Victor Hugo, Les Contemplations - IV, IV: "Oh ! je fus comme fou…"

Commentaire composé en deux parties.

Dernière mise à jour : 07/12/2021 • Proposé par: viktor (élève)

Texte étudié

Oh ! je fus comme fou dans le premier moment,
Hélas ! et je pleurai trois jours amèrement.
Vous tous à qui Dieu prit votre chère espérance,
Pères, mères, dont l’âme a souffert ma souffrance,
Tout ce que j’éprouvais, l’avez-vous éprouvé ?
Je voulais me briser le front sur le pavé ;
Puis je me révoltais, et, par moments, terrible,
Je fixais mes regards sur cette chose horrible,
Et je n’y croyais pas, et je m’écriais : Non !
— Est-ce que Dieu permet de ces malheurs sans nom
Qui font que dans le cœur le désespoir se lève ? —
Il me semblait que tout n’était qu’un affreux rêve,
Qu’elle ne pouvait pas m’avoir ainsi quitté,
Que je l’entendais rire en la chambre à côté,
Que c’était impossible enfin qu’elle fût morte,
Et que j’allais la voir entrer par cette porte !

Oh ! que de fois j’ai dit : Silence ! elle a parlé !
Tenez ! voici le bruit de sa main sur la clé !
Attendez ! elle vient ! Laissez-moi, que j’écoute !
Car elle est quelque part dans la maison sans doute !

Victor Hugo, Les Contemplations - IV, IV

Victor Hugo montre dans ce poème la difficulté à surmonter la mort de sa fille Léopoldine. Victor Hugo se souvient de la façon dont il a frôlé la folie juste après la mort de sa fille.

Structure du poème: une strophe de 16 vers et un quatrain. Écrit en alexandrin (12 syllabes) et en rimes plates.

Problématique: comment Victor Hugo nous communique-t-il sa souffrance qui le mène aux portes de la folie ?

I. Victor Hugo face à une souffrance extrême : la perte de sa fille

a) Champ lexical de la souffrance

Victor Hugo insiste sur sa douleur avec le champ lexical de la douleur:
- dans les verbes : « je pleurai » vers 2, répétition du verbe « éprouver » vers 5, allitération sur la sifflante (jeu sur les sonorités : « souffert ma souffrance »)
- dans les adjectifs qualificatifs : « horrible » rime avec « terrible »

Cette souffrance est présentée de manière hyperbolique :
- « affreux rêve » oxymore qui renforce ce sentiment de douleur
- l’allitération en « r » du vers 6 donne à imaginer la violence qu’il veut se faire à lui-même.

Victor Hugo cherche l’empathie du lecteur. L’ensemble de ces procédés contribue à développer la tonalité pathétique du texte : le poète expose sa souffrance et souhaite provoquer chez le lecteur une sympathie, une compassion (registre pathétique et tragique).

b) Victor Hugo est révolté et refuse la mort de sa fille

Le poète est en rébellion contre la société et Dieu : « Est-ce que Dieu permet de ces malheurs sans nom ». Cela est marqué par les phrases impératives et exclamatives, les nombreux points d’exclamations nombreux (11 en tout) dans le poème, ainsi que les interjections « oh », « hélas », « Non ! ». Dans le quatrain final, cette révolte est marquée par la brièveté de ces phrases et l’enchaînement de points d’exclamation.

Il refuse la mort de sa fille. « je me révoltais », « je n'y croyais pas », « elle ne pouvait pas m'avoir ainsi quitté », « c'était impossible », « un affreux rêve ». Il utilise des euphémismes et périphrases pour présenter la mort : « à qui Dieu prit votre chère espérance », « cette chose horrible », « ces malheurs sans nom » (périphrase), « ainsi quitté ». Victor Hugo ne prononce d'ailleurs pas le mot « mort » avant le vers 15, comme s’il se cachait la vérité

c) Victor Hugo cherche à faire comprendre sa douleur au lecteur

Il interpelle ceux qui ont vécu la mort d’un enfant : « Pères, mères, dont l'âme a souffert ma souffrance ». Il cherche l’empathie et lutte contre sa solitude. Il faut usage d'une question rhétorique qui donne une universalité au poème : « Tout ce que j'éprouvais, l'avez-vous éprouvé ? »

II. Victor Hugo s’approche de la folie

a) Des sentiments qui se mélangent

Le désordre mental du poète est exprimé dans ce poème. Victor Hugo se perd dans ses pensées. Le poème met bout à bout des sentiments variés et des mouvements intérieurs parfois contradictoires.

La structure du texte montre le mélange de ses sentiments;
- vers 1 à 5, Victor Hugo est empli d’une douleur extrême et cherche l’empathie
- vers 6, il est pris par une violente pulsion de se faire du mal
- vers 6 à 10, il ne se laisse pas abattre et cherche à se révolter, en plus d'avoir une réflexion métaphysique
- vers 10 à 16, il entre dans une folie et a des hallucinations
- Quatrain final : le poème passe de l’imparfait au passé simple. Ses hallucinations sont encore présentes quand il écrit ces vers.

Son discours peu ordonné est celui d’un homme frappé par un traumatisme profond. L'absence de mot de liaison dans le quatrain final ou la structure des phrases expriment le caractère désordonné et décousu des réactions inabouties de l'auteur, les obsessions et les idées fixes d'une pensée qui refuse la réalité et qui semble "tourner en rond". Ce désordre mental s’aggrave progressivement au fil du poème.

b) une marche vers la folie

L'hallucination, le refus à partir de « Il me semblait » et l'anaphore « que » annoncent un mouvement cyclique de refus et d’hallucinations. Il pense Léopoldine encore vivante : « je l'entendais rire en la chambre à côté », « j'allais la voir entrer par cette porte ! ». Prosopopées : Victor Hugo fait parler sa fille décédée : « Silence ! elle a parlé ! »

On a une alternance entre narration et le discours direct. Le poème est au passé simple et imparfait pour la narration, qui est interrompu plusieurs fois par le discours direct et le présent : « Est-ce que Dieu permet de ces malheurs sans nom Qui font que dans le cœur le désespoir se lève ? » (Victor Hugo pense à voix haute), « Attendez ! elle vient ! laissez-moi, que j'écoute ! Car elle est quelque part dans la maison sans doute ! ».

Cette alternance participe à l’effet de discontinuité dans la marche vers la folie.L' utilisation de l’imparfait pour la plupart des verbes conjugués donne un effet de répétition. Les pensées obsédantes de l’acteur sont sans interruption et perdurent dans le temps jusqu’au présent (quatrain final). Les « et » et « puis » insistent sur cet aspect cumulatif. Dans le quatrain final, il ne suppose pas seulement que Léopoldine est encore vivante, il en est persuadé (le présent renforce cette idée). La brièveté des phrases et exclamations décrivent l’image d’un homme tombé dans la folie, qui ne réussit plus à adopter un discours cohérent et construit (accentué par l'accélération du rythme du poème).

Conclusion

Ce poème est dramatique et touchant, il est celui d'un homme bouleversé par la mort de sa fille. Victor Hugo recherche l’empathie du lecteur en insistant sur sa douleur. Il finit par céder à la folie et se persuade de la persistance de la vie de sa fille. Victor Hugo ressent le besoin de crier sa colère face à la fatalité de la vie et de son injustice.

L’écriture lui offre une thérapie essentielle pour se ressaisir face à la mort. Ainsi, dans le poème « A Villequier », Victor Hugo finit par accepter son sort d’homme, sa condition de mortel : il retrouve sa foi. Les mots l’ont apaisé.