Yourcenar, Mémoires d’Hadrien - Saeculum aureum: La mort d'Antinoüs

Copie rédigée en classe, pendant un devoir surveillé de première, en voie générale. Note obtenue: 16/20.

Dernière mise à jour : 12/10/2021 • Proposé par: cyprien.f68 (élève)

Texte étudié

Antinoüs était mort. Je me souvenais de lieux communs fréquemment entendus : on meurt à tout âge ; ceux qui meurent jeunes sont aimés des dieux. J’avais moi-même participé à cet infâme abus de mots ; j’avais parlé de mourir de sommeil, de mourir d’ennui. J’avais employé le mot agonie, le mot deuil, le mot perte. Antinoüs était mort.

L’Amour, le plus sage des dieux... Mais l’amour n’était pas responsable de cette négligence, de ces duretés, de cette indifférence mêlée à la passion comme le sable à l’or charrié par un fleuve, de ce grossier aveuglement d’homme trop heureux, et qui vieillit. Avais-je pu être si épaissement satisfait ? Antinoüs était mort. Loin d’aimer trop, comme sans doute Servianus à ce moment le prétendait à Rome, je n’avais pas assez aimé pour obliger cet enfant à vivre. Chabrias, qui, en sa qualité d’initié orphique, considérait le suicide comme un crime, insistait sur le côté sacrificiel de cette fin ; j’éprouvais moi-même une espèce d’horrible joie à me dire que cette mort était un don. Mais j’étais seul à mesurer combien d’âcreté fermente au fond de la douceur, quelle part de désespoir se cache dans l’abnégation, quelle haine se mélange à l’amour. Un être insulté me jetait à la face cette preuve de dévouement ; un enfant inquiet de tout perdre avait trouvé ce moyen de m’attacher à jamais à lui. S’il avait espéré me protéger par ce sacrifice, il avait dû se croire bien peu aimé pour ne pas sentir que le pire des maux serait de l’avoir perdu.

Yourcenar, Mémoires d’Hadrien - Saeculum aureum (page 220 aux éditions Folio)

Marguerite Yourcenar née le 8 juin 1903 à Bruxelles et morte le 17 décembre 1987 à Bar Harbor dans l'État du Maine (États-Unis), est une femme de lettres française (naturalisée américaine en 1947). Romancière, nouvelliste et autobiographe, elle est aussi poétesse, traductrice, essayiste et critique littéraire. On retrouve cet extrait milieu du roman; dans la partie Saeculum Aureum (siècle d'or) consacrée à l'apogée du règne et du bonheur d'Hadrien. Mais la mort d'Antinoüs, jeune homme originaire de Bithynie ayant vécu au IIè siècle après J. -C. , plus connu comme favori et amant de l'empereur romain Hadrien, met fin à cette félicité. C'est le thème le plus romanesque du roman, car il n'y a pas de source détaillant les événements : Marguerite Yourcenar a imaginé, en usant de la « magie sympathique » à laquelle elle se réfère dans ses "Carnets de notes", à la fois les événements et la manière dont Hadrien a pu les vivre.

Lors d'un voyage en Égypte, Antinoüs, le jeune amant de l'empereur s'est suicidé, par peur de vieillir et de ne plus être aimé, et pour offrir sa vie en offrande aux dieux pour le salut d'Hadrien. Hadrien et sa suite viennent de trouver le corps. En revenant du Nil, Hadrien se souvient des décès qui ont jalonné son existence : aucun ne l'avait affecté comme celui-ci. Dans le passage à étudier, Hadrien fait face à la réalité de la mort de l'amour de sa vie doit affronter le deuil. Dans un premier temps nous allons voir la différence entre le mot « mort » et la réalité de la mort, puis sous le mot « amour », la culpabilité d'Hadrien, ne l'ayant pas assez aimé. Puis nous verrons comment la signification du suicide est remise en cause. En filigrane nous verrons enfin comment l'autrice use du motif de la mort de l'être aimé, topos traditionnels de la littérature comme de l'autobiographie, pour développer l'humanité de son personnage, dans ce qui s'apparente à une confession.

I. La différence entre les mots et leur réalité

a) La mort

Dès le début c'est la conclusion de la remémoration des décès qu'il a déjà connu. Cette conclusion a pour but de marquer la différence entre cette perte et toutes les précédentes. Elle est encadrée par "Antinoüs était mort": la forme minimale de cette phrase peut signifier l'impuissance des mots à dire la réalité, et la brutalité de la mort. Cet encadrement par la répétition semble former un enfermement : la vie d'Hadrien semble arrêtée. C'est aussi implicitement la condamnation de

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