Molière, Le Malade imaginaire - Acte I, scène 5

L'analyse linéaire du texte.

Dernière mise à jour : 21/11/2021 • Proposé par: mathildebpy (élève)

Texte étudié

ARGAN, ANGELIQUE, TOINETTE

ARGAN se met dans sa chaise.
Oh çà, ma fille, je vais vous dire une nouvelle, où peut-être ne vous attendez-vous pas. On vous demande en mariage. Qu'est-ce que cela? Vous riez? Cela est plaisant oui, ce mot de mariage! Il n'y a rien de plus drôle pour les jeunes filles. Ah! nature, nature! A ce que je puis voir, ma fille, je n'ai que faire de vous demander si vous voulez bien vous marier.

ANGELIQUE
Je dois faire, mon père, tout ce qu'il vous plaira de m'ordonner.

ARGAN
Je suis bien aise d'avoir une fille si obéissante: la chose est donc conclue, et je vous ai promise.

ANGELIQUE
C'est à moi, mon père, de suivre aveuglément toutes vos volontés.

ARGAN
Ma femme, votre belle-mère, avait envie que je vous fasse religieuse, et votre petite soeur Louison aussi, et de tout temps elle a été aheurtée à cela.

TOINETTE, tout bas.
La bonne bête a ses raisons.

ARGAN
Elle ne voulait point consentir à ce mariage; mais je l'ai emporté, et ma parole est donnée.

ANGELIQUE
Ah! mon père, que je vous suis obligée de toutes vos bontés!

TOINETTE
En vérité, je vous sais bon gré de cela; et voilà l'action la plus sage que vous ayez faite de votre vie.

ARGAN
Je n'ai point encore vu la personne: mais on m'a dit que j'en serais content, et toi aussi.

Molière, Le Malade imaginaire - Acte I, scène 5

Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière est l’un des plus grands dramaturges français. Il est célébré pour ses comédies de mœurs qui dénoncent les vices et les travers humains, souvent incarnés par un noble dont le comportement met en péril sa maison. Molière représente ainsi souvent le désordre social provoqué par l’excès des passions. Il est l’auteur du Malade imaginaire, une comédie en trois actes jouée sur scène pour la première fois en 1673.

L’histoire du Malade imaginaire est des plus typiques : Argan est un véritable hypocondriaque, et ne s’entoure que de médecins charlatans qui lui volent sa fortune et sa fille. Il veut marier celle-ci, sans se soucier de ses sentiments, à l’homme qu’il a choisi... En l’occurrence, ce gendre idéal est le fils de son médecin Diafoirus, cela lui convient parfaitement en tant qu’hypocondriaque. La scène que nous allons commenter est tout à fait remarquable, il s’agit d’un extrait de la scène 5 de l’acte I, où Argan annonce le projet de mariage qui déclenche toute l’intrigue de la pièce.

On peut alors se demander comment le projet de mariage décidé par le tyrannique Argan met en avant toute la dimension comique de l’extrait ?

I. Le quiproquo : un comique de situation classique

Ligne 1: « se met dans sa chaise » (didascalie) montre qu’Argan est le maître de maison ainsi que son côté dominateur dont il va faire preuve avec Angélique (tyrannie paternelle) amplifié par le déterminant possessif : « ma fille ».

Ligne 2: « je vais vous dire une nouvelle », futur proche (et donc effet d’attente) ce qui montre qu’Argan se donne de l’importance.

Ligne 3: « vous riez » (didascalie interne). L'annonce comique provoque le rire joyeux d’Angélique. Argan pense que sa fille se moque de lui. Il y a ici un quiproquo parce qu’elle pense que Cléante l’a demandé en mariage provoquant son rire, de joie.

Ligne 4: « Il n’y a rien de plus drôle pour les jeunes filles. ». Il justifie le comportement d’Angélique par le fait qu’elle appartient à la gente féminine, en se moquant de celle-ci, et en se montrant condescendant. En effet il a une vision sérieuse du mariage qui repose sur une alliance d’intérêts, et qui ne devrait donc susciter de joie particulière.

Ligne 5-6: « je n’ai que faire de vous demander si vous voulez bien vous marier. ». Il affirme son autorité de père et montre que lui seul décide. L’emploi de l’adverbe d’intensité « si » montre à quel point il est fier d’avoir une fille obéissante

Ligne 8: « Je dois faire, mon père, tout ce qu’il vous plaira de m’ordonner. ». Il y a ici une marque de soumission comme le montre l’emploi du présent de vérité générale : elle ne fera que les volontés de son père . Le « mon père » est une marque de respect et d'affabilité. Le « m' », complément d’objet direct du verbe « ordonner » souligne encore une fois la soumission d’Angélique face à son père, Argan.

