Molière, Le Malade imaginaire - Acte III, scène 10

Commentaire composé, où il manque juste l'introduction.

Dernière mise à jour : 01/02/2022 • Proposé par: jblefou (élève)

Texte étudié

TOINETTE, en médecin, ARGAN, BERALDE

TOINETTE.- Monsieur, je vous demande pardon de tout mon cœur.

ARGAN.- Cela est admirable.

TOINETTE.- Vous ne trouverez pas mauvais, s'il vous plaît, la curiosité que j'ai eue de voir un illustre malade comme vous êtes; et votre réputation, qui s'étend partout, peut excuser la liberté que j'ai prise.

ARGAN.- Monsieur, je suis votre serviteur.

TOINETTE.- Je vois, monsieur, que vous me regardez fixement. Quel âge croyez-vous bien que j'aie?

ARGAN.- Je crois que tout au plus vous pouvez avoir vingt-six ou vingt-sept ans.

TOINETTE. - Ah! Ah! Ah! Ah! Ah! J’en ai quatre-vingt-dix.

ARGAN.- Quatre-vingt-dix!

TOINETTE.- Oui. Vous voyez en effet des secrets de mon art, de me conserver ainsi frais et vigoureux.

ARGAN.- Par ma foi, voilà un beau jeune vieillard pour quatre-vingt-dix ans!

TOINETTE.- Je suis médecin passager, qui vais de ville en ville, de province en province, de royaume en royaume, pour chercher d'illustres matières à ma capacité, pour trouver des malades dignes de m'occuper, capables d'exercer les grands et beaux secrets que j'ai trouvés dans la médecine. Je dédaigne de m'amuser à ce menu fatras de maladies ordinaires, à ces bagatelles de rhumatismes et de fluxions, à ces fièvrotes, à ces vapeurs et à ces migraines. Je veux des maladies d'importance, de bonnes fièvres continues, avec des transports au cerveau, de bonnes fièvres pourprées, de bonnes pestes, de bonnes hydropisies formées, de bonnes pleurésies avec des inflammations de poitrine: c'est là que je me plais, c'est là que je triomphe; et je voudrais, monsieur, que vous eussiez toutes les maladies que je viens de dire, que vous fussiez abandonné de tous les médecins, désespéré, à l'agonie, pour vous montrer l'excellence de mes remèdes et l'envie que j'aurais de vous rendre service.

ARGAN.- Je vous suis obligé, monsieur, des bontés que vous avez pour moi.

TOINETTE.- Donnez-moi votre pouls. Allons donc, que l'on batte comme il faut. Ah! Je vous ferai bien aller comme vous devez. Ouais! Ce pouls-là fait l'impertinent; je vois bien que vous ne me connaissez pas encore. Qui est votre médecin?

ARGAN.- Monsieur Purgon.

TOINETTE.- Cet homme-là n'est point écrit sur mes tablettes entre les grands médecins. De quoi dit-il que vous êtes malade?

ARGAN.- Il dit que c'est du foie, et d'autres disent que c'est de la rate.

TOINETTE.- Ce sont tous des ignorants. C'est du poumon que vous êtes malade.

ARGAN.- Du poumon?

TOINETTE.- Oui. Que sentez-vous?

ARGAN.- Je sens de temps en temps des douleurs de tête.

TOINETTE.- Justement, le poumon.

ARGAN.- Il me semble parfois que j'ai un voile devant les yeux.

TOINETTE.- Le poumon.

ARGAN.- J'ai quelquefois des maux de cœur.

TOINETTE.- Le poumon.

ARGAN.- Je sens parfois des lassitudes par tous les membres.

TOINETTE.- Le poumon.

ARGAN.- Et quelquefois il me prend des douleurs dans le ventre, comme si c'étaient des coliques.

TOINETTE.- Le poumon. Vous avez appétit à ce que vous mangez?

ARGAN.- Oui, monsieur.

TOINETTE.- Le poumon. Vous aimez à boire un peu de vin.

ARGAN.- Oui, monsieur.

TOINETTE.- Le poumon. Il vous prend un petit sommeil après le repas, et vous êtes bien aise de dormir?

ARGAN.- Oui, monsieur.

TOINETTE.- Le poumon, le poumon, vous dis-je. Que vous ordonne votre médecin pour votre nourriture?

