Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe - Livre III

Fiche en trois parties : 1. La nature est le théâtre des tourments de Chateaubriand 2. Un état de « délire »
3. Un état de complaisance lors de cette reconstruction de son passé

Dernière mise à jour : 16/03/2021 • Proposé par: zetud (élève)

Texte étudié

Ce délire dura deux années entières, pendant lesquelles les facultés de mon âme arrivèrent au plus haut point d'exaltation. Je parlais peu, je ne parlai plus ; j'étudiais encore, je jetai là les livres ; mon goût pour là solitude redoubla. J'avais tous les symptômes d'une passion violente ; mes yeux se creusaient ; je maigrissais ; je ne dormais plus ; j'étais distrait, triste, ardent, farouche. Mes jours s'écoulaient d'une manière sauvage, bizarre, insensée, et pourtant pleins de délices.

Au nord du château s'étendait une lande semée de pierres druidiques ; j'allais m'asseoir sur une de ces pierres au soleil couchant. La cime dorée des bois, la splendeur de la terre, l'étoile du soir scintillant à travers les nuages de rose, me ramenaient à mes songes : j'aurais voulu jouir de ce spectacle avec l'idéal objet de mes désirs. Je suivais en pensée l'astre du jour, je lui donnais ma beauté à conduire afin qu'il la présentât radieuse avec lui aux hommages de l'univers. Le vent du soir qui brisait les réseaux tendus par l'insecte sur la pointe des herbes, l'alouette de bruyère qui se posait sur un caillou, me rappelaient à la réalité : je reprenais le chemin du manoir, le coeur serré, le visage abattu.

Les jours d'orage en été, je montais au haut de la grosse tour de l'ouest. Le roulement du tonnerre sous les combles du château, les torrents de pluie qui tombaient en grondant sur le toit pyramidal des tours, l'éclair qui sillonnait la nue et marquait d'une flamme électrique les girouettes d'airain, excitaient mon enthousiasme : comme Ismen sur les remparts de Jérusalem, j'appelais la foudre ; j'espérais qu'elle m'apporterait Armide.

Le ciel était-il serein ? je traversais le grand Mail, autour duquel étaient des prairies divisées par des haies plantées de saules. J'avais établi un siège, comme un nid, dans un de ces saules : là isolé entre le ciel et la terre, je passais des heures avec les fauvettes ; ma nymphe était à mes côtés. J'associais également son image à la beauté de ces nuits de printemps toutes remplies de la fraîcheur de la rosée, des soupirs du rossignol et du murmure des brises.

D'autres fois, je suivais un chemin abandonné, une onde ornée de ses plantes rivulaires ; j'écoutais les bruits qui sortent des lieux infréquentés ; je prêtais l'oreille à chaque arbre. Je croyais entendre la clarté de la lune chanter dans les bois : je voulais redire ces plaisirs et les paroles expiraient sur mes lèvres. Je ne sais comment je retrouvais encore ma déesse dans les accents d'une voix, dans les frémissements d'une harpe, dans les sons veloutés ou liquides d'un cor ou d'un harmonica. Il serait trop long de raconter les beaux voyages que je faisais avec ma fleur d'amour ; comment main en main nous visitions les ruines célèbres, Venise, Rome, Athènes Jérusalem, Memphis, Carthage ; comment nous franchissions les mers ; comment nous demandions le bonheur aux palmiers d'Otahiti, aux bosquets embaumés d'Amboine et de Tidor. Comment au sommet de l'Himalaya nous allions réveiller l'aurore ; comment nous descendions les fleuves saints dont les vagues épandues entourent les pagodes aux boules d'or ; comment nous dormions aux rives du Gange, tandis que le bengali, perché sur le mât d'une nacelle de bambou, chantait sa barcarolle indienne.

La terre et le ciel ne m'étaient plus rien ; j'oubliais surtout le dernier : mais si je ne lui adressais plus mes voeux, il écoutait la voix de ma secrète misère : car je souffrais, et les souffrances prient.

Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe - Livre III

Introduction

Cet extrait fait partie des Mémoires d’Outre-tombe de François René de Chateaubriand, mémoires rédigées de 1803 à 1841 et publiées à titre posthume en 1848. Chateaubriand a écrit principalement à partir de 1817, après avoir entendu une grive dans le parc du château de Montboissier. Dans son œuvre, il retrace les épisodes de sa vie aventureuse et les grands évènements de l’histoire, en France mais aussi dans le Nouveau monde, en Allemagne, en Angleterre. Dans le chapitre IX, Chateaubriand évoque ses « Deux années de délire » qu’il a passé à Combourg entre 16 et 18 ans. Cela se passe donc après la fin de ses études à Dol, Dinan et Rennes et hésitant entre une carrière militaire et ecclésiastique, de 1784 à 1786. Chateaubriand, encouragé par sa sœur Lucille qui est « medium », va y forger sa personnalité. A Combourg, il vit au sein de la maison familiale, entre un père strict et qu’il déshumanise, une mère qui passe son temps à se morfondre et à prier. Dans le chapitre précédent, Chateaubriand explique qu’il s’est composé une femme aux traits cosmopolites, présentant « le génie et l’innocence de ma sœur, la tendresse de ma mère, la taille, les cheveux et le sourire de la charmante étrangère ». Adolescent désespéré, sans amour, Chateaubriand tente de se suicider, sombre dans la maladie. Il précipite alors son départ dans la vie active et est alors expédié en garnison à Cambrai et ensuite à Dieppe. Les années de Combourg restent pour Chateaubriand des années décisives où il va réfléchir sur le temps, il dit d’ailleurs : « c’est du bois de Combourg que je suis devenu ce que je suis, que j’ai commencé à sentir la première atteinte du mal que j’ai porté le reste de ma vie, de cette vague tristesse […] c’est là que j’ai cherché un cœur qui pût entendre le mien ». Dans son exaltation solitaire à Combourg, le jeune Chateaubriand s’était composé vers sa quinzième année, une femme imaginaire à partir de toutes les femmes qu’il avait vues. Cette dernière, son « fantôme d’amour », le suivait partout, invisible mais présente pour lui.
Comment Chateaubriand exprime t-il cette expérience de manque qu’il a connu pendant deux ans ? Comment surmonte t-il son déchirement existentiel ? C’est la nature qui va lui fournir un cadre propice à ses rêveries, un refuge solitaire qu’il va peuplé – lors de son délire – de chimères, d’un « fantôme d’amour » que Chateaubriand se plaît à se rappeler.

III. La nature est le théâtre des tourments de Chateaubriand


Elle est le lieu où il se réfugie, elle fournit le cadre à sa vie.

Tout d’abord, Chateaubriand peint la topographie des lieux, il fixe l’architecture de son tableau. Différents lieux sont énumérés par Chateaubriand, tout d’abord des lieux référents au château dans lequel il vit : le « nord du château », la « tour de l’ouest », les « remparts », les « combles », le « toit pyramidal », le « haut de la grosse tour de l’ouest ». Il ne fait donc pas référence à des lieux conviviaux, plein de douceur, de chaleur du foyer familial. Il évoque uniquement l’aspect froid du château féodal défensif. En parallèle, Chateaubriand conte les promenades qu’il faisait dans les environs du château. Il sortait du château et s’évadait, seul, dans « une lande », il traversait « le grand Mail », montait « dans un de ces saules » où il se trouvait « entre le ciel et la terre », suivait « un chemin abandonné, une onde ornée de ses plantes rivulaires ». Le « saule » quant à lui est, en Occident, associé à la mort car sa morphologie rappelle les sentiments de tristesse, mais c’est aussi dans d’autres civilisations un symbole d’immortalité, un arbre de vie. Il fait également allusion aux oiseaux peuplant la nature (« rossignol », « girouettes », « alouette de bruyère »), contrairement au château glacial où il ne semble pas y avoir de contacts ni humains ni animaliers. Il évoque l’air, le ciel (« soleil», « cime dorée des bois », « étoile du soir », « nuages de rose », « univers », « vent du soir », « foudre »). Le vocabulaire est donc bien plus riche et détaillé quand il parle de la nature, lieu de ressourcement, contrairement au château, son lieu de résidence.
Pour souligner l’harmonie de la nature, son enchantement, Chateaubriand utilise de nombreuses métaphores musicales, créant ainsi une sonorité à son texte. On peut analyser quelques unes de ces phrases au sein desquelles on note une récurrence d’une harmonie imitatives, de son et de rythme.
- « étoile du soir scintillant à travers les nuages de rose, me ramenaient à mes songes » : allitération en « s » : s(oir)/sc(intillant)/(ro)se/s(onges), assonances en « oi » : (ét)oi(le)/(s)oi(r).

- « le roulement du tonnerre […] les torrents de pluie qui tombaient en grondant […] l’éclair qui sillonnait la nuit et marquait d’une flamme électrique les girouettes d’airain, excitaient mon enthousiasme ». Il y a un allitération en « to » comme tonner : to(nnerre)/to(rrents)/to(mbaient), on entend également une allitération des « r » : (tonne)rre / r(oulement)/(to)rr(ents)/gr(ondant). Chateaubriand est hypersensible, il mime le bruit du tonnerre qui tonne et gronde. On peut noter aussi qu’il s’agit d’une asyndète : il n’y a pas de mots de liaisons entre les propositions.

- « fraîcheur de la rosée, des soupirs du rossignol et du murmure des brises » : allitérations en « i » et « r » : (f)r(aicheu)r/r(osée)/(soup)ir/r(oss)i(gnol)/(mu)r(mu)re/b(ri)ses. On notera l’alliance des « is » : (br)ises/(ro)ssi(gnol).

- « dans les accents du voix, dans les frémissements d’une harpe, dans les sons veloutés ou liquides d’un cor ou d’un harmonica » : allitération en « c » : (a)cc(ent)/c(or)/(harmoni)c(a), allitérations en « r » : (f)ré(missements)/(ha)r(pe), allitérations en « l » : (ve)l(outé)/l(iquides), assonances en « a » voir « ar » : har(pe)/har(monica).

