Hegel, Esthétique : « l'homme est un être doué de conscience »

Commentaire sous forme de questions.

Dernière mise à jour : • Proposé par: p3rs3phne (élève)

Texte étudié

[…] l'homme est un être doué de conscience et qui pense, c'est-à-dire que, de ce qu'il est, quel que soit sa façon d'être, il fait un être pour soi. Les choses de la nature n'existent qu'immédiatement et d'une seule façon, tandis que l'homme, parce qu'il est esprit, a une double existence ; il existe d'une part au même titre que les choses de la nature, mais d'autre part il existe aussi pour soi, il se contemple, se représente à lui-même, se pense et n'est esprit que par cette activité qui constitue un être pour soi.

Cette conscience de soi, l'homme l'acquiert de deux manières : Primo, théoriquement, parce qu'il doit se pencher sur lui-même pour prendre conscience de tous les mouvements, replis et penchants du cœur humain et d'une façon générale se contempler, se représenter ce que la pensée peut lui assigner comme essence, enfin se reconnaître exclusivement aussi bien dans ce qu'il tire de son propre fond que dans les données qu'il reçoit de l'extérieur.

Deuxièmement, l'homme se constitue pour soi par son activité pratique, parce qu'il est poussé à se trouver lui-même, à se reconnaître lui-même dans ce qui s'offre à lui extérieurement. Il y parvient en changeant les choses extérieures, qu'il marque du sceau de son intériorité et dans lesquelles il ne retrouve que ses propres déterminations. L'homme agit ainsi, de par sa liberté de sujet, pour ôter au monde extérieur son caractère farouchement étranger et pour ne jouir des choses que parce qu'il y retrouve une forme extérieure de sa propre réalité. Ce besoin de modifier les choses extérieures est déjà inscrit dans les premiers penchants de l'enfant ; le petit garçon qui jette les pierres dans le torrent et admire les ronds qui se forment dans l'eau, admire en fait une œuvre où il bénéficie du spectacle de sa propre activité.

Hegel, Esthétique

Il faut présenter l’extrait (auteur, œuvre, année de parution), les thèmes de l’extrait, les éventuelles notions au programme présentes, la question à laquelle l’auteur tente de répondre, la thèse (la réponse) de l’auteur, les étapes de son argumentation.

Thèmes

Conscience de soi, connaissance de soi, le rapport de l’homme à soi-même et à la nature

Notions du programme

Conscience, liberté, travail/technique, art, nature

Thèse du texte

L’homme devient un être pour soi à travers l’introspection et l’activité transformatrice qu’il exerce sur le monde extérieur, sur la matière.

Question à laquelle l’auteur tente de répondre

Comment l’homme devient-il un être pour soi ? Autrement dit, comment la conscience de soi s’acquiert-elle ?

Étapes de l’argumentation

Dans un premier temps, Hegel énonce ce qui fait la singularité de l’homme dans l’Univers, c’est-à-dire ce qui le distingue des choses de la nature : la pensée et la conscience réfléchie.

Ensuite, il décrit successivement les deux manières par lesquelles l’homme devient un être pour soi, c’est-à-dire les deux manières qui mènent au développement de la conscience réfléchie et l’appropriation de son être : l’introspection et la transformation de la nature.

I. Premier paragraphe

1) Nommez les deux caractéristiques exclusivement humaines.

Les deux caractéristiques exclusivement humaine sont la pensée et la conscience de soi. Il est question dans le texte de la conscience réfléchie qui représente la faculté de se contempler, se représenter à soi-même (se faire une image de soi-même), se penser soi-même. Si l'on regarde la définition du terme « conscience », il a pour étymologie latine "cum scientia", soit "accompagné de savoir". La conscience est donc le savoir qu’on a de nous-mêmes. Autrement dit, la conscience est la faculté de se représenter soi-même.

On peut distinguer la conscience immédiate de la conscience réfléchie :
- La conscience immédiate est tournée vers le monde extérieur. C'est la faculté de se représenter parmi les choses qui nous entourent. C’est une forme de conscience que beaucoup d’espèces animales possèdent.
- La conscience réfléchie est tournée vers soi-même. C'est la la faculté de se penser soi-même, le dédoublement de soi, avec d'un côté le sujet (le moi qui pense), et de l'autre l'objet (le moi pensé, c’est-à-dire mes pensées, mes désirs, mes sentiments, etc.). C'est la faculté de devenir spectateur de soi-même.

2) Expliquez « les choses de la nature n’existent qu’immédiatement »

L’existence des « choses de la nature » (minéraux, plantes, animaux) est immédiate, car elles existent telles qu’elles sont en tant que choses matérielles. Il n’y a pas chez elles une conscience réfléchie qui pourrait leur donner une autre forme d’existence que celle de la matière. Autrement dit, leur existence ne dépend que des lois de la nature inscrites dans la matière ; il n’y a pas chez elles quelque chose de l’ordre de la conscience réfléchie qui pourrait servir de médiation entre elles et elles-mêmes (cf. distinction médiat / immédiat).

Autre réponse possible : dans un sens temporel, les choses de la nature existent immédiatement, c’est-à-dire présentement. Au contraire, l’existence humaine est marquée par une temporalité vécue intérieurement : la conscience de soi implique la conscience de son existence temporelle. Par conséquent, l’existence humaine dépasse continuellement le cadre du présent et s’élargit vers le passé (à travers la mémoire) et le futur (à travers l’anticipation).

3) Pourquoi les choses de la nature n’existent que « d’une seule façon » ?

Parce que les choses de la nature (minéraux, plantes, animaux) n’existent qu’en tant qu’êtres matériels.

4) Expliquez « [l’homme] existe d'une part au même titre que les choses de la nature ».

De par sa nature matérielle (corporelle), l’homme existe « au même titre que les choses de la nature ». Sa nature corporelle est soumise au même déterminisme naturel (c’est-à-dire aux mêmes lois de la nature) que le reste de l’Univers.

5) Expliquez « [l’homme] se contemple, se représente à lui-même, se pense ».

En tant qu’animal, l’homme observe les choses extérieures à lui-même. En revanche, en tant qu’être doué de conscience, il peut également s’observer lui-même (comme dans un miroir), d’où le fait que Hegel affirme qu’il « se contemple ». Et non seulement qu’il se contemple, mais il « se représente à lui-même », c’est-à-dire qu’il se fait une représentation (fidèle ou non) de ce qu’il est. Ainsi, la conscience de soi est la condition de possibilité de la connaissance de soi, de la recherche de ce qui fait l’identité personnelle.

Tandis que la pensée permet d’avoir des représentations (idées, images) du monde, la conscience de soi (c’est-à-dire la pensée qui se retourne sur elle-même) permet d’avoir une représentation de soi. La conscience conduit donc à un dédoublement de soi : l’homme est à la fois un sujet qui observe, analyse, pense et un objet qui est observé, analysé, pensé.

6) Pourquoi le fait de « se contemple[r], se représente[r] à [soi-même], se pense[r] » fait de l’homme « un être pour soi » ?

