Montesquieu, De l'Esprit des Lois - Livre XV, chapitre 5: De l'Esclavage des Nègres

Commentaire composé en deux parties.

Dernière mise à jour : 29/11/2021 • Proposé par: bac-facile (élève)

Texte étudié

Si j'avais à soutenir le droit que nous avons eu de rendre les nègres esclaves, voici ce que je dirais :

Les peuples d'Europe ayant exterminé ceux de l'Amérique, ils ont dû mettre en esclavage ceux de l'Afrique, pour s'en servir à défricher tant de terres.

Le sucre serait trop cher, si l'on ne faisait travailler la plante qui le produit par des esclaves.

Ceux dont il s'agit sont noirs depuis les pieds jusqu'à la tête ; et ils ont le nez si écrasé qu'il est presque impossible de les plaindre.

On ne peut se mettre dans l'esprit que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout une âme bonne, dans un corps tout noir.

Il est si naturel de penser que c'est la couleur qui constitue l'essence de l'humanité, que les peuples d'Asie, qui font des eunuques, privent toujours les Noirs du rapport qu'ils ont avec nous d'une façon plus marquée.

On peut juger de la couleur de la peau par celle des cheveux, qui, chez les Egyptiens, les meilleurs philosophes du monde, étaient d'une si grande conséquence, qu'ils faisaient mourir tous les hommes roux qui leur tombaient entre les mains.

Une preuve que les nègres n'ont pas le sens commun, c'est qu'ils font plus de cas d'un collier de verre que de l'or, qui, chez des nations policées, est d'une si grande conséquence.

Il est impossible que nous supposions que ces gens-là soient des hommes ; parce que, si nous les supposions des hommes, on commencerait à croire que nous ne sommes pas nous-mêmes chrétiens.

De petits esprits exagèrent trop l'injustice que l'on fait aux Africains. Car, si elle était telle qu'ils le disent, ne serait-il pas venu dans la tête des princes d'Europe, qui font entre eux tant de conventions inutiles, d'en faire une générale en faveur de la miséricorde et de la pitié ?

Montesquieu, De l'Esprit des Lois - Livre XV, chapitre 5

Au chapitre XV de De l’esprit des lois, Montesquieu dénonce l'esclavage en une démonstration qui doit sa force à la forme choisie. Il s'agit en effet d’une argumentation en neuf points successifs, soulignés par une disposition en paragraphes et de nombreux alinéas. Le caractère argumentatif du texte est annoncé dès l'entrée en matière, qui souligne une situation hypothétique. La démonstration reprend alors les arguments que pourraient énoncer les esclavagistes, mais en soulignant à chaque fois leur caractère inadmissible, incohérent, absurde. C'est ce choix de démonstration a contrario, ou par l'absurde, qui rend le texte difficile à analyser. Et l'apparence de parti pris pro-esclavagiste conduit à constamment retourner les propositions. L'ironie joue donc un rôle essentiel.

La lecture méthodique du texte mettra l'accent sur la structure et sur l'énonciation du texte, puis sur les incohérences successives du raisonnement.

I. la structure et l'énonciation du texte

L'importance de la première phrase et le type de texte : Il est essentiel de repérer la structure de la première phrase et d’en tenir compte

a) La présence de Si

La phrase débute par Si, ce qui attire l'attention sur l'idée d'une condition. Cette idée est soulignée par le mode du verbe principal, je dirais. Le conditionnel présent peut avoir ici valeur de potentiel (action réalisable dans l'avenir) ou d’irréel dans le présent (action irréalisée dans le présent). La présence de la condition, la volonté de défendre l'esclavage, éclairent le choix modal. Il s'agit d'une pure hypothèse, d’un cas de figure impossible, d'une «hypothèse» d’école de pure rhétorique.

b) La démarche argumentative

Elle s'exprime à travers le choix lexical. Les termes soutenir et droit, le verbe dire, le présentatif voici situent la démarche dans une perspective d'argumentation, de discours structuré, de volonté de défendre. La suite du texte s'annonce donc comme un plaidoyer en faveur de l'esclavage. Il s'agit pour le locuteur je, d’énoncer des justifications de l'esclavage. Le lecteur attend donc une défense en bonne et due forme. Il convient cependant de ne pas oublier l'hypothèse première et d’établir une relation (a priori paradoxale) entre la personnalité du locuteur et le contenu annoncé de son discours.

c) La structure du texte

Une fois analysée l'entrée en matière, qui constitue une sorte de déclaration d’intention, Il est intéressant d’observer la forme

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