Molière, Le Malade imaginaire - Acte I, scène 2

Commentaire en trois parties, où manque juste l'introduction.

Dernière mise à jour : 23/11/2021 • Proposé par: jblefou (élève)

Texte étudié

TOINETTE, ARGAN.

TOINETTE, en entrant dans la chambre.— On y va.

ARGAN.— Ah! chienne! Ah ! carogne...

TOINETTE, faisant semblant de s'être cogné la tête.— Diantre soit fait de votre impatience, vous pressez si fort les personnes, que je me suis donné un grand coup de la tête contre la carne d'un volet.

ARGAN, en colère.— Ah! traîtresse...

TOINETTE, pour l'interrompre et l'empêcher de crier, se plaint toujours, en disant.— Ha!

ARGAN.— Il y a...

TOINETTE.— Ha!

ARGAN.— Il y a une heure...

TOINETTE.— Ha!

ARGAN.— Tu m'as laissé...

TOINETTE.— Ha!

ARGAN.— Tais-toi donc, coquine, que je te querelle.

TOINETTE.— Çamon, ma foi, j'en suis d'avis, après ce que je me suis fait.

ARGAN.— Tu m'as fait égosiller, carogne.

TOINETTE.— Et vous m'avez fait, vous, casser la tête, l'un vaut bien l'autre. Quitte à quitte, si vous voulez.

ARGAN.— Quoi, coquine...

TOINETTE.— Si vous querellez, je pleurerai.

ARGAN.— Me laisser, traîtresse...

TOINETTE, toujours pour l'interrompre.— Ha!

ARGAN.— Chienne, tu veux...

TOINETTE.— Ha!

ARGAN.— Quoi il faudra encore que je n'aie pas le plaisir de la quereller ?

TOINETTE.— Querellez tout votre soûl, je le veux bien.

ARGAN.— Tu m'en empêches, chienne, en m'interrompant à tous coups.

TOINETTE.— Si vous avez le plaisir de quereller, il faut bien que de mon côté, j'aie le plaisir de pleurer; chacun le sien ce n'est pas trop. Ha!

ARGAN.— Allons, il faut en passer par là. Ôte-moi ceci, coquine, ôte-moi ceci.
(Argan se lève de sa chaise.) Mon lavement d'aujourd'hui a-t-il bien opéré?

TOINETTE.— Votre lavement?

ARGAN.— Oui. Ai-je bien fait de la bile?

TOINETTE.— Ma foi je ne me mêle point de ces affaires-là, c'est à Monsieur Fleurant à y mettre le nez, puisqu'il en a le profit.

ARGAN.— Qu'on ait soin de me tenir un bouillon prêt, pour l'autre que je dois tantôt prendre.

TOINETTE.— Ce Monsieur Fleurant-là, et ce Monsieur Purgon s'égayent bien sur votre corps ; ils ont en vous une bonne vache à lait ; et je voudrais bien leur demander quel mal vous avez, pour vous faire tant de remèdes.

ARGAN.— Taisez-vous, ignorante, ce n'est pas à vous à contrôler les ordonnances de la médecine.
Qu'on me fasse venir ma fille Angélique, j'ai à lui dire quelque chose.

TOINETTE.— La voici qui vient d'elle-même; elle a deviné votre pensée.

Molière, Le Malade imaginaire - Acte I, scène 2

I. La comédie dans la comédie

a) Toinette et Argan jouent un rôle

Toinette ment a Argan pour couper court aux remontrances « faisant semblant de s’être cognée la tête » (l.3) d'où le comique de geste et de situation. « Diantre soit fait de votre impatience ! »(l.3): elle feint d’être en colère après avoir feint de s’être cognée. «Vous pressez si fort les personnes que je me suis donné un grand coup de la tête contre la carne d’un volet. »(l.4, 5): phrase comique grâce aux intensifs « si fort », « un grand coup », avec donc une exagération comique. Son mensonge relève du comique de situation: elle insiste sur son mal « après ce que je me suis fait »(l.15, 16), « casser la tête »(l.19) qui sont des hyperboles comiques. De même Toinette feint de souffrir pour couper la parole à Argan et a donc un jeu de scène comique (l.8 à 27) pour l’interrompre « Ah ! » (l.10, 12, 14, 24,26). Elle exagère ses cris et empêche Argan de finir ses phrases, associé au comique de parole « toujours pour l’interrompre » (l. 24), qui confirme la mauvaise foi de Toinette.

Les jurons d'Argon sont eux exagérés: « Ah! Chienne ! ah ! carogne » (l. 2), « Ah! Traîtresse » (l. 7, 23), « coquine » (l. 15, 21), « carogne » (l. 18), « chienne » (l. 25). Argan fait preuve d’une extrême grossièreté, que renforce les interjections en «Ah ! » ( l. 2, 7). Cela rend sa colère exagérée et ridicule.

b) Argan et Toinette se jouent mutuellement la comédie

Argan a envie de quereller « Tais-toi donc, coquine, que je te querelle. » (l. 15). Créer un conflit est une volonté délibérée d’Argan. De plus, il fait preuve de mauvaise foi: « Quoi! Il faudra encore que je n’aie pas le plaisir de la quereller ? » (l. 29). Pour lui cette dispute est un jeu, une comédie. Le dialogue « Tu m’en empêches, chienne, en m’interrompant à tous coups » (l. 30) confirme sa mauvaise foi car il désire réellement se mettre en colère. À la fin, il cède soudainement « Allons, il faut en passer pas là » (l. 35).