ARGAN.- Il m'ordonne du potage.

TOINETTE.- Ignorant!

ARGAN.- De la volaille.

TOINETTE.- Ignorant!

ARGAN.- Du veau.

TOINETTE.- Ignorant!

ARGAN.- Des bouillons.

TOINETTE.- Ignorant!

ARGAN.- Des œufs frais.

TOINETTE.- Ignorant!

ARGAN.- Et, le soir, de petits pruneaux pour lâcher le ventre.

TOINETTE.- Ignorant!

ARGAN.- Et surtout de boire mon vin fort trempé.

TOINETTE.- Ignorantus, ignoranta, Ignorantum. Il faut boire votre vin pur, et, pour épaissir votre sang, qui est trop subtil, il faut manger de bon gros bœuf, de bon gros porc, du bon fromage de Hollande; pour coller et conglutiner. Votre médecin est une bête. Je veux vous en envoyer un de ma main; et je viendrai vous voir de temps en temps, tandis que je serai en cette ville.

ARGAN.- Vous m'obligerez beaucoup.

TOINETTE.- Que diantre faites-vous de ce bras-là ?

ARGAN.- Comment ?

TOINETTE.- Voilà un bras que je me ferais couper tout à l’heure, si j’étais que de vous.

ARGAN.- Et pourquoi ?

TOINETTE.- Ne voyez-vous pas qu’il tire à soi toute la nourriture, et qu’il empêche ce côté-là de profiter ?

ARGAN.- Oui, mais j’ai besoin de mon bras.

TOINETTE.- Vous avez là aussi un œil droit que je me ferais crever, si j’étais en votre place.

ARGAN.- Crever un œil ?

TOINETTE.- Ne voyez-vous pas qu’il incommode l’autre, et lui dérobe sa nourriture ? Croyez-moi, faites-vous-le crever au plus tôt, vous en verrez plus clair de l’œil gauche.

ARGAN.- Cela n'est pas pressé.

TOINETTE.- Adieu. Je suis fâché de vous quitter si tôt; mais il faut que je me trouve à une grande consultation qui doit se faire pour un homme qui mourut hier.

ARGAN.- Pour un homme qui mourut hier?

TOINETTE.- Oui: pour aviser et voir ce qu'il aurait fallu lui faire pour le guérir. Jusqu'au revoir.

ARGAN.- Vous savez que les malades ne reconduisent point.

BERALDE.- Voilà un médecin, vraiment, qui paraît fort habile!

ARGAN.- Oui; mais il va un peu bien vite.

BERALDE.- Tous les grands médecins sont comme cela.

ARGAN.- Me couper un bras et me crever un oeil, afin que l'autre se porte mieux! J'aime bien mieux qu'il ne se porte pas si bien. La belle opération, de me rendre borgne et manchot!

Molière, Le Malade imaginaire - Acte III, scène 10

I. La comédie dans la comédie

Toinette joue la comédie de la médecine pour désabuser Argan.

a) Le costume

Le costume suffit pour être pris pour un médecin; l’apparence suffit donc. Cette apparition de Toinette en médecin renforce par ailleurs l’illusion du théâtre dans le théâtre. De même (l.3) le dialogue « cela est admirable » confirme l'illusion par la crédulité d’Argan.

Toinette dit (l.9)« je vois monsieur, que vous me regardez fixement », ce qui introduit la justification de Toinette sur son âge. On a ici un renforcement de l’illusion théâtrale, en même temps qu'une éloge de la médecine, car elle éviterait le vieillissement, mais c’est bien sûr ironique dans la bouche de Toinette.

Le rire exagéré de Toinette a une valeur hyperbolique. Son âge serait très avancé pour l’époque.
(l.17)« un beau jeune vieillard »: cet oxymore renforce l’illusion théâtrale.

b) Le langage

Toinette imite le galimatias de la médecine de l’époque, une langage alambiqué et ridicule et un langage destiné à impressionner les malades par le soi-disant savoir et le peur (l.40) « Ce pouls là fait l’impertinent », (l.89) « épaissir votre sang qui est trop subtil », (l.92) « pour coller et conglutiner ». On est dans une parodie du langage des médecins (l.90) « bon gros bœuf, bon gros porc, de bon fromage de Hollande ». Les médecins aiment les énumérations etToinette énumère de la nourriture au lieu de remèdes. L'utilisation du latin de cuisine (l.88) « Ignorantus, ignoranta, ignorantum ! » est destiné à impressionner. Le langage affecté, complètement artificiel (l.44) « ce médecin là n’est point écrit sur mes tablettes des grands médecins » dénigre M. Purgon

