Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves - P4: Mort de M. de Clèves

Commentaire littéraire d'un élève de première en voie générale, pour un devoir à la maison.

Dernière mise à jour : 14/01/2022 • Proposé par: orianne (élève)

Texte étudié

Elle lui conta ensuite comme elle avait cru voir quelqu'un dans ce jardin. Elle lui avoua qu'elle avait cru que c'était M. de Nemours. Elle lui parla avec tant d'assurance, et la vérité se persuade si aisément lors même qu'elle n'est pas vraisemblable, que M. de Clèves fut presque convaincu de son innocence.
— Je ne sais, lui dit-il, si je me dois laisser aller à vous croire. Je me sens si proche de la mort que je ne veux rien voir de ce qui me pourrait faire regretter la vie. Vous m'avez éclairci trop tard, mais ce me sera toujours un soulagement d'emporter la pensée que vous êtes digne de l'estime que j'ai eue pour vous. Je vous prie que je puisse encore avoir la consolation de croire que ma mémoire vous sera chère, et que, s'il eût dépendu de vous, vous eussiez eu pour moi les sentiments que vous avez pour un autre.
Il voulut continuer ; mais une faiblesse lui ôta la parole. Mme de Clèves fit venir les médecins, ils le trouvèrent presque sans vie. Il languit néanmoins encore quelques jours et mourut enfin avec une constance admirable.
Mme de Clèves demeura dans une affliction si violente, qu'elle perdit quasi l'usage de la raison. La reine la vint voir avec soin et la mena dans un couvent sans qu'elle sût où on la conduisait. Ses belles-sœurs la remenèrent à Paris, qu'elle n'était pas encore en état de sentir distinctement sa douleur. Quand elle commença d'avoir la force de l'envisager et qu'elle vit quel mari elle avait perdu, qu'elle considéra qu'elle était la cause de sa mort, et que c'était par la passion qu'elle avait eue pour un autre qu'elle en était cause, l'horreur qu'elle eut pour elle-même et pour M. de Nemours ne se peut représenter.

Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves - P4

Durant le XVIIᵉ siècle les écrivains mènent une réflexion sur les passions humaines surtout lorsque celles-ci sont en opposition avec la religion ou la morale. La princesse de Clèves est un roman de Madame de Lafayette paru en 1678. L’auteure est une femme de lettre qui s’illustre notamment par son appartenance aux courants précieux et classique, elle côtoie également la pensée janséniste. Cette œuvre est un roman d’analyse s’intéressant à Mlle de Chartres, épouse de M. de Clèves, jeune femme de grande vertu qui sera confrontée aux dangers de la Cour du roi Henri II. Tout au long du récit, elle est partagée entre son devoir d’épouse fidèle et des sentiments passionnels pour l’exceptionnel M. de Nemours.

L’extrait relate la mort du mari de l’héroïne qui se trouve malade de jalousie après avoir su que M. de Nemours a rendu visite à sa femme. Il croit alors qu’il sait que sa femme l’a trahi, mais en réalité il se trompe. Comment l’auteure confronte-t-elle la vertu et les dangers de la passion dans cet instant clé du roman ? Dans un premier temps nous nous interrogerons sur la place de la passion dans ce passage. Puis dans un second temps, nous nous demanderons comment la romancière souligne la vertu de Madame de Clèves dans ce moment tragique.

I. La mise en lumière d’une passion destructrice s’achevant par une destinée tragique.

a) En effet la mort tragique de Monsieur de Clèves est causée par la passion

• «[…] la passion qu’elle avait eue pour un autre qu’elle en était la cause […]» : « la passion » venant étymologiquement du grec « pathos » signifie souffrance

• Champ lexical de la maladie : « mort », « faiblesse », « médecins », « sans vie », « mourut » : l’auteure accentue le dramatique et la souffrance de Monsieur de Clèves.

• « […]si proche de la mort […] » adjectif spatial accompagné d’un adverbe d’intensité : expression tragique renforçant l’émotion du lecteur : Monsieur de Clèves ne parait plus avoir la force de résister.

• « […] la mort […] je ne veux rien voir de ce qui pourra me faire regretter la vie. » : verbe de volonté au présent « veux » ; négation « ne rien » ; verbe à l’infinitif « regretter » ; antithèse entre « la mort » et la « vie » : la passion l’a tellement aveuglé et affaibli qu’il ne veut même plus essayer de survivre se condamnant ainsi devant sa femme ce qui accentue la tristesse de cet instant.

• « […] vous m’avez éclairci trop tard […] » : la locution adverbiale « trop tard » apporte l’idée de durée qui est malheureusement dépassée : même la vérité ne peut pas le sauver ce qui amplifie le caractère funeste de l’instant.

• « […] vous eussiez eu pour moi les sentiments que vous avez pour un autre » : utilisation du subjonctif plus que parfait : l’action et terminée et ne se réalisera pas ; alors que on utilise le présent « vous avez » pour désigner son amour pour M. de Nemours. « Moi » pronom personnel à la première personne du singulier s’oppose à « un autre » pronom impersonnel : on a donc un chiasme qui clôture les paroles du mari : jusqu’à son dernier souffle ses passions l’auront donc tiraillé et sa seule « consolation » est irréalisable, le tragique imprègne donc la parole de Monsieur de Clèves.

b) Nous retrouvons aussi l’expression de sentiments ravageurs qui mènent à une perte de raison

• 7 propositions subordonnées relatives s’enchaînent des lignes 775 à 778 toutes introduites par la conjonction de subordination « que », elles sont soit juxtaposées grâce à une virgule : « […] qu’elle vit […] perdu, qu’elle considéra […] » ou reliées par des connecteurs logiques comme « et » : on a une impression de chamboulement, à la hauteur de l’affolement de Madame de Clèves.