D’une certaine manière, on voit apparaître un anagramme, en reprenant les allitérations et assonances : S-OI-TO-R-I/IS-C-L. On voit apparaître le mot « stoic » qui vient de stoïcisme : doctrine selon laquelle il faut vivre en accord avec la nature et la raison pour atteindre la sagette et le bonheur. Chateaubriand va vivre dans la nature et à son rythme.

La temporalité a une place à part entière dans ces deux pages. Elles résument en effet à elles seules deux années de l’enfance de Chateaubriand. Il a donc par différents moyens et artifices, réduit en quelques phrases ce qui s’est déroulé en lui. A cette fin il a utilisé un imparfait d’habitude, utilisé à outrance dans les deux pages : « je montais », « j’associais », « je suivais un chemin abandonné », « je prêtais l’oreille », etc… Il accélère ou ralentit ses phrases par le biais de figures stylistiques : il utilise à six reprises des anaphores qui donnent une impression de répétition, d’habitude continuelle : « comment nous ». Les termes : « d’autres fois » marquent également la répétition de l’action, « les jours d’orage » semblent nombreux, « encore », « redire », « il serait trop long de raconter », « ces nuits de printemps toutes remplies ». Le mouvement de « roulement » ou des « torrents », fait penser à des mouvements longs et répétitifs. Chateaubriand dit peu de choses en deux pages mais laisse tout supposer. Il explique que les journées étaient des rituels répétitifs, les mêmes promenades, les mêmes rêves sans cesse. L’imparfait d’habitude ne fait que renforcer cette idée de longueur des jours qui ne passent pas, des jours longs, d’ennuie, à décompter les heures avant la tombée de la nuit.
Chateaubriand se promène à différents moments : les « jours d’orage », au « soleil couchant », pendant les « nuits de printemps », « en été », « nous allions réveiller l’aurore », « nous dormions », « clarté de la lune chanter dans les bois » (la nuit). Son esprit semble mélanger les saisons, être à la fois au printemps et en été, à l’aube et à la tombée de la nuit. Il est dans une temporalité de rêve, dans un état de confusion, il manque de précision. Le moment de prédilection pour ses promenades est donc la tombée du jour.
Par des moyens détournés il fait également référence aux temps, ce qui lui permet de ne pas évoquer les moments de la journée ni les jours. En effet, il utilise des oiseaux. Les oiseaux dont parle Chateaubriand font également référence aux saisons et aux moments de la journée, moment qui reviennent chaque jour. La symbolique de l’oiseau a parallèlement un puissant rapport avec l’âme. Ainsi le rossignol annonce le printemps et son chant pousse à aimer. Lorsque survient l’alouette c’est le petit matin, c’est le moment de se séparer, de quitter la nature, de rentrer chez soi et donc de rejoindre le château en douce. L’alouette est en effet associée au lève-tôt, c’est l’oiseau des travailleurs de la campagne. Le « bengali » quant à lui est un oiseau au plumage coloré originaire d’Afrique tropicale ou d’Asie. Chateaubriand, par l’utilisation d’oiseaux, crée des images bien précises : lever du matin par exemple, nous montre le caractère continuel de ses journées.