Ligne 10: Le substantif « la chose » (opposition entre « la » qui est défini et « chose » qui ne l’est pas, d'où le ressort comique) met le mariage à distance, ce qui signifie que la réalité concrète du mariage est importe peu. Selon Argan « la chose est donc conclue » ce qui veut dire qu'il n’a jamais demandé l’avis d’Angélique dans ce projet de mariage. Il s'agit d'une forme de tyrannie.

Ligne 13: « suivre aveuglément toutes vos volontés. » (à noter l'hyperbole et pluriel amplificateurs) marque l'obéissance absolue d’Angelique. On est ici dans caricature de l’idéal de l’honnête noble, parfaitement soumis à son père. L’emploi de l’adverbe « aveuglement » est hyperbolique amplifié par le pluriel et l’emploi du déterminant quantitatif « toutes »

Ligne 15-16: Argan confie le projet qu’avait la belle-mère d’Angélique, Béline : mettre Angélique et sa sœur Louison au couvent. Cela montre également la situation des femmes au XVIIIe auxquelles s’offraient deux choix, le mariage ou le couvent. L’emploi du terme « aheurté » montre l’obstination de Beline.

II. L’impertinence de Toinette

Ligne 17: En aparté, « tout bas » , la servante Toinette décrypte : « La bonne bête a ses raisons. »

Ligne 18: Familier et péjoratif parce qu’elle est comparée à un animal. Cela exprime le mépris de la servante pour la belle-mère opportuniste qui souhaite posséder tous les biens d’Argan. Béline est un personnage emblématique de la comédie par son caractère. Les apartés de l’ingénieuse servante créent également un lien intime, une complicité avec les spectateurs et participent au plaisir de la comédie.

Ligne 19-20: « elle ne voulait point consentir à ce mariage; mais je l'ai emporté, et ma parole est donnée.». Il se justifie en disant qu’il l’a emporté sur sa femme, ce qui veut dire qu'il a pris l’ascendant sur Beline dont la tentative de manipulation a échoué. L’imparfait montre cependant qu’elle n’est toujours pas d’accord avec ce projet de mariage.

Ligne 22: La soumission d’Angélique s’exprime désormais par l’éloge de son père, comme l’expriment les exclamations répétées et la tournure hyperbolique au pluriel, comme si les bontés du père étaient infinies : « toutes vos bontés ! » La fille se réjouit d’avoir échappé au couvent et de se marier avec Cléante qu’elle aime.

Ligne 24: « voilà l’action la plus sage que vous ayez faite de votre vie. » : utilisation de la tournure présentative « et voilà » et du superlatif montre l'insolence de Toinette. Une dimension comique est donnée par l’ironie de Toinette qui suggère que son maître ne prend habituellement pas de décisions sages. Aussi, le « en vérité » est ironique pour le spectateur qui sait que ce n’est pas la vérité que l’on croit. Elle sort de son rôle de servante car elle félicite en quelque sorte Argan qui n’est absolument pas son rôle « je vous sais bon gré de cela »

Ligne 27: Argan annonce alors qu’il n’a « pas encore vu la personne », mais que tout le monde en sera « content », ce qui peut sembler paradoxal car il ne s’agit pas de Cléante comme le pense tout le monde.

Conclusion

Nous avons vu que le projet de mariage décidé par Argan provoque a la fois un quiproquo comique et les interventions de sa servante Toinette tout aussi divertissante. Cette longue scène 5, dans le premier acte du Malade imaginaire est capitale car elle pose le nœud de l’intrigue, le projet de mariage forcé. Si Angélique se soumet à son père, Toinette se permet d’intervenir malgré les hiérarchies sociales, provoquant le rire.

Le quiproquo est un ressort comique souvent utilisé par Molière se retrouve fréquemment dans le théâtre du XVIIIe siècle. Il est présent dans de nombreuses pièces telles que Le Jeu de l’amour du hasard, de Marivaux. Sylvia change de costume et de rôle avec Lisette, sa femme de chambre afin d'étudier le caractère de son prétendant sans se compromettre. Ce dernier a eu la même idée et prend la place et les habits de son valet, Arlequin.