrait en deviner le comment. Mais à demain les pénibles recherches.

Julien, debout, sur son grand rocher, regardait le ciel, embrasé par un soleil d’août. Les cigales chantaient dans le champ au-dessous du rocher, quand elles se taisaient tout était silence autour de lui. Il voyait à ses pieds vingt lieues de pays. Quelque épervier parti des grandes roches au-dessus de sa tête était aperçu par lui, de temps à autre, décrivant en silence ses cercles immenses. L’œil de Julien suivait machinalement l’oiseau de proie. Ses mouvements tranquilles et puissants le frappaient, il enviait cette force, il enviait cet isolement.

C’était la destinée de Napoléon, serait-ce un jour la sienne ?

Stendhal, Le Rouge et le Noir - Livre I, chapitre 10

Introduction

Stendhal fait paraître en 1830 Le Rouge et le Noir, l’un de ses premiers romans, dont la gloire sera posthume. En effet, peu apprécié lorsqu’il parut, l’ouvrage a remporté un immense succès à notre époque, si l’on en juge par ses multiples versions cinématographiques, dont celle de Claude Autant Lara et de J.D.Verhaeghe en 2002. Cette chronique de 1830, d’ailleurs sous-titre du roman, a beaucoup plu aux lecteurs de la fin du 19° et à ceux du 20° siècle, car elle est animée par un mouvement en avant et un élan particulièrement dynamique. Cet élan est celui de l’ambition qui pousse sans cesse le héros vers de nouveaux horizons et de nouvelles batailles, pour sortir de sa condition de pauvre paysan, et parvenir au sommet. La petite ville de Verrières, le séminaire de Besançon, l’hôtel de la Mole à Paris, constituent les grandes étapes de son ascension sociale. Nous éprouvons aussi une grande satisfaction à pénétrer les pensées de Julien Sorel et à nous identifier à lui, grâce à la technique romanesque utilisée fréquemment par l’auteur, la focalisation interne ou vision subjective. Et c’est un personnage attachant, très complexe et ambigu que nous découvrons ainsi, loin de l’image habituelle de l’arriviste ambitieux et sans scrupule, à la façon de Rastignac ou de Bel Ami. Il sait aussi s’abandonner au bonheur de la rêverie et de l’imagination, à l’écart, dans un austère paysage montagnard, comme nous le voyons dans la dernière partie de notre texte (ligne 17 à 25).

Dans notre passage, Julien précepteur des enfants du maire, M. de Rênal, vient de remporter deux victoires. Vivement agité par les scènes vécues récemment, les humiliations reçues, et les affrontements avec ses maitres, il entreprend l’escalade des pentes de la montagne qui domine la ville. Cette ascension constitue sur le plan dramatique une phase de calme après les combats qui ont précédé. Mais l’intérêt reste vif : nous essaierons d’abord d’analyser ce qui fait l’intérêt dramatique de cette promenade, c’est à dire sa valeur pour l’action. Puis nous montrerons tout ce que ce texte révèle sur l’âme du héros, et enfin, la valeur poétique des dernières lignes (17 à 25).

I. L'intérêt dramatique de cette promenade

D’une façon générale, le héros est en guerre avec la société tout entière. Ce roman de l’action se déroule dans un climat continu de tension, de violence verbale ou physique. Julien veut absolument réussir dans la vie et sortir de s

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