Enfin, dans ce cadre campagnard, à la tombée de la nuit, apparaît un adolescent de 16-18 ans tourmenté, « mal dans sa peau ». Dans le premier paragraphe, Chateaubriand va résumer l’état d’esprit dans lequel il était à cet âge : « je ne parlai plus […] je jetai là les livres ; mon goût pour la solitude redoubla. J'avais tous les symptômes d'une passion violente ; mes yeux se creusaient ; je maigrissais ; je ne dormais plus ; j'étais distrait, triste, ardent, farouche. Mes jours s'écoulaient d'une manière sauvage, bizarre, insensée, et pourtant pleins de délices ».
Chateaubriand souffre de divers symptômes et au lieu de se tourner vers sa famille, vers un lieu familier, il trouve comme seul refuge les bois et les landes à l’extérieur du château de Combourg : il préfère l’éloignement. Il traverse une période difficile, « deux années de délire », pendant laquelle il a des difficultés de communication « je parlais peu, je ne parlai plus », « mon goût pour la solitude redoubla ». On note le champ lexical de l’isolement « solitude », « le cœur serré », « isolé entre le ciel et la terre ». Il s’isole de tout le monde, il se met à l’écart. La nature semble être la seule entité, capable d’inspirer et de faire revivre ce jeune homme qui se laisse mourir. Il trouve en elle un refuge, un « nid » car elle lui ressemble : il est agité, tout comme l’est la nature. Il y a un parallélisme entre la nature en colère et son âme tourmentée. Au lieu d’un nid familial, c’est une cabane dans la nature qu’il va préférer.
Lorsqu’il est nostalgique (« j’allais m’asseoir sur une de ces pierres au soleil couchant »), la nature l’est également. Il se promène dans la nature lorsque celle-ci est en colère (« les jours d’orage en été », « roulement du tonnerre », « torrent de pluie »). Il y a une correspondance entre ses états d’âme et les aléas de la nature, la nature est comme un miroir, le reflet de son état d’âme, elle réverbère son âme. De plus, le rossignol à un chant mélancolique, nostalgique. C’est un texte profondément romantique, Chateaubriand traduit son malaise d’exister, son mal de vivre qu’il ressentait déjà à 16 ans. Il est en harmonie avec la nature : mise en parallèle de l’ « orage » avec « ardent, farouche », de « chemin abandonné » ou « lieux infréquentés » avec « solitude ». L’idée de la mort est présente également dans les édifices évoqués en particulier avec les termes : « pyramide » et « toit pyramidal » (telle une pyramide égyptienne au sein de laquelle reposait le tombeau du pharaon), « les ruines célèbres » (civilisations disparues), ainsi que« les combles du château ».
L’adolescent est tourmenté, en proie à des peines, mais en même temps Chateaubriand utilise l’oxymore : ardent / farouche, triste. Dans une même expression, deux termes contradictoires par leur sens sont juxtaposés, réunis et se rapportent à la même réalité, au même sujet. En effet, le terme « ardent » fait référence à la passion intense pour quelqu’un, tandis que le terme « farouche » signifie qu’il craignait le contact avec les autres, le terme triste qu’il était empreint de souffrance et de chagrin. Chateaubriand dit donc d’une part qu’il avait peur des autres et de l’autre qu’il était en proie à une passion pour une personne. Il a donc trouvé une personne à aimer passionnément, malgré le fait qu’il refusait tout contact avec d’autres, ce qui parait contradictoire.
La nature est pour Chateaubriand un spectacle qu’il contemple et qui l’invite à participer à des cérémonies ou cultes. En effet, cette nature enchanteresse, sacrée, invite Chateaubriand à participer à des rituels. Malgré le fait qu’il soit seul et qu’il se retranche dans la campagne, seul, Chateaubriand aimait quelqu’un, comme le pronom personnel « nous » et l’expression « main en main ».

II. Chateaubriand entre ensuite dans un état de « délire »

Durant ces deux années, Chateaubriand semble à fleur de peau, en émoi permanent.
Or l’émoi c’est un état de trouble né d’une inquiétude, d’une appréhension affective ou sensuelle, d’agitation. Cette sensibilité semble due à un état psychologique, en effet Chateaubriand se définit dans cette période, comme aphasique : il aurait une pathologie du système nerveux central due à une lésion d’une aire cérébrale. De plus le terme « aphasie » signifie « perte de parole ». C’est le cas ici puisque Chateaubriand nous dit qu’il s’arrêta de parler (« je parlais peu, je ne parlai plus », « je voulais redire ces plaisirs et les paroles expiraient sur mes lèvres » mais n’y arrive pas). On recense dans ce texte de nombreux termes se référent à un état pathologique, qu’elle soit physique ou mentale, il semble possédé, malade : « délire », « symptômes », « je croyais entendre », « passion violente », les jours s’écoulaient d’une manière « sauvage, bizarre, insensée », « j’étais distrait, triste, ardent, farouche », « yeux se creusaient ; je maigrissais ; je ne dormais plus ». Il est parallèlement dans un état de grande « exaltation » que lui donnent les sensations éprouvées lors de ces deux années. Cette pathologie est en effet liée aux troubles affectifs que connaît alors Chateaubriand qui va s’inventer une sylphide. Quels sont les symptômes de cette pathologie ? Sa pathologie s’exprime de plusieurs façons, par le biais de plusieurs symptômes plus ou moins opposés. La principale de ces attitudes est la promenade. Plusieurs adjectifs soulignent son agitation, son inquiétude : « la voix de ma secrète misère », « mes jours s’écoulaient d’une manière sauvage, bizarre, insensée ». On note deux énumération inverses : une gradation descendante : « distrait, triste, ardent, farouche » et en parallèle « bizarre […] et pourtant pleins de délices ». Ainsi la deuxième gradation se termine par une note positive liée au paradis : délices, tandis que la première est négative : farouche. C’est donc une antithèse, délices ≠ farouche. Il ne semble pas vouloir écarter cette inquiétude, de son bonheur, comme si l’inquiétude était nécessaire pour voir le bonheur, pour jouir et profiter du bonheur il semble que Chateaubriand accepte de passer par cet état d’inquiétudes chroniques durant deux années. Pour être heureux il faut savoir être malheureux : pour mieux mettre en lumière le bonheur il faut passer par cela. Il se pose de nombreuses questions, son esprit n’est pas mort pour autant, même s’il a arrêté de lire et de parler : « Le ciel était-il serein ? ». Chateaubriand semble être dans une sorte de labyrinthe, il doit passer par diverses épreuves avant d’en atteindre le bout et le bonheur qui y est lié.
Son inquiétude pathologique est marquée par divers motifs. Chateaubriand ère sans cesse dans les landes, dans les bois, de plus il est seul « mon goût pour la solitude redoubla », « j’aurais voulu jouir de ce spectacle avec l’idéal objet de mes désirs », « un chemin abandonné », « lieux infréquentés », « isolé entre le ciel et la terre ». On peut voir le champ lexical de la tristesse : « le cœur serré, le visage abattu », « triste », « les torrents de pluie » (comparaison aux torrents de larmes ?), « ma secrète misère », « je souffrais ». Il est divisé, morcelé. On sent que Chateaubriand balance entre deux états : exaltation et tristesse, cela est d’ailleurs marqué dans la nature : « prairies divisées par des haies », « un nid […] isolé entre le ciel et la terre ». Il montre également le caractère éphémère de l’existence, le désir de partir et le voyage (« les beaux voyages », « rossignol » et « alouette » : or les oiseaux migrent, ils sont de passage.
La nature est montrée comme une merveille grâce aux comparaisons, aux métaphores que Chateaubriand utilise. C’est un lieu idéal, un cadre privilégié pour la rêverie et le songe, pour le romantisme. La phrase clef de son texte est celle-ci : « je croyais entendre la clarté de la lune chanter dans les bois ». Il s’agit d’une figure de style précise : une synesthésie. Ce terme issu du grec signifie « perception simultanée ». Chateaubriand dans cette phrase utilise des termes qui normalement, seraient réservés à des sensations différentes. Il allie en effet une perception auditive « entendre » avec une perception liée à la vue « la clarté de la lune ». On voit la clarté de la lune, on ne l’entend pas. De même, il allie une perception auditive « chanter » avec une perception visuelle « la clarté ». Lorsque l’on lit la phrase, on comprend donc qu’il entend la clarté de la lune et qu’il entend chanter cette clarté dans les bois environnant le château de Combourg. Il utilise donc cette phrase pour exprimer des nuances de sentiments, des impressions confuses. Son hypersensibilité est exacerbée par la situation dans laquelle il se trouve. Il y a également une synesthésie dans cette phrase : « je prêtais l’oreille à chaque arbre ». Chateaubriand fait une prosopographie (description) de la nature en utilisant une harmonie de la prose tout au long du passage : « la cime dorée des bois », « la splendeur de la terre », « l’étoile du soir scintillant », « les nuages de rose ». Il semble submergé par les émotions, comme on peut le voir avec le crescendo : « La cime dorée des bois, la splendeur de la terre, l’étoile du soir scintillant à travers les nuages de rose ». Il n’y a aucun mot de liaison : c’est une asyndète. On ressent cet effet d’accumulation, d’exagération « splendeur », « cime dorée ». Chateaubriand fait régner la clarté, la lumière, dans cette scène, alors que c’est la tombée du jour et que le soleil se couche.

