Peut-on forcer quelqu'un à être libre ?

Devoir maison.

Dernière mise à jour : 05/08/2023 • Proposé par: Emy2005 (élève)

« L’homme est condamné à être libre » cette citation au cœur de la pensée existentialiste de Sartre signifie que l’homme a pour seule limite sa liberté et sa capacité de choisir, et montre déjà le paradoxe présent dans la question posée. Ainsi la liberté peut se définir au sens psychologique du terme comme un pouvoir intérieur de se déterminer par soi-même, indépendamment de toute contrainte. Mais elle peut se comprendre également par l'autonomie, c'est-à-dire comme le pouvoir de déterminer par soi-même ses propres règles d'action, du grec auto (soi-même) et nomos (la loi). La liberté se définit ainsi à l'origine en un sens politique : liber, en latin, désigne le statut de l'homme libre, c'est-à-dire du citoyen. Ainsi, les termes “forcer” et “libres” sont des oxymores: soit nous sommes libres de faire ce que nous voulons et nous ne sommes pas obligés de faire quoi que ce soit ou soit nous ne sommes pas libres et nous sommes obligés de faire quelque chose par contrainte.

Cependant, ne devons-nous pas instaurer des contraintes à l’homme, car rempli de vices ? En effet, l’homme est à la fois un être raisonnable et sensible mais à cause de cette sensibilité sa raison est affaibli. Comment l’enfant peut-il apprendre sans contraintes, lui qui à l’habitude de céder à ses penchants sensibles ? Ainsi, est-il possible d'imposer une contrainte à quelqu’un en supposant que celui-ci sera libre ? De prime abord, il semble impossible d’après la définition de la liberté, de forcer quelqu’un à être libre puisque celui-ci l'est déjà (I). Mais dans la mesure où l’homme est un être sensible soumis à ses penchants, à des règles et des conventions de sa société, on doit lui imposer des contraintes, nécessaires à sa liberté (II), Or la liberté relève avant tout d’un rapport à autrui (III). Ainsi, est-il légitime de contraindre quelqu’un à vivre sans contrainte ?

I. Par définition, il semble impossible d’imposer à quelqu’un d’être libre

Selon le Larousse, la liberté se définit comme la situation de quelqu'un qui se détermine en dehors de toute pression extérieure ou de tout préjugé: l’individu est le seul maître de ces décisions, sans être contraint par une force externe à la sienne, puisqu’il détient le libre arbitre.

Le philosophe médiéval, Anselme, présente le libre arbitre au moyen d'un exemple. Supposons un homme résolu à toujours servir la cause de la vérité car il sait qu'aimer la vérité est juste. Cet amour est le mobile de son devoir. Il se sent obligé de ne jamais mentir pour ne pas le trahir. Imaginons maintenant que cet homme soit menacé de mort au cas où il ne mentirait pas. Que choisira-t-il de faire ? Anselme écrit que « la volonté est une chose, la rectitude qui la rend droite en est une autre ». Cette distinction signifie que la rectitude est issue d'une décision volontaire. C'est une qualité que la volonté se donne. Elle est donc capable de se déterminer par elle-même. Mais ceci signifie que la volonté peut refuser d'être droite. Elle est libre de mentir comme de dire la vérité. Elle a le choix entre rester morale ou cesser de l'être. L’homme peut faire le mal tout en sachant où se trouve le bien et c’est ce qui définit même sa liberté. Descartes s'inscrit dans cette pensée: il estime que tout ce qui découle de la volonté est un choix libre, un acte libre. Ainsi, pour Descartes, c'est l'exercice de la volonté qui constitue le libre arbitre de l'être humain. La volonté étant universelle et infinie, elle est donc présente en chacun de nous. Il nous paraît impossible de forcer qui que ce soit à être libre puisque cette personne l’est déjà grâce à cette volonté.

Pour nous appuyer sur une autre pensée, prenons celle de Sartre qui affirme que l’homme est libre puisqu’il est responsable de ses actes. Donc l’homme qui assure la responsabilité de ses actes dont l’acte d’obéir, n’est en cela pas seulement l’auteur de ceux-ci mais aussi la cause, et c’est en agissant en connaissance de cause que l’homme est libre. Dans le sens de la question, on pourrait donc penser que contraindre un homme à connaître les causes de ses actes le rendrait libre, mais Sartre affirme dans L’Existentialisme est un Humanisme que l’homme peut faire tous les choix, sauf celui de ne pas être libre puisqu’il est condamné à l’être et qu'il se définit par les conséquences de ces actes. Ainsi selon la pensée de Sartre, nous ne pouvons pas forcer une personne à être libre car elle l’est par nature. Mais pouvons-nous forcer une personne à être libre sur le plan de l’action morale ?