• Champ lexical de la douleur : « violente », « perdit », « douleur », « mort », « passion », « horreur » : la romancière se sert de cette douleur pour amplifier le tumulte intérieur qui va tirailler Madame de Clèves.

• Euphémisme et litote formés par la préposition négative « sans » dans « sans vie » : cette expression annonce une mort subite presque éclipsée par le malheur de la princesse.

• « […] une affliction si violente » : adverbe d’intensité « si » qui augmente la peine que peut ressentir le lecteur en voyant l’état dans lequel les passions ont plongé l’héroïne.

• « […] elle perdit quasi l’usage de la raison […] » : adverbe « quasi » utilisé au lieu de « quasiment » : la perte de cette raison est renforcée grâce à cet adverbe car c’est comme si les mots entiers ne pouvaient plus être formulés.

Transition : C’est donc grâce à cette passion dévorante et aux sentiments ravageurs que ressentent les époux dans cet instant tragique que la romancière exprime les dangers de la passion. Néanmoins la vertu s’immisce tout de même dans ce passage et s’impose comme la solution irrémédiable au malheur de l’héroïne.

II. Une vertu s’illustrant dans le tragique de l’instant et caractérisant le personnage de Madame de Clèves

a) Tout d’abord la vérité s’impose comme la seule solution pour guérir une passion dévorante

• Répétition de « elle avait cru » utilisation du plus que parfait : elle doute mais préfère tout dire à M.de Clèves

• Pronom indéfini « quelqu’un » : elle ne cite pas tout de suite son hypothèse sur l’identité de la personne puis enfin la vérité éclate « c’était Monsieur de Nemours ».

• Champ lexical de la vérité : « vérité », « se persuade », « vraisemblance », « convaincu », « innocence ».

• « […] elle lui parla avec tant d’assurance » : adverbe d’intensité qui exprime l’envie de Madame de Clèves d’être sincère.

• « […] et la vérité se persuade si aisément » : verbe « persuader » qui laisse entendre que la vérité ne laisse pas de place au doute ; adverbe d’intensité « si » suivi de l’adverbe « aisément » : qui renforce cette impression de sincérité.

• « […] elle [la vérité] n’est pas vraisemblable […] » négation totale « ne…pas », c’est une litote : accentue la confiance exceptionnelle que Monsieur de Clèves porte à sa femme pour la croire.

b) De plus c’est par l’expression d’une culpabilité palpable chez le personnage que son regret est mis en valeur

• « demeura » : verbe intransitif exprimant la longueur de l’affliction de Madame de Clèves.

• « […] d’avoir la force de l’envisager […] » : elle ne peut affronter la vérité car elle comprend son implication dans la mort de son mari. « La force » renvoie au courage qu’il faut avoir pour devenir vertueuse.

• Répétition de « était la cause » : elle se sent coupable et s’attribue directement la mort de son mari.

• « […] elle vit quel mari elle avait perdu […] » : déterminant exclamatif « quel », « mari » renvoie au devoir conjugal et à l’affection que devrait porter une épouse à son conjoint or Madame de Clèves regrette car elle n’a su retenir son cœur d’aimer un autre.

• « […] qu’elle était la cause » : proposition subordonnée relative : elle se sent encore responsable ce qui prouve bien sa culpabilité.

c) Finalement le devoir qui s’empare de Madame de Clèves annonce déjà la destinée du personnage

• Antithèse entre « la force » et la « douleur » : Madame de Clèves recouvre la raison.

• Proposition subordonnée circonstancielle de temps : « Quand elle commença […]de l’envisager […] » : situe vaguement l’action et la conjonction de subordination « quand » laisse à penser qu’il sait passer longtemps avant ce changement de mentalité.

• On la mène dans « un couvent » : elle finira sa vie dans les Pyrénées dans un couvent

• « […] l’horreur qu’elle eut pour […] Monsieur de Nemours ne se peut représenter » : négation avec l’adverbe « ne » : ce sentiment irreprésentable affectera sa décision de s’éloigner de M. de Nemours.

• Evocation du devoir d’épouse fidèle par son mari mourant : « […] de croire que ma mémoire vous sera chère […] » : proposition subordonnée relative, « chère » renvoie à l’attachement

• « […] la passion qu’elle avait eue pour un autre […] » : utilisation du plus que parfait : ses sentiments sont donc éteints, à présent elle est revenue sur la voie de la vertu. « Un autre » : pronom indéfini : on ne cite même plus M.de Nemours, il est devenu quelconque par rapport à M. de Clèves.

Conclusion

Madame de Lafayette dépeint ainsi en quelques lignes une passion ravageuse qui mène à la perte de l’individu et de sa raison. Cependant la romancière nous propose également une échappatoire à cette destruction : la vertu et ses subordonnées, la vérité et la culpabilité. En effet c’est grâce à celles-ci que Madame de Clèves retrouve finalement davantage de sagesse qui la rappelle à son devoir.

C’est ainsi que ce passage nous montre une antagonisme parfaite entre passion mortelle et vertu élévatrice. L’auteure nous dépeint alors une scène tragique où la douleur et l’affliction des deux époux émeuvent le lecteur. Finalement nous pouvons nous interroger sur la qualité de ce passage à s’inscrire dans la pensée janséniste et à se rapprocher du dénouement de la tragédie classique.