Introduction/Situation de l'extrait
Mal mariée, La Princesse de Montpensier s'est résignée à s'éloigner du duc de Guise son amant tout en le raisonnant. Son prétendu beau frère s'est brouillé avec son mari. La guerre contraint la princesse à Champigny (sur Veude dans le pays de Loire à 100 km de Loches). Les catholiques sont de nouveau appelés par la reine. La guerre contre les Huguenots reprend pendant trois ans. Revenu de la guerre en 1569, le prince de Montpensier se montre jaloux de sa femme embellie et éduquée. La visite impromptue du Prince d'Anjou et du duc de Guise ravivent les craintes du mari. Chabannes, précepteur amoureux et confident de la princesse se désole du retour du duc de Guise également.
I. Les personnages et leurs relations
Un point de vue omniscient
La distribution des informations est cruciale. Le lecteur connaît tout des sentiments de chacun. La narrateur le met ainsi en situation de supériorité vis à vis des personnages :
- Le mari est à la chasse... Mari jaloux, haï de l'ancien amant, longtemps absent. Sa femme P. 41 « quasi une personne inconnue par le peu de temps qu'il avait demeuré avec elle ». Ces informations laissent à penser que le couple n'est pas heureux.
- Chabannes a avoué son amour à la Princesse de Montpensier en vain. Celle-ci l'a pris pour confident de sa passion pour le duc de Guise. Chabannes oublie sans peine « ses intérêts et ne songe qu'à augmenter le bonheur et le gloire de la princesse » .
- De Guise en détournant la cour d'Anjou avoue son désir de revoir la princesse, « Il pensait en lui-même qu'il pourrait demeurer aussi bien pris dans les liens de cette belle princesse que le saumon l'était dans les filets du pêcheur ».
Le "dîner des jaloux"
Ainsi voici réunis tous les amants de la Princesse de Montpensier : Tavernier a appelé ce dîner celui des jaloux.
- Le désir du duc d'Anjou est manifeste, public. Mais aussi il est « fort galant et fort bien fait ». Et « il ne put voir une fortune si digne de lui sans la souhaiter ardemment ». La fortune selon l'étymologie : la chance. Ici la surprise de découvrir la beauté et l'esprit de la princesse. L'esprit et la beauté s'égalant s'appellent chez l'auteure. « Il demeura deux jours à Champigny sans être obligé que par les charmes de Madame de Montpensier ».
- Le prince de Montpensier est animé par « la haine » pour de Guise, « la jalousie naturelle ». Il conçoit du « chagrin », il voit deux hommes avec sa femme « comme quelque chose de désagréable », il traduit cela en « crainte de mal recevoir ces hôtes ». Il ne fit pas « de violence pour les retenir ». Les sentiments du Prince de Montpensier sont négatifs, masqués. Il est contraint de faire bonne figure selon son rang.
- Chabannes craint la passion réciproque entre la princesse et de Guise. « Il pronostiquait aisément que ce commencement de roman ne serait pas sans suite ». Mais il est au bas de l'échelle et protégé par le Prince de Montpensier ici en mauvaise posture. Il est le seul à connaître cette passion adultère. Le seul à comprendre ce que sous entend le duc de Guise lorsque celui-ci assure la Princesse de Montpensier de son amour . « Il dit plusieurs fois devant tout le monde sans être entendu que d'elle que son cœur n'était point changé. » Entendre signifie ici comprendre.
« Madame de Montpensier fit les honneurs de chez elle avec le même agrément qu'elle faisait de toutes choses ». Contrainte par l'éducation, les circonstances, elle ne fait que paraître.
II. Un monde hiérarchisé donc hypocrite
Un monde hiérarchisé
- Le duc d'Anjou est le maître selon son rang de noblesse. Il mène la troupe, décide de rester deux jours à Champigny. Il fait des confidences à son compagnon d'armes en se souciant de leurs sentiments communs pour la princesse. Mais le terrain n'est pas amical. Trop de distance les sépare. De Guise serait « infailliblement son rival » : il ne faut rien découvrir /ôter tout soupçon /ne rien avouer. Le silence est politique.
- De Guise sentait bien que la vue de la princesse « pourrait lui être dangereuse s'il y était souvent exposé ». Le plus haut placé a la liberté de parler . Mais il reste contraint par les mœurs et la religion. L'amour comme un danger.
- De Montpensier compose sa jalousie en problème d'étiquette. Il feint de mal recevoir ses hôtes. Il compte sur la surprise de la visite pour excuser sa réception. La situation éclaire la hiérarchie sociale et la petitesse d'esprit du prince. Il se montre obséquieux avec mesure, et de mauvaise foi pour le narrateur.
- Chabannes ne compte pour rien dans ce jeu quoique bien renseigné sur le cœur de la Princesse. Le narrateur l'oublie. Devant tout le monde de Guise répète qu'il n'a pas changé de cœur. Selon le narrateur, de Guise n'est compris de la princesse. Chabannes sacrifié encore.
Un monde de calcul
Voici que se dessine un monde de calcul, où les sentiments se contrarient. Aimer semble impossible de toutes façons.
- Une menace pour la tranquillité le bonheur, l'honneur selon de Chabannes.
- Une source de jalousie de haine pour le Prince de Montpensier
- Une passion dangereuse à taire pour de Guise
- Une tentation très vive pour d'Anjou
Bref, un sentiment tragique annonciateur de désastres. L'humanité est pécheresse, l'amour est tragique.
Si l'expression faite d'exagération et de périphrase et la composition très libre s'apparentent au baroque, la nature des sentiments annonce le classicisme par leur pessimisme.
Conclusion
Une vue omnisciente d'un triangle amoureux compliqué par le rang et les désirs mal adressés. Il semble que seul le renoncement, l'amour véritable soit celui de Chabannes. Mais celui-ci ne mérite pas même de mention par le narrateur. Le lecteur attend un dénouement malheureux à ce dîner de jaloux. Il y a trop d'amants et de désirs autour de la princesse, réduite elle au silence et à la perfection.