Molière, Le Malade imaginaire - Acte III, scène 10

Une copie faite à la main par élève de première en devoir maison.

Dernière mise à jour : 07/05/2023 • Proposé par: Audreyyy2222 (élève)

Texte étudié

TOINETTE déguisée en médecin, ARGAN

TOINETTE.- Je suis médecin passager, qui vais de ville en ville, de province en province, de royaume en royaume, pour chercher d’illustres matières à ma capacité, pour trouver des malades dignes de m’occuper, capables d’exercer les grands, et beaux secrets que j’ai trouvés dans la médecine. Je dédaigne de m’amuser à ce menu fatras de maladies ordinaires, à ces bagatelles de rhumatismes et de fluxions, à ces fiévrottes, à ces vapeurs, et à ces migraines. Je veux des maladies d’importance, de bonnes fièvres continues, avec des transports au cerveau, de bonnes fièvres pourprées, de bonnes pestes, de bonnes hydropisies formées, de bonnes pleurésies, avec des inflammations de poitrine, c’est là que je me plais, c’est là que je triomphe ; et je voudrais, Monsieur, que vous eussiez toutes les maladies que je viens de dire, que vous fussiez abandonné de tous les médecins, désespéré, à l’agonie, pour vous montrer l’excellence de mes remèdes, et l’envie que j’aurais de vous rendre service.

ARGAN.- Je vous suis obligé, Monsieur, des bontés que vous avez pour moi.

TOINETTE.- Donnez-moi votre pouls. Allons donc, que l’on batte comme il faut. Ahy, je vous ferai bien aller comme vous devez. Hoy, ce pouls-là fait l’impertinent ; je vois bien que vous ne me connaissez pas encore. Qui est votre médecin ?

ARGAN.- Monsieur Purgon.

TOINETTE.- Cet homme-là n’est point écrit sur mes tablettes entre les grands médecins. De quoi, dit-il, que vous êtes malade ?

ARGAN.- Il dit que c’est du foie, et d’autres disent que c’est de la rate.

TOINETTE.- Ce sont tous des ignorants, c’est du poumon que vous êtes malade.

ARGAN.- Du poumon ?

TOINETTE.- Oui. Que sentez-vous ?

ARGAN.- Je sens de temps en temps des douleurs de tête.

TOINETTE.- Justement, le poumon.

ARGAN.- Il me semble parfois que j’ai un voile devant les yeux.

TOINETTE.- Le poumon.

ARGAN.- J’ai quelquefois des maux de cœur.

TOINETTE.- Le poumon.

ARGAN.- Je sens parfois des lassitudes par tous les membres.

TOINETTE.- Le poumon.

ARGAN.- Et quelquefois il me prend des douleurs dans le ventre, comme si c’était des coliques.

TOINETTE.- Le poumon. Vous avez appétit à ce que vous mangez ?

ARGAN.- Oui, Monsieur.

TOINETTE.- Le poumon. Vous aimez à boire un peu de vin ?

ARGAN.- Oui, Monsieur.

TOINETTE.- Le poumon. Il vous prend un petit sommeil après le repas, et vous êtes bien aise de dormir ?

ARGAN.- Oui, Monsieur.

TOINETTE.- Le poumon, le poumon, vous dis-je.

[...]

Molière, Le Malade imaginaire - Acte III, scène 10

Jean-Baptiste Poquelin, de son nom d'auteur Molière, est un écrivain du XVIIe siècle. Il est un auteur emblématique du classicisme, écrivant de nombreuses œuvres théâtrales, et en y exploitant des procédés typiques de la commedia dell’arte. La dernière pièce écrite par Molière est Le Malade imaginaire, une pièce en prose et en trois actes, parue en 1673. Cette pièce fait partie des comédies-ballets où le principal enjeu est le divertissement de la cour. Les thèmes essentiels de Molière est la place de la femme, l’aliénation familiale et la tyrannie du père ou du fou ainsi que le jeu avec soi-même.

Dans cette dixième scène de l'acte III, la servante Toinette, en voyant le désespoir d’Angélique, décide de jouer un tour à Argan en lui annonçant l’arrivée d’un médecin qui est joué par elle-même. Ainsi, dans cette scène, Toinette va procéder à une auscultation d’Argan. Les deux personnages sont les seuls présents. Leur conversation est dominée par Toinette, avec temps de parole est largement supérieur, qui pose plusieurs questions à Argan au sujet de sa maladie et ses symptômes durant ‘’l’auscultation’’. En quoi cette extrait dénonce la médecine par l'humour ? Pour y répondre, nous verrons dans un premier temps les différents procédés comiques utilisés dans l'extrait. Puis nous montrerons en quoi cette scène est une satire de la médecine.

