Voltaire, Candide - chapitre 3

Commentaire en deux parties.

Dernière mise à jour : 28/01/2022 • Proposé par: objectifbac (élève)

Texte étudié

Rien n’était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné que les deux armées. Les trompettes, les fifres, les hautbois, les tambours, les canons, formaient une harmonie telle qu’il n’y en eut jamais en enfer. Les canons renversèrent d’abord à peu près six mille hommes de chaque côté ; ensuite la mousqueterie ôta du meilleur des mondes environ neuf à dix mille coquins qui en infectaient la surface. La baïonnette fut aussi la raison suffisante de la mort de quelques milliers d’hommes. Le tout pouvait bien se monter à une trentaine de mille âmes. Candide, qui tremblait comme un philosophe, se cacha du mieux qu’il put pendant cette boucherie héroïque.

Enfin, tandis que les deux rois faisaient chanter des Te Deum chacun dans son camp, il prit le parti d’aller raisonner ailleurs des effets et des causes. Il passa par-dessus des tas de morts et de mourants, et gagna d’abord un village voisin ; il était en cendres : c’était un village abare que les Bulgares avaient brûlé, selon les lois du droit public. Ici des vieillards criblés de coups regardaient mourir leurs femmes égorgées, qui tenaient leurs enfants à leurs mamelles sanglantes ; là des filles éventrées après avoir assouvi les besoins naturels de quelques héros rendaient les derniers soupirs ; d’autres, à demi brûlées, criaient qu’on achevât de leur donner la mort. Des cervelles étaient répandues sur la terre à côté de bras et de jambes coupés.

Voltaire, Candide, ou l'Optimisme - chapitre 3

Cet extrait du chapitre 3 se situe après le départ de Candide du Château de Thunder-ten-tronckh et après sa capture par les Bulgares. Ce chapitre parle pour la première fois de la guerre, vécue par Candide. Voltaire s’est inspiré de la guerre de sept ans pour l'écrire. Comment est représentée cette guerre ? Quelles sont les leçons, les critiques ?

I. Une description contrastée de la guerre

L’extrait est organisé, il est composé de deux paragraphes distincts. Le premier est très positif alors que le second est négatif, donne une vision négative de la guerre. Lequel des deux paragraphe est le plus réaliste ?

a) Deux paragraphes très contrastés

L’extrait est organisé en deux paragraphes avec à l’intérieur des prédominances lexicales.

Dans le premier paragraphe, le vocabulaire est positif : "beau", "leste". Le champ lexical du spectacle est présent. On a pas l’impression qu’une guerre est décrite : "ôta du meilleur des mondes", avec également les imprécisions : "à peu prés". Tout est valorisé. Cette vision est celle de Candide, c’est une vision naïve de la guerre, valorisée et où l'esthétique est mise en avant : "leste" ; "beau" ; "ordonné". La guerre s’apparente à une œuvre d’art. Les armes ("canons", "mousqueterie" ... ) sont dissimulées derrière l’atmosphère. Les autres éléments prennent toute la place : "trompettes, fifres, hautbois, tambours", ces accumulations atténuent la symbolique des armes. La mort elle aussi est atténuée : "coquins" qui montre que leur mort n’est pas grave. Le narrateur refuse de s’apitoyer sur leur mort. "Raison suffisante" : leur mort était normale. Candide fait référence à son maître, Pangloss : "meilleur des mondes". Les chiffres sont atténués également : "mort de quelques milliers d’hommes", "le tout pouvait bien se monter à une trentaine de mille âmes", "à peu près".

Le deuxième paragraphe crée une rupture par rapport au précédent. Le vocabulaire y est très négatif, mais aussi très réaliste : "tas de morts", "à demi brûlés". Ces détails macabres contribuent à contraster avec le paragraphe précédent. La description est faite par Candide, qui "s’enfuit au plus vite". Les champs lexicaux de la violence et des corps sont omniprésents. Le registre est pathétique. Les morts sont des vieillards, des femmes et des enfants, des innocents donc. Les formes passives montrent qu’ils ont subis l’action, les pluriels renforcent l’horreur de la scène. C’est insoutenable, les images de mères avec leur enfants dans les bras, les images de viol, tout renforce l’horreur de la scène et son pathétique.

b) Deux points de vue différents

La scène est vue par Candide, c’est donc son point de vue qui est exposé ici. Mais ce n’est pas le seul. Certains détails amènent à penser qu’il existe un second point de vue. De nombreuses antithèses sont utilisées, comme "formaient une harmonie telle qu’il n’y en eut jamais en enfer", créant un décalage qui sert à prévenir le lecteur.

L'oxymore : "boucherie héroïque" montre qu’il existe en fait un double regard dans le texte. On distingue deux points de vue : celui, naïf de Candide et celui de l'auteur, très différent. De plus, les idées de Candide sont ridicules, l’harmonie des canons par exemple ou le fait que la guerre soit du théâtre. On ne peut pas se cantonner à la pensée de Candide.

II. Une dénonciation de la guerre

L'auteur donne donc son point de vue. Il critique la guerre et l’optimisme.

a) Critique de l'optimisme

Voltaire fait ici une satire de l’optimisme, avec "raison suffisante" et "ôter du meilleur des mondes". Il ridiculise la pensée philosophique : "tremblait comme un philosophe", "il prit le parti d’aller raisonner ailleurs des effets et des causes". Il critique ici les philosophes en général puisqu’il dit qu’au moindre danger, ils s’enfuient.

b) Critique de l'absurdité de la guerre

Voltaire dénonce les horreurs de la guerre ainsi que leur inutilité. Les guerres sont gratuites et horribles : "vieillards criblés de coups", "filles éventrées". Elle est absurde car elle n’a pas de raison précise.

Les deux camps sont accusés, avec des massacres identiques de chaque côté : "renversèrent ( ... ) de chaque côté". "C'était un village abare que les Bulgares avaient brûlés" / "appartenaient à des Bulgares, et des héros abares l’avaient traité de même": ce chiasme montre que les deux camps font exactement la même chose. C’est un procédé de généralisation, montrant que c’est la même chose dans toutes les guerres.

b) Critique des organisateurs de la guerre

Voltaire critique également ceux qui organisent et autorisent la guerre : "les deux rois faisaient chanter des Te Deum chacun dans son camp".

Les deux Rois demandent au même Dieu de massacrer l’autre. Il dénonce le fait que l’on se cache derrière la religion pour faire la guerre en toute légalité, "Selon les droits naturels". Voltaire dénonce ces "droits".

Conclusion

C’est la première fois que Candide rencontre le mal dans son épopée. Voltaire fait de cette rencontre une leçon de tolérance. Selon lui, la guerre est une atteinte aux droits de l’homme.

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