Dans l’extrait, Chateaubriand diffracte son moi intérieur en plusieurs parties. Pour cela, il doit procéder à un rituel.
Chateaubriand se compare lorsqu’il appelle la foudre, à « Ismen sur les remparts de Jérusalem ». Il fait ici référence au texte de Le Tasse (1544-1595, poète italien) : Jérusalem délivre (1576). Il évoque d’ailleurs Armide (« j’espérais qu’elle m’apporterait Armide »). Chateaubriand montre qu’il connaît la mythologie, et pourquoi pas l’œuvre de François Boucher : Renaud et Armide (1734) qui présente un épisode de la Jérusalem délivrée de Tasso : le moment où Renaud – guerrier chrétien – est séduit par la magicienne païenne Armide qui parvient à le retenir dans son jardin enchanté. Renaud était chargé de délivrer les chrétiens capturés par Armide qui usait de ses charmes. Dans ce contexte mystique, mystérieux, propice aux contes et aux légendes, on à l’impression que Chateaubriand se transforme : il ne parle plus, ne vit plus comme le commun des mortels, il invoque une sylphide, il communique avec elle, comprend les signes de la nature : n’est-il pas devenu – à l’image de sa sœur - un chaman ou une Pythie au masculin ? Cette même Pythie qui était la prêtresse de l’antique ville de Delphes ? Le chaman (prêtre guérisseur qui était censé communiquer avec les esprits en pratiquant la transe) serait plus proche de l’idée que l’on peut se faire de Chateaubriand. Quoi qu’il en soit, il semble en transe, il essaye de reformuler ce qu’il comprend de la nature, ce qu’il décrypte, il dit d’ailleurs qu’il « voulait redire ces plaisirs et les paroles expiraient sur mes lèvres », et que tout cela se passe durant ses « songes ». Or les songes sont des images inconscientes produites par l’esprit durant le sommeil, Chateaubriand semble évoquer le fait que ce sont les Dieux, sa sylphide peut être, qui communique avec lui et lui permettent de comprendre la nature et ce qu’elle essaye de lui dire. Chateaubriand semble délivrer des oracles, des prophéties qui émanent d’un Dieu qui serait celui de la nature et de la lune : Artémis. N’est-ce pas d’ailleurs Zeus qui lance la foudre (flamme électrique) ? Le château ne serait pas le palais des Dieux sur le mont Olympe (référence à l’Himalaya, le plus haut sommet d’Europe), Sélène est la déesse de la Lune, etc… Ainsi si sa sœur Lucille était en quelque sorte medium, Chateaubriand pourrait être un prêtre, le prêtre d’Artémis ?
Chateaubriand fait allusion aux druides avec l’expression « lande semée de pierres druidiques ». Le druide était un prêtre gaulois qui avait diverses fonctions (enseignement, juge, administrateur civil). La harpe dont parle Chateaubriand, pourrait être celle de Dagda : dieu celte qui est le dieu des druides, entre autre dieu du tonnerre, qui possède comme attributs : la harpe (qui est maître de la croissance des végétaux, et fait défiler les saisons), ainsi que le chaudron et le marteau. Il fait référence par ailleurs à des cultes celtes vénérés dans la culture bretonne, aux mythes grecs notamment la Course du soleil (« je suivais en pensée l’astre du jour, je lui donnais ma beauté à conduire afin qu’il la présentât radieuse avec lui aux hommages de l’univers »). Selon la mythologie grecque, Hélios est la personnification du Soleil. C’est l’une des divinités primordiales du panthéon grec. Il traverse chaque jour les cieux dans son char tiré par quatre chevaux et il est précédé par Eos : c’est lui qui apporte la lumière. Il passe la nuit dans un palais doré à l’ouest, avant de repartir au matin. Chateaubriand nous montre indirectement que la nature est son propre reflet : qu’il y a des analogies entre les images du temps et de la saison, et son moi intérieur.

