Balzac, La Peau de chagrin - Chapitre 2: Lendemain de l’orgie

Devoir corrigé, fait pour les révisions des épreuves du bac de français.

Dernière mise à jour : 04/03/2023 • Proposé par: Yossi (élève)

Texte étudié

Le lendemain, vers midi, la belle Aquilina se leva, bâillant, fatiguée, et les joues marbrées par les empreintes du tabouret en velours peint sur lequel sa tête avait reposé. Euphrasie, réveillée par le mouvement de sa compagne, se dressa tout à coup en jetant un cri rauque ; sa jolie figure, si blanche, si fraîche la veille, était jaune et pâle comme celle d’une fille allant à l’hôpital. Insensiblement les convives se remuèrent en poussant des gémissements sinistres, ils se sentirent les bras et les jambes raidis, mille fatigues diverses les accablèrent à leur réveil. Un valet vint ouvrir les persiennes et les fenêtres des salons. L’assemblée se trouva sur pied, rappelée à la vie par les chauds rayons du soleil qui pétilla sur les têtes des dormeurs. Les mouvements du sommeil ayant brisé l’élégant édifice de leurs coiffures et fané leurs toilettes, les femmes frappées par l’éclat du jour présentèrent un hideux spectacle : leurs cheveux pendaient sans grâce, leurs physionomies avaient changé d’expression, leurs yeux si brillants étaient ternis par la lassitude. Les teints bilieux qui jettent tant d’éclat aux lumières faisaient horreur, les figures lymphatiques, si blanches, si molles quand elles sont reposées, étaient devenues vertes ; les bouches naguère délicieuses et rouges, maintenant sèches et blanches, portaient les honteux stigmates de l’ivresse. Les hommes reniaient leurs maîtresses nocturnes à les voir ainsi décolorées, cadavéreuses comme des fleurs écrasées dans une rue après le passage des processions. Ces hommes dédaigneux étaient plus horribles encore. Vous eussiez frémi de voir ces faces humaines, aux yeux caves et cernés qui semblaient ne rien voir, engourdies par le vin, hébétées par un sommeil gêné, plus fatigant que réparateur. Ces visages hâves où paraissaient à nu les appétits physiques sans la poésie dont les décore notre âme, avaient je ne sais quoi de féroce et de froidement bestial. Ce réveil du vice sans vêtements ni fard, ce squelette du mal déguenillé, froid, vide et privé des sophismes de l’esprit ou des enchantements du luxe, épouvanta ces intrépides athlètes, quelque habitués qu’ils fussent à lutter avec la débauche. Artistes et courtisanes gardèrent le silence en examinant d’un œil hagard le désordre de l’appartement où tout avait été dévasté, ravagé par le feu des passions. Un rire satanique s’éleva tout à coup lorsque Taillefer, entendant le râle sourd de ses hôtes, essaya de les saluer par une grimace ; son visage en sueur et sanguinolent fit planer sur cette scène infernale l’image du crime sans remords. Le tableau fut complet. C’était la vie fangeuse au sein du luxe, un horrible mélange des pompes et des misères humaines, le réveil de la débauche, quand de ses mains fortes elle a pressé tous les fruits de la vie, pour ne laisser autour d’elle que d’ignobles débris ou des mensonges auxquels elle ne croit plus.

Balzac, La Peau de chagrin - Chapitre 2

Honore de Balzac, célèbre auteur de la 1re partie du 19e, a écrit au long de sa vie une œuvre constituée de plus de 90 romans qu'il nomme "La Comédie Humaine". Son but est de faire concurrence à l'Etat civil grâce à une description minutieuse de la société de son époque. La Peau de chagrin, qu'il publie en 1831, fait partie de la comédie humaine. C'est un roman clé de Balzac car il y expose sa conception de l'existence humaine. Selon, lui notre vie disposerait d'un capital d'énergie que le désir et la volonté consument et détruisent. On ne peut pas classer l'œuvre dans un mouvement littéraire unique car il est à cheval entre le mouvement fantastique, le conte oriental et le roman réaliste.

Au sortir du magasin d'antiquités, Raphaël, qu'il était au comble du désespoir et sur le point de commettre l'irréparable en se jetant dans la Seine, s'est retrouvé subitement invité à un banquet somptueux chez l'homme d'affaires Taillefer où, entre ivresse nocturne et conversations exaltées, tous les excès ont été commis. Dans notre texte, Balzac décrit les convives de l'orgie au réveil, en plein jour, révélant la laideur des corps et l'horreur des âmes corrompues par le vice et la débauche. Nous montrerons comment le romancier donne à ce portrait de groupe qu'il anime progressivement une dimension philosophique. Pour ce faire, la première partie analysera le portrait des courtisanes, la deuxième étudiera les procédés de la construction d'un spectacle horrifiant. Enfin, nous montrerons que ce portrait est au service d'une méditation pessimiste sur la noirceur de l'âme humaine .

I. Un portrait à charge des courtisanes

a) L'apparition progressive des courtisanes

Balzac choisit d’animer progressivement cette description des convives au réveil: un seul personnage tout d’abord « Le lendemain, vers midi, la belle Aquilina se leva », puis un deuxième « Euphrasie, réveillée par le mouvement de sa compagne, se dressa tout à coup » et enfin le groupe tout entier « Insensiblement les convives se remuèrent ». Cela se traduit aussi par les nombreux verbes d’action, qui se multiplient au fur et à mesure que le récit avance: « se leva », « bâillant », « se dressa », « en jetant », « se remuèrent », « en poussant », etc.

b) De l'obscurité à la lumière

Dans ce passage, le romancier s’amuse à passer de l’obscurité, qui évoque les excès de la nuit d’orgie, à la pleine lumière du j

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