Kant dans la Métaphysique des Moeurs, affirme que la liberté est liée à l'obéissance de loi de la raison qui permet à l’homme de réaliser des actions morales. En d’autres termes, pour être moralement bonne, l'action doit être réalisée par devoir et pour qu'une action soit bonne moralement, c'est-à-dire pour qu'elle soit faite par devoir, il faut que ce soit la raison qui nous dicte cette action et non la sensibilité ou les désirs. Par exemple, si deux personnes accomplissent la même action, seule l'intention qui préside à la réalisation de l'action permet de déterminer s'il s'agit d'une action bonne. Ainsi, si deux personnes font un don, l'une par charité, l'autre pour soigner sa réputation, alors seule la première a réalisé une action morale. Or Kant indique que l’obligation reste une contrainte à notre volonté car la volonté de l’homme autonome ne s’impose qu’à elle-même et cette autonomie permet la liberté. Ainsi, contraindre quelqu’un selon la vision de Kant est impossible car si l’on suit l’idée de l’action morale si celle ci est imposée par quelqu’un par exemple sous l'influence d’une récompense cette action ne sera plus morale puisque l’action sera dictée par les désirs et la sensibilité.

Ainsi l'homme décide seul de ses actions, avec son propre entendement. Mais est-ce vraiment le cas pour l’ensemble des individus ?

II. Mais l’homme, soumis à ses penchants, a besoin de contraintes pour être libre

Qu’il soit absurde de contraindre quelqu’un à être libre ne signifie pas qu’il est impossible de concilier l’idée de liberté et contrainte.

En effet, ni le pédagogue ni le législateur ne s'en remettent à la bonne volonté des hommes pour obtenir l'obéissance de la loi. Un usager d’un bus qui ne paye pas son ticket sera sanctionné. Idem pour l’enfant qui n’écoute pas ses parents ou l’élève qui n’a pas fait ses devoirs. Avant d’être un sujet moral, l’homme est un sujet sensible. Ainsi les représentants de l’ordre n’ont-ils pas le droit de faire usage de la force dans l'intérêt de la liberté de chacun ? Ne faut-il pas reconnaître la légitimité de ce pouvoir ? Nous avons vu précédemment que la force et la liberté, bien à ce que l’on pensait au début, ne sont pas si incompatibles dans ce cas là où l’homme a besoin d’un maître tant qu’il est incapable d’être son propre maître. Ainsi la responsabilité des autorités en charge de l’idéal de liberté n’est t-il pas pour le pédagogue, d’aider l’enfant à surmonter ce qui l’aliène en exerçant une contrainte sur sa paresse et pour le législateur de contraindre la liberté sauvage pour instaurer la liberté civil ? Pour illustrer cet argument, référons nous au philosophe du libéralisme, John Locke.

John Locke, inventeur de la conception libérale de l’Etat, constate que le droit fondamental de l’homme est sa conservation mais il n’y a pas chez lui l’idée que la violence de l'état de nature procède “de la tendance naturelle des hommes à se faire mutuellement du mal” comme le disait Hobbes. Mais un désir va être à l’origine d'une division des hommes entre eux: le désir de possession à l’origine du droit de propriété privé. La propriété est donc un droit naturel indispensable. Son fondement matériel et moral est le travail. Par exemple, celui qui cueille les pommes effectue une tâche, l'œuvre de ses mains est incorporée dans son bien. Ainsi en vouloir à sa propriété revient à en vouloir à son travail sur lequel nul n’a aucun droit car “c’est en fait le travail qui donne à toute chose sa propre valeur” comme le disait John Locke.