Le difficile retour à la réalité de l’adolescent tourmenté : la résolution de la crise.
Chateaubriand quitte ses songes grâce à l’intervention d’un animal et du vent : « le vent du soir […], l’alouette de bruyère qui se posait sur un caillou, me rappelaient à la réalité : je reprenais le chemin du manoir ». Le vent réveil Chateaubriand de sa torpeur, il symbolise la puissance divine, celle-ci voudrait peut-être l’empêcher d’entrer en contact avec sa sylphide. L’adolescent est en tout cas peiné de devoir revenir à la réalité « je reprenais le chemin du manoir, le cœur serré, le visage abattu ». La réalité c’est le temps qui passe et qui fuit, la mort, le manoir.
L’adolescent a le visage abattu, c'est-à-dire accablé, terrassé par le découragement ou la fatigue. Le rapport à la réalité est donc extrêmement violent pour Chateaubriand qui en est physiquement marqué. Le bien-être apporté par ses rêves et par la présence de sa sylphide, est rompu, il en est extrêmement triste, malheureux. Lui-même en reconstituant son souvenir semble se désoler, se morfondre, souffrir. On note l’allitération en « r » associée à l’idée de retour, et la chute après « abattu ». Le vent « brisait les réseaux » : le vent brisait la toile tendue par la Sylphide, tout ce qui la retient à elle est brisé. L’alouette quant à elle s’élève verticalement vers le ciel et construit son nid sur le sol, elle symbolise donc la liaison entre le ciel et la terre : il pourrait s’agir d’un avertissement divin : il ne faut pas prolonger le rêve, le délire, c’est un interdit, il doit se réveiller. Le contact avec la Sylphide ne peut se produire que la nuit. Son état psychologique et physique est fragile et se détériore vite au contact avec la vie réelle. La vie lui semble fade, sans vie. Seule la matérialisation de sa sylphide lui apporte le bonheur, du désir.
L’adolescent de 18 ans est, au moment où il se remémore ce souvenir, un homme d’âge mur, âgé, qui est sorti de sa crise d’adolescence. Il a réussi à sortir de cet état de somnolence qui l’avait empêché d’étudier mais qui l’avait en même temps permis de s’éloigner d’une solitude suicidaire. Comment un adolescent en proie à une crise violente pourrait parler avec autant de virtuosité, avec une telle harmonie du langage qui colle avec l’idée de merveilleux ?