I. L'utilisation de différents procédés comiques

En premier lieu, nous remarquons que les deux personnages, Argan et Toinette, formulent le comique de manières différentes.

a) Toinette dans le registre satirique

Toinette, grâce à une imitation moqueuse, parodie le discours des médecins avec un registre satirique. On voit que ce faux-médecin incarne le comique de situation car elle donne l’opportunité à l’audience de rire avec elle de l’ignorance d’Argan. En étant masquée en médecin sans qu’Argan le sache, Toinette, adopte un langage médical et utilise des termes médicaux avec un ton ironique. Elle utilise aussi des expressions telles que “bagatelles de rhumatisme et de fluxions, à ces fiévrotes, à ces vapeurs, et à ces migraines” aux lignes 4 et 5, qui montre l’emploi du jargon médical. Les interjections “Ah !” et “Ouais !” se trouvant après l’impératif “Donnez-moi votre pouls.” aux lignes 12 et 13, arborent le comique de geste et représentent des didascalies internes où nous pourrions comprendre que Toinette est en train de prendre le bras d’Argan pour l’ausculter alors qu’elle n’est pas réellement un médecin.

Enfin, grâce aux nombreuses répliques de Toinette, nous retrouvons également le comique de mots. Dans cette scène, ce type de comique est formé par la répétition du mot “poumon” avec “C’est du poumon que vous êtes malade” ligne 19, “Justement, le poumon” ligne 23, “Le poumon” aux lignes 25 ; 27 ; 29 ; 31 ; 33 ; 35 et 37, cependant nous pouvons voir que Toinette pose des questions afin de faire un diagnostic mais que ces questions n’ont rien à voir avec le poumon par rapport aux nombreux symptômes que lui liste Argan, mais continue de donner comme diagnostic « le poumon » ce qui ajoute un ton comique à la scène.

b) Argan, le comique de caractère

Argan, lui, incarne plutôt le comique de caractère. En effet, les réponses du “malade” qui ne se rend pas compte de l’absurdité et de l’incohérence des questions que lui pose Toinette et qui continuent d’y répondre aveuglément en ne se rendant compte de rien dénoncent le ridicule de ce personnage hypochondriaque. La phrase “Il dit que c’est du foie, et d’autres disent que c’est de la rate” à la ligne 18, exhibe le fait qu’Argan a déjà consulté nombre de médecins qui lui disent à chaque fois un diagnostic différent mais pour lui, c’est normal puisqu’il se croit gravement malade.

II. La satire de la médecine

Aussi, cette scène est une satire de la médecine, car elle présente l’image satirique du médecin, et Toinette y fait un diagnostic parodique.

a) Une image satirique du médecin

Nous pouvons voir, à l’aide de la gradation ternaire “de ville en ville, de province en province, de royaume en royaume” à la ligne 1, l’illustration de la prétention et de la volonté que Toinette à impressionner son interlocuteur. Toinette, se présentant comme médecin dans sa première prise de parole, ne veut pas s’occuper des maladies qu’elle caractérise comme ordinaires comme nous le voyons à la ligne 4, “je dédaigne de m’amuser à ce menu fatras de maladies ordinaires”, ce qui est contraire à un vrai rôle de médecin. Cette contradiction laisse penser que Toinette veut prouver son savoir-faire pour satisfaire son ego. Son comportement hautain mais tout de même bienveillant est mis en exergue par le champ lexical du mépris moyennant à “menu fatras”, “maladies ordinaires” et “bagatelles” à la ligne 4.

b) Un diagnostic parodique

Le fait que cette scène soit une satire de la médecine est illustré par le diagnostic parodique que Toinette propose à Argan ainsi que par l’utilisation de l’impératif “donnez-moi votre pouls” à la ligne 12, où Toinette met son autorité d’homme de science en avant. En effet, les symptômes de maladie énoncé par Argan et le diagnostic de Toinette forment un contraste et amènent à un effet comique de la scène. Argan, dans ses réponses, utilise le champ lexical de la maladie et du corps au moyen de “douleurs de tête” ligne 22, “un voile devant les yeux” ligne 24, “maux de cœur” ligne 26, “douleurs dans le ventre” ligne 30, mais nous pouvons cependant remarquer que ceux-ci ne correspondent pas au constat établit par Toinette qui est “le poumon”.

Aussi, l’anaphore “Le poumon” contribue à cette satire médicale car le faux médecin fait son jugement sans y réfléchir. Le lecteur ou le spectateur pourrait alors croire qu’elle fait celui-ci au hasard, voir machinalement sachant que Toinette pose des questions banales qui sont en rapport avec le quotidien du malade imaginaire, nous pouvons le remarquer avec “vous avez appétit à ce que vous mangez” ligne 31, “vous aimez à boire un peu de vin” ligne 33 et “il vous prend un petit sommeil après le repas […]” ligne 35.

Conclusion

Cette scène du Malade imaginaire montre une satire de la médecine, qui va du diagnostic au traitement que nous pouvons voir à travers le travestissement de Toinette en faux médecin. Cette satire est une critique moqueuse des médecins qui abusent de la confiance de leurs patients. En effet, cette scène dénonce l’incapacité des médecins à exercer leur métier et leur savoir-faire grâce à l’aspect comique renvoyé au spectateur. La naïveté d’Argan, donc du patient est un exemple d’abus de la part de Toinette.

Nous pourrions relier cette scène au livre Le Médecin malgré lui, une pièce de théâtre écrite par Molière où Sganarelle bat sa femme, et celle-ci pour se venger, décide de le faire passer pour un faux médecin qui n’accepte d’ausculter qu’après avoir reçu des coups de bâton.