Est-il sage de peu parler ?

Développement complet en trois parties.

Dernière mise à jour : 02/10/2022 • Proposé par: nes.bnz (élève)

L'auteur espagnol Carlos Ruiz Zafon a déclaré « Le sot parle, le lâche se tait, le sage écoute. », faisant de la parole l'outil du sot, de l'ouïe celui du sage. On est naturellement enclin à parler ou non, et certaines personnes prennent du temps avant de prendre la parole par peur de dire des absurdités, d'être jugé, ou encore par timidité. D'autre au contraire, disent spontanément tout ce qu'ils pensent, sans vraiment y réfléchir. Mais au départ la parole n'est qu'un véhicule, et on définit le fait de parler comme l’action de s’exprimer par le langage, comme le fait de communiquer, c'est-à-dire de mettre en commun, de partager une idée. La personne sage est celle dont le jugement et la conduite sont inspirés par la raison et le bon sens. Dès lors doit on opposer l'usage de la parole, un outil de communication, à la raison, une valeur ?

Pourquoi fait-on dès lors de l'usage modéré de la parole une bonne chose ? Est-il toujours préjudiciable d'être spontanée, et au contraire, toujours raisonnable de se taire ? Nous verrons ici que peu parler évite bien des situations délicates, mais dans un deuxième temps que celui qui parle détient le pouvoir. Enfin nous verrons en quoi la parole bien utilisée permet de réguler et s'assagir notre société.

I. Peu parler préserve des maladresses

Peu parler permet d'éviter de blesser autrui. Dans l'Islam, la personne silencieuse est une personne considère comme "sage" et peut être même récompensée de son silence car elle n'impacte pas ses semblables et elle-même. Parfois, lorsqu’on nous insulte, la chose la plus spontanée à faire est de répliquer. Mais le Prophète Mohamed a enseigné, si le musulman garde le silence, alors un ange répond au calomniateur, ce qui est la meilleure défense que l’on puisse obtenir. Certains pourraient continuer à se demander pourquoi nous devrions nous garder le silence quand l’autre personne est en tort ? Mais le messager d'Allah a dit "Celui qui se tait est sauvé" et "la plupart des péchés du fils de d'Adam provient de sa langue". Le silence est ainsi associé à la sagesse, qui permet d'éviter l'escalade de la violence Ainsi, le sage réfléchit avant de parler et veille à ce que ses paroles ne blessent pas ses semblables.

Mais peu parler évite également de parler de travers, de mal exprimer sa pensée. Bergson condamne ainsi un certain usage de la parole, une utilisation quotidienne et irréfléchie, asservie aux impératifs utilitaires. En effet, selon lui, le langage trahit la pensée. Le sage a cette capacité de ne parle seulement lorsqu'il est nécessaire et est donc moins vulnérable à se trahir. Les mots sont effectivement le véhicule de la pensée, et en préparant sa parole dans le silence on peut formuler des propos plus précisément, plus rigoureux, ou encore plus factuels. "Qui parle peu est lui-même naturel" a dit Lao Tseu, un sage chinois du VIe ou Ve siècle av. J.-C.

II. Mais la parole donne du pouvoir

Mais si l'on parle peu, ne s'empêche t-on pas d'exprimer des choses justes, et de laisser d'autres personnes s'exprimer à notre place ?

En effet, on aura tendance à faire preuve de révérence à l'égard de quelqu'un qui donne l'apparence de maîtriser parfaitement ce dont il parle, comme lorsque l'on fait intervenir des spécialistes pour expliquer certaines choses. Pourtant, maîtriser la langue ne signifie pas nécessairement que l'on maîtrise le sujet dont on parle les mots ont une force extraordinaire, et ce en dépit du fait qu'ils n'expriment pas forcément la vérité. C'est ainsi que Platon condamnait l'art de la rhétorique qu'utilisaient les sophistes, lesquels étaient maîtres dans l'art de la persuasion, en dépit de la vérité de ce qu'ils défendaient. On adresse d'ailleurs le même reproche aux démagogues, qui utilisent un langage flatteur pour acquérir une légitimité : ils instrumentalisent le pouvoir des mots pour gagner les esprits.

Ne peut-on pas autrement bien utiliser le langage, pour contrer la pure rhétorique ? Rousseau contredit ainsi la thèse de Bergson. En effet selon lui se priver du langage, donc se priver de parler, c’est se priver de la conscience, de la pensée et de la science. Selon lui, reprocher au langage de trahir la pensée est ridicule. En effet le langage est l'instrument de la pensée : il a donc le pouvoir de la pensée. Son pouvoir est de nommer les choses. L'homme exprime sa connaissance de la nature avec le langage. Le langage peut également être utilisé à des fins politiques ou religieuses (par exemple : textes sacrés).

III. La parole bien utilisée unit et guérit

De plus le langage au travers du discours est performatif. En effet les mots contenus dans le discours peuvent marquer les esprits d'un fer rouge, créer un déclic psychologique, modifier notre échelle de valeur.

Quand l'officier de l'État civil lève sa main déclare : « au nom de la loi, je vous déclare unis par les liens du mariage ». Par cette déclaration, les mariés, tout comme les témoins et observateurs sont convaincus que le mariage a eu lieu, qu'un contrat a été passé, qu'il y a eu un changement sur lequel on ne peut plus revenir, et c'est donc à travers le langage que sont régulés les mœurs humaines. L'homme politique, de la même façon, fait par des discours, une prestation qui doit unir les citoyens autour de projets communs, de les mobiliser. L'appel du 18 juin 1940 du général de Gaulle à la radio de Londres est un exemple de discours qui marque les consciences et qui a fait naître chez un certains nombre de concitoyens français un esprit de résistance. La parole est dès lors l'outil qui permet de raisonner les hommes face au choix de la collaboration avec un régime antisémite.

Le langage a également le pouvoir de soigner. C'est le cas de la psychologue qui par la parole réussi à soigner ses patients. Lorsque nous nous sentons mal, la meilleure des façons de se sentir mieux est d’extérioriser, de parler. Dans ce cas là, le psychologue utilise le langage à des fins sages, dans un but d'apaisement. L'avocat également défend ses clients à travers l'éloquence, et permet par la parole de comprendre les actes d'un accusé, ou les préjudices subies par une victime.

Sans la parole, on peut dès lors faire les mauvais choix, accepter l'injustice, faute de comprendre, faute de voir chez autrui l'usage de la raison.

Conclusion

En somme, pour être sage, il faut savoir se retenir et se demander s'il est nécessaire de le faire avant chaque prise de parole. Cependant, nous pouvons toujours être sage en parlant davantage tant que l'on fait attention à ne pas trahir sa pensée, à ne pas blesser autrui. Il est par ailleurs nécessaire de parler pour éviter que d'autres fassent un mauvais usage de la parole, profitant de notre silence. Il est également nécessaire de parler quand le silence implique de mauvaises interprétations, ou démobilise les esprits face à des situations difficiles.

En somme, être sage implique de parler vrai et juste lorsque les circonstances le demandent, puis de se taire lorsque nos mots ne font plus qu'ajouter du bruit ou de la confusion.