III. Un état de complaisance lors de cette reconstruction de son passé

Chateaubriand voue un véritable culte à sa personne, il jouit de l’introspection, comme on peut le voir avec l’omniprésence écrasante du pronom personnel utilisé pour se confesser : « je » et « me » (« je parlais », « je ne parlai plus », « je reprenais », « me ramenaient », etc….), des pronoms possessifs « mes » (« mes jours », « mes yeux »), « mon » (« mon âme »). Il ne s’occupe que de lui, il se replie sur lui-même (« me ramenaient à mes songes »).
Chateaubriand adulte, l’écrivain, semble se complaire dans cet état. C’est en effet Chateaubriand adulte qui recréé ce souvenir. Il prend plaisir à parler de lui et théâtralise la scène. Il est tel un monarque puissant qui contemple son royaume et ses sujets, il prend possession de la nature qu’il domine depuis les hauteurs du château, de sa tour semblable à une pyramide égyptienne (« toit pyramidal des tours »). De part sa position, il prend de la hauteur, du recul et de la distance (cf « je montais au haut de la grosse tour de l’ouest », « là isolé entre le ciel et la terre », « établi un siège, comme un nid, dans un de ces saules », « au sommet de l’Himalaya nous allions réveiller l’aurore », « perché sur le mât d’une nacelle »). L’adulte sait analyser la situation dans laquelle il se trouvait, qu’il délirait. Il se montre plus terre à terre que le jeune Chateaubriand incapable de se sortir de cette situation. Il s’autoanalyse.
Il laisse d’ailleurs des traces de sa reformulation, outre les nombreux artifices qu’il utilise dont des images et figures de style, en particulier un présent de narration : « Je ne sais comment je retrouvais encore ma déesse dans les accents d'une voix ».
Bien qu’expliquant que c’étaient deux années de délire, durant lesquelles il n’étudiait plus et ne savait plus vraiment ce qu’il faisait, Chateaubriand adulte incère dans son souvenir des indices montrant qu’il possédait tout de même un important bagage scolaire : citation de lieux mystiques, de personnalités mythiques, tournures de phrases, etc.

Chateaubriand condense en deux pages des images, une riche musicalité, des phrases rythmées, une véritable prose musicale qui exprime la jubilation que procure la reconstitution mentale de son souvenir. Il est âgé, il est pétri de voyages, de connaissances antiques et d’expériences.
En effet, Chateaubriand prend plaisir à évoquer ce souvenir qu’il magnifie, qu’il sublime par le biais des termes utilisés. Le goût de l’évasion, du voyage, est présent dans tout ce texte. Il fait référence aux oiseaux, au vent, au soleil et plus précisément au culte solaire « astre du jour ». Il associe ce culte au voyage ascensionnel (montée au « sommet de l’Himalaya ») : il n’est plus homme, il est autre, d’ailleurs il évoque le fait que sa sylphide serait emportée par le soleil et conduite au cœur de l’univers.
Vers la fin du texte, Chateaubriand nous évoque le voyage qu’il a effectué mentalement, avec sa sylphide, comme un voyage de noce qu’ils auraient accomplis. Son hallucination est portée jusqu’au paroxysme puisqu’il s’imagine passer des journées entières avec elle et visiter tous les sites qu’il connait, qu’ils soient attrait à l’histoire et aux vestiges des civilisations antiques et égyptiennes : « les ruines célèbres » (« pierre druidique », « les ruines célèbres, Venise, Rome, Athènes Jérusalem, Memphis, Carthage », « le toit pyramidal ») ou aux voyages et à l’exotisme (« Otahiti », « Amboine et de Tidor », « Himalaya », « rives du Gange »). Les vestiges) témoignent de la fragilité des civilisations et de la vanité des hommes. Il recrée un décor de carte postale aux connotations magiques, il fait allusions aux « palmiers», aux « vagues », aux « pagodes aux boucles d’or », à la « nacelle de bambou » ou encore à la « barcarolle indienne ». C’est une manière également détournée, d’étaler sa science, ses connaissances, de nous parler de ses pseudo voyages qu’il a effectué par la suite, alors qu’il avoue durant ces deux années n’avoir « jetai là les livres ». Il étale par ce moyen détourné toute la culture qu’il a apprise durant son enfance aristocratique. On voit bien là la trace de la réécriture du souvenir.
Mais le voyage c’est un cheminement (« chemin abandonné »). Ici le voyage est mis en parallèle avec le voyage ascensionnel et donc douloureux, périlleux, semé d’embûches, peut être même avec le voyage dans l’eau delà, le grand voyage de la mort (référence à la momification « embaumés »). Il invoque les orages, la foudre, peut être comme un rite funéraire, un sortilège pour surmonter les dangers, il fait se déchaîner les pluies, les torrents, parle du Gange et probablement du Nil avec l’expression les « fleuves saints ». En effet, dans la mythologie égyptienne, on déposait sous la langue du mort une pièce lui permettant de payer la traversée en barque, au paradis. Or, Chateaubriand évoque en plus des « fleuves saints » et du « Gange », « les beaux voyages », « pagodes », « bengali », « perché sur le mât d’une nacelle de bambou », « barc(arolle) » (on entend barque). Une fois dans le royaume des morts, l’homme est jugé par Osiris, on pèse les bons et les mauvais côtés. Chateaubriand fait référence aux « prairies divisées », « isolé entre le ciel et la terre », « ma nymphe était à mes côtés » : ici on pourrait penser qu’il s’agit de la division : enfer / paradis aux champs fertiles. La sylphide, ne détournerait-elle pas Chateaubriand du droit chemin, étant donné qu’il est en émoi lorsqu’elle apparaît, qu’il a des pulsions érotiques, des passions. Elle est une démone qui l’éloignerait de la chasteté. La Sylphide est d’ailleurs mise en parallèle avec l’araignée (cf périphrase : « les réseaux tendus par l'insecte sur la pointe des herbes ») qui tisse sa toile et le retient la nuit. Elle l’ensorcelle afin de le maintenir dans sa toile, pour ensuite le dévorer et le détruite, comme fait l’araignée femelle avec le mâle. Chateaubriand prépare donc son sanctuaire : il prévoit son cheminement après la mort, la transformation progressive de son corps qui dégrade (« mes yeux se creusaient », « je maigrissais »).