Toinette flatte ici la manie d’Argan. Au contraire de la scène2, acte 1, Toinette abonde dans le sens d'Argan (l.5) « illustre malade comme vous êtes »: elle fait son éloge, hyperbolique mais ironique. Cela sert à désarmer son esprit critique. Elle use de la flatterie : (l.93) « je vais vous en envoyer un de ma main », flatterie qui vise ici son hypocondrie. (l.96) « Vous m’obligerez beaucoup »: elle va au devant des désirs d’Argan.

Béralde va dans le sens de Toinette: (l.119) « Voilà un médecin qui paraît fort habile », (l.121) « Tous les grands médecins sont comme cela » pour au final détourner Argan de la médecine

c) La comédie atteint son but

(l.111) « Cela n’est pas pressé »: pour la première fois, Argan est réticent a une prescription médicale. (l.120) « il va un peu bien vite » est un oxymore qui traduit le désarroi d'Argan devant les prescriptions du médecin, comme s’il n’était plus aussi malade.

Les phrases nominales expriment le désarroi d’Argan devant le charlatanisme (l.122) « me couper un bras, me crever un œil ». (l.123) « J’aime bien mieux qu’il ne se porte pas si bien »: Argan reconnaît que les remèdes peuvent être pire que les maux.

Conclusion : Cette comédie caricaturale de la médecines réussit à détourner Argan des médecins alors que les railleries de Toinette et le bon sens de Béralde n’avaient pu y parvenir.

II. La satire de la médecine

a) La prétention

Les termes hyperboliques (l.5) « illustre », (l.23) « grands et beaux », (l.22)« dignes » sont la marque de la prétention. Ils sont ridicules et masquent la volonté d’impressionner le patient. L'utilisation d’un langage médical cache le mépris des maladies et des maux ordinaires : « bagatelle », « fatras », « fiévrotte »: les malades servent seulement à mettre en valeur une maladie et le médecin.

Les oxymores comiques comme « bonnes pestes » indiquent le cynisme des médecins. « Je voudrais que vous eussiez toutes les maladies que je viens de dire, que vous fussiez abandonné de tous les médecins »: la gradation et le vœu sont paradoxales pour un médecin. « c’est là que je me plais, c’est là que je triomphe » le but est uniquement personnel: la gloire du médecin et non guérison du malade. Il se vante de connaître de grands médecins. Il traite ses confrères d’ignorants, et ceci est renforcé par le comique de répétition; il y a une concurrence entre eux.

b) Le charlatanisme

« Il dit que c’est du foie et d’autres de la rate »: dénonce l’incompétence des médecins.

Toinette est en désaccord avec M. Purgon sur le régime alimentaire. Consultation caricaturale et la répétition de « le poumon » invalide les précédents diagnostics. Argan a des maux sans gravité que Toinette présente comme des symptômes, et ment sur l'effet de ses soins: « Vous voyez un des effets secrets de mon art », « Je vous ferai bien aller comme vous devez »

c) L'absurdité

« battre comme il faut », « crever un œil, couper un bras »: la prescription est extrême. « ne voyez vous pas »: le diagnostic est absurde. Dénoncé par le comique de répétition, après avoir voulu lui couper un bras, elle veut lui crever un œil.

Le raisonnement est lui-même absurde « voir ce qu’il aurait fallu faire pour le guérir »

Conclusion : cette scène totalement burlesque caricature une consultation médicale afin de dénoncer la prétention et le charlatanisme des médecins.

Conclusion

Cette comédie dans la comédie est à la fois un éloge du théâtre qui parvient, par le biais de l’illusion à révéler la vérité et une satire de la médecine

Il y a dans la pièce plusieurs scènes de comédie dans la comédie :
-Acte I, scène I : Toinette pour éviter une dispute
-Louise qui fait la morte
-Argan qui fait le mort

Molière veut prouver par ce biais la portée de la comédie.