De son côté, Toinette a envie de le provoquer (l.21) « l’un vaut bien l’autre. Quitte à quitte si vous voulez ». Toinette établit une rivalité entre elle et son maître alors qu’elle est la servante. Il y a une forme de contestation du pouvoir pour faire rire, ce qui relève d'un procédé comique. Elle réplique à son maître et exerce un chantage « Si vous avez le plaisir de quereller, il faut bien que de mon côté, j’ai le plaisir de pleurer » (l. 33, 34). On peut noter les oxymores : « plaisir de quereller […] plaisir de pleurer ». Leur conversation en devient complètement absurde. Ils rivalisent dans le plaisir d’être mécontent.

Conclusion: Molière a recours au comique de paroles, de gestes et de situation pour présenter, sur le ton de la farce, une comédie dans la comédie.

II. La satire de la médecine

a) L’obsession d’Argan

Après la dispute entre Toinette et Argan et une brève phrase de transition « Ôte-moi ceci, coquine, ôte-moi ceci. » (l. 35), celui-ci en vient à son principal centre d’intérêt : sa santé et son corps. « Ai-je bien fait de la bile ? » (l. 39). Il est obnubilé par son corps car dès la fin de la dispute, déjà deux questions sur son corps « Qu’on ait soin de me tenir un bouillon prêt pour l’autre que je dois tantôt prendre » (l. 43): il pense déjà à préparer son prochain bouillon. Argan est également obsédé pour ses entrailles, ce qui marque un ridicule et comique scatologique

On a une idéalisation de la médecine « Taisez- vous ignorante » (l. 49), avec ce vouvoiement à l’égard de Toinette alors qu’avant il l’insultait auparavant de façon familière. Le vouvoiement crée une distance méprisante, et sous entend que la médecine n’est pas accessible au commun des mortels. « Ce n’est pas à vous à contrôler les ordonnances de la médecine » (l. 49, 50): formule sans contestation possible. La formule « la médecine » est généralisation qui montre que d’après Argan, Toinette critique une science, une institution sacrée. On a ici une idéalisation ironique de la part de Molière.

b) Critique de la médecine

L’apothicaire est ridiculisé : « je ne me mêle point de ses affaires là »(l. 40): tournure qui exprime le mépris, « affaires » à un sens scatologique. « c’est à monsieur Fleurant à y mettre le nez »(l. 41): nom propre satirique et allusion au fait que le travail de l’apothicaire est de voir les selles. « y mettre le nez » n’est plus une métaphore mais un jeu de mots. « s’égayent bien sur votre corps » (l. 46) est paradoxe comique quant aux fonctions d’un médecin, d'où la ridiculisation de leur travail

« puisqu’il en a le profit » (l. 41): profession de l’apothicaire peu agréable mais rentable qui marque la cupidité de M. Fleurant. « ce monsieur Fleurant et ce monsieur Purgon » (l. 45), le « ce » : démonstratif traduit le mépris de Toinette pour les deux praticiens. Toinette est l’un des personnages sympathiques de la pièce donc par son opinion, on a une condamnation de la médecine. « ils ont en vous une bonne vache à lait »(l. 46): image comique d’Argan comparé à une vache, qui plus est dans une expression populaire qui signifie que Argan se fait abuser et soutirer des sous par les médecins. Pour aggraver leur cas, la phrase « je voudrais bien leur demander quel mal vous avez , pour vous faire tant de remèdes » (l. 47) montre que Toinette doute que son maître soit véritablement malade. Les médecins sont donc malhonnêtes, et le titre de la pièce "Le Malade imaginaire" s'explique.

Conclusion: Molière condamne à la fois Argan du fait de son hypocondrie et de sa crédulité, et la médecine, à cause de leur intéressement et de leur malhonnêteté.

III. L’annonce de l’intrigue

Quelques éléments de cette deuxième scène d’exposition annonce l’intrigue : l’hypocondrie d’Argan qui suscite l’envie d’avoir un gendre médecin. « bile », « bouillon », il est obsédé par les médecins, par son corps. Son égocentrisme annonce qu’il va s’intéresser bien plus à son bonheur qu’à celui de sa fille « tu m’as laissé » (l. 13), « mon lavement d’aujourd’hui a t-il bien opéré ? » (l. 36). Il ne pense qu’à lui.

Le « qu’on me fasse venir ma fille Angélique, j’ai à lui dire quelque chose » (l. 50, 51) annonce l’intrigue puisqu’il va lui proposer de se marier. La réponse de Toinette est « La voici qui vient d’elle-même, elle a deviné votre pensée. ». Angélique vient en fait seulement pour parler avec Toinette de Cléante, confirmé par la scène 4: elle est amoureuse d’un homme différent du prétendant prévu par son père.

Conclusion

L’intrigue principale est commencée dès le début de la pièce. Cette scène d’exposition présente d’emblée la teneur de la pièce. Il s’agit d’une comédie fondée sur le comique de caractère et la satire de la médecine.