Ce sont deux pages dans lesquelles Chateaubriand exprime des sentiments personnels rythmés et chantés par la musicalité des phrases, les références aux instruments de musique : harmonica (idée d’harmonie), cor (signifie la sensualité, le velours), harpe, les couleurs : « dorée », « or », « ardent » (couleur vive, brillante). On peut donc dire qu’il s’agit de pages lyriques. Le décor est romantique : la campagne, la nuit, les éléments du paysage : la pluie, l’orage violent, les allitérations et les assonances répétitives. L’orage est également associé à la dispute et aux troubles intérieurs, or le romantisme est un état maladif, une manière d’exprimer le mal du siècle ou le « vague des passions » : état de mal être.
On retrouve dans cette page les traits principaux du romantisme : l’exaltation, l’omniprésence du « moi » et l’individualisme de Chateaubriand, le panthéisme : représentation et preuve de l’existence de Dieu dans la nature par la beauté de la nature (« astre » : corps céleste qui peut influencer le destin des hommes, « fleuves saints », « boucles d’or », « cime dorée »), culte voué par Chateaubriand à la nature. On y voit également le thème de l’inquiétude existentielle présente avec les idées de mort et de solitude : « abandonné », « infréquentés », « isolé », l’araignée est porteuse de mort (périphrase « les réseaux tendus par l’insecte », dans le nom « saules » on peut comprendre seul également. La nature est le reflet de l’âme, le comparant de la psyché. Si la nature n’existait pas Chateaubriand ne pourrait faire ressortir ses états d’âmes, les faire transparaître en elle, elle est un miroir qui lui renvoie son reflet. Les « nuages » cachent le soleil, suggèrent au passage la menace de la disparition du jour. L’automne est la saison romantique par excellence, utilisée par la suite très souvent par Apollinaire (poème : Automne, Nuit Rhénane). C’est le grand thème de l’incommunicabilité : il regarde le monde mais il n’y a pas d’échange, pas de parole, il serait condamné au silence, à l’aphasie si Dame Nature n’était pas là. Il est comme un peintre, il se peint une nature qui reflète son état d’âme, il s’invente un tableau. C’est de l’art poétique.
Il s’agit en fait d’une page de prose poétique : c’est un texte bref (deux pages résument deux ans), mais à la langue particulièrement riche en impressions fortes, en sonorités (phrases très travaillées et rythmées, tonalités mimétiques et mélancoliques, figures de style). Chateaubriand est seul, dans un lieu favorisant la tristesse, le rêve, il se promène seul, dans un paysage romantique : la campagne, lieu éclairé par la lumière crépusculaire, le coucher de soleil, la lune (« étoile du soir scintillant », « soleil couchant », « l’astre du jour » qui sont des périphrases). Il y a une connotation morbide avec la disparition inéluctable de ses songes due au verbe « brisait » ainsi qu’à sa redondance par le biais des « brises », et à l’expression « visage abattu » qui signifie « accablé par le découragement ».

Conclusion

Dans cet extrait du chapitre 9 du livre III des Mémoires d’outre-tombe, nous voyons combien pour Chateaubriand, la narration autobiographique occupe une place primordiale. L’adulte, se replonge au cœur de ses souvenirs, il est spectateur des évènements auxquels il a jadis participé et évoque ses souvenirs intimes, son émoi intérieur, des anecdotes. Il revit des années spéciales pour lui, passées au château de Combourg avec ses parents et sa sœur « medium » Lucille, années déterminantes, d’autant plus qu’il était adolescent, dans la formation de sa personnalité.
Il connaît deux ans de délire en compagnie de celle qu’il appelle sa « sylphide », son « fantôme d’amour », et qu’il recherchera à travers toutes les vivantes qu’il aimera. Il ne vit alors plus que dans ses songes, songes reflétés par Dame Nature. Cette incarnation de la femme est une consolation lui permettant d’adoucir sa solitude et son malheur, tout comme la communion avec la nature.
Chateaubriand parvient donc à surmonter le déchirement existentiel qui le perturbe, ce sentiment d’inexistence, de manque, par une incantation lyrique, par l’imagination et les songes. Elle le maintient en vie. Il n’arrive pas à exprimer par des mots les sentiments ressentis durant ces deux années, il le fait avec des images, un langage métaphorique, symbolique, et par des sons, qui forment un poème en prose. Chateaubriand semble se complaire dans cet état d’esprit mélancolique. On retrouve dans René, une page similaire de prose poétique : « L’appel de l’infini », qui prouve la redondance de l’incommunicabilité dans les récits de Chateaubriand, son tourment et son inquiétude quotidiens en fin de vie dus à la fin du siècle et à l’écroulement de la civilisation monarchique.