La Bruyère, Les Caractères - VIII, 74

Commentaire semi corrigé de niveau 1ère. Note obtenue: 19/20. « Un excellent devoir- rigoureusement construit ».

Dernière mise à jour : • Proposé par: lolo (élève)

Texte étudié

L’on parle d’une région où les vieillards sont galants, polis et civils ; les jeunes gens au contraire, durs, féroces, sans mœurs ni politesse : ils se trouvent affranchis de la passion des femmes dans un âge où l’on commence ailleurs à la sentir ; ils leur préfèrent des repas, des viandes, et des amours ridicules. Celui-là chez eux est sobre et modéré, qui ne s’enivre que de vin : l’usage trop fréquent qu’ils en ont fait le leur a rendu insipide ; ils cherchent à réveiller leur goût déjà éteint par des eaux-de-vie, et par toutes les liqueurs les plus violentes ; il ne manque à leur débauche que de boire de l’eau-forte. Les femmes du pays précipitent le déclin de leur beauté par des artifices qu’elles croient servir à les rendre belles : leur coutume est de peindre leurs lèvres, leurs joues, leurs sourcils et leurs épaules, qu’elles étalent avec leur gorge, leurs bras et leurs oreilles, comme si elles craignaient de cacher l’endroit par où elles pourraient plaire, ou de ne pas se montrer assez. Ceux qui habitent cette contrée ont une physionomie qui n’est pas nette, mais confuse, embarrassée dans une épaisseur de cheveux étrangers, qu’ils préfèrent aux naturels et dont ils font un long tissu pour couvrir leur tête : il descend à la moitié du corps, change les traits, et empêche qu’on ne connaisse les hommes à leur visage. Ces peuples d’ailleurs ont leur Dieu et leur roi : les grands de la nation s’assemblent tous les jours, à une certaine heure, dans un temple qu’ils nomment église ; il y a au fond de ce temple un autel consacré à leur Dieu, où un prêtre célèbre des mystères qu’ils appellent saints, sacrés et redoutables ; les grands forment un vaste cercle au pied de cet autel, et paraissent debout, le dos tourné directement au prêtre et aux saints mystères, et les faces élevées vers leur roi, que l’on voit à genoux sur une tribune, et à qui ils semblent avoir tout l’esprit et tout le cœur appliqués. On ne laisse pas de voir dans cet usage une espèce de subordination ; car ce peuple paraît adorer le prince, et le prince adorer Dieu. Les gens du pays le nomment *** ; il est à quelques quarante-huit degrés d’élévation du pôle, et à plus d’onze cents lieues de mer des Iroquois et des Hurons.

La Bruyère, Les Caractères - VIII, 74

La cour de Versailles a fait l’objet de multiples critiques de la part des moralistes du XVIIè. [auteur-œuvre] A l’instar de ses contemporains, La Bruyère nous en fait une peinture satirique dans son unique œuvre, Les caractères, publiée en 1688, à laquelle il consacre une partie intitulée « De la Cour ».

[texte étudié] Ce moraliste classique fustige audacieusement dans cet extrait les mœurs et les excès qui y règne en la situant prudemment dans un pays imaginaire. [problématique] En quoi cette utopie inversée permet-elle d’accentuer sa critique ?[plan] Nous verrons que ce récit fictif grâce au regard extérieur porté sur la cour (I) permet d’en faire une féroce satire en dénonçant ses absurdités (II).

I. Un faux récit de voyage

a) Dans un pays (faussement) imaginaire

Ce récit relève de l’apologue (une argumentation indirecte) est doublement fictif: parce que le narrateur feint de ne pas le connaître « l’on parle de » : récit basé sur des ouï- dire. Mais parce qu'il situé dans un pays faussement lointain et inconnu : « Une région, cette contrée, ces peuples d’ailleurs, les gens du pays ».

Cette localisation imprécise s’oppose à la précision géographique de la dernière phrase : « il est à quarante huit degrés du pôle et à plus de onze cent lieus de de mer des Iroquois » indiquant la latitude du Versailles.

b) Le regard distancié d’un observateur étranger

Qui feint de découvrir une nouvelle terre : la multiplication des indéfinis « On, une région, à une certaine heure, une espèce de ». Cela donne également une impression de flou.

Le narrateur est exclu de cet univers: les démonstratifs « ceux qui, ces peuples » et les termes généraux « les vieillards, les femmes, les gens du pays, chez eux » montre que l'univers ne lui est pas familier, lui permettant de porte un regard faussement naïf et neuf « un temple qu’ils nomment église ; mystères qu’ils appellent saints » pour souligner par la suite l’étrangeté des mœurs afin de les critiquer.

c) Une peinture sociologique du microcosme de la cour, comme un reportage

Les habitants sont catégorisés pour mieux généraliser le propos: par âge, sexe ou rang social « subordination ». Les vieillards (seuls à bénéficier de termes mélioratifs) font l'objet d'une énumération « galants, polis et civils ». Les jeunes gens et les femmes ont une description plus longue car plus critique. On a enf

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