Ce désir de possession donne lieu à des conflits qui demandent la création d’un tiers juge qui est l’Etat, et de passer un contrat civil. L'individu qui passe ce contrat y gagne la préservation de sa liberté naturelle et une nouvelle liberté, celle de la liberté civile. Par la possession d’une liberté civile, on reconnaît la reconnaissance d’une sphère privée où nul ne peut imposer au sujet sa croyance, ni l’Etat, mais aussi une sphère public sur laquelle l’Etat intervient. l’Etat peut demander aux hommes en tant que citoyens de mettre leur liberté civil au service de leur pays par exemple en les appelant à combattre où à les inciter à passer un service militaire. Ainsi la conception libérale de Locke repose sur l'équilibre existant entre la liberté naturelle d’un côté et la liberté civile de l’autre.

Ainsi dans le cas où le sujet est dit responsable, ces lois ne sont jamais vues comme des contraintes mais plutôt une aide à l’exercice de ses libertés. Mais cette liberté a t-elle un sens, si celle-ci n'est observée qu'à la hauteur de l'individu ? En effet, à quoi bon accepter les contraintes si celles-ci ne nous donnent pas de droits ?

III. La liberté relève du rapport à autrui

Forcer l'homme à être libre n'est-il pas forcer l'homme à se respecter en respectant ses pairs ? En d'autres termes, à être un citoyen ? Nous pouvons ici nous référer à Rousseau, philosophe des Lumières qui s’est beaucoup influencé de John Locke.

En effet il défend la même idée de John Locke, comme quoi la liberté, c'est le pouvoir de faire ce que les lois permettent. Dans son ouvrage Du Contrat social, il y précise les raisons pour lesquelles l’homme qui a pourtant contracté peut se tourner vers lui-même et oublier les intérêts politiques communs. En effet, l’individu social raisonne mal. Il croit pouvoir s’extraire du corps social pour en éviter les sacrifices mais en demeurer membre lorsqu’il peut en tirer profit. Mais alors quels sont les remèdes pour garantir le pacte social et éviter que les individus mus par leurs intérêts propres ne menacent l’existence même de ce corps ? Rousseau l’explique dans cette citation : "Quiconque refusera d'obéir à la volonté générale y sera contraint par tout le corps ; ce qui ne signifie autre chose sinon qu'on le forcera d'être libre." Ainsi, il faut que le pacte se fasse contraignant, qu’il s’impose aux individus contre leur volonté. Il faut tout faire pour éviter que le pacte soit un « vain formulaire », soit une série de formules creuses et qui resteraient sans effets. Ce pacte implicite doit être doté de principes eux-mêmes implicites, dont l’idée selon laquelle le Souverain peut contraindre l’individualité.

En d’autres termes, et tel est le sens de cette contrainte, le pacte doit affirmer la primauté du corps politique sur l’individualité, et légitimer ainsi la domination de la volonté générale sur la volonté particulière en cas de conflit. Cela est à la fois une nécessité politique et une exigence rationnelle, les deux étant au fond la même chose puisque la raison constitue le mal et le remède de la condition humaine. Mais l’individu, lui, se refuse à obéir à une telle volonté. Il va donc falloir contraindre l’individu en vue d’en faire un citoyen libre, c’est-à-dire brimer la liberté individuelle afin d’exalter la liberté politique: telle est la signification de ce paradoxe par lequel on force l’individu à être libre, c’est-à-dire à ne plus être individu mais à être membre du corps politique, à être citoyen.

Cette idée ne nous viendrait pas tout de suite à l’esprit puisqu’il est compliqué de réaliser que notre liberté relève d’un rapport avec autrui soit d’une relation intersubjective. Pour illustrer cet argument, référons nous sur cet adage connu de John Stuart Mill. “La liberté des uns s'arrête là où commence celle des autres”. Cet adage s’applique aujourd’hui dans notre société et nous incite à restreindre nos libertés en communauté car penser à la liberté des autres c’est pensée à sa liberté. Ainsi nous ne pouvons pas dire que l’homme narcissique est libre. Par exemple, la Déclaration universelle des droits de l’homme précise les droits fondamentaux de l’homme. Mais ces droits sont respectés par tous les hommes et pour tous les hommes. Ainsi l’homme doit comprendre que son bien être a une dimension sociale.

Conclusion

Pour conclure nous pouvons affirmer que cette question est un total paradoxe pour l’esprit. On a démontré que contraindre quelqu’un à être libre est quasiment impossible à faire mais forcer l’individu à être libre, c’est au fond forcer l’individu à devenir citoyen en le ramenant de force au cœur du corps politique pour lui rappeler qu’il en est un membre et qu’il ne peut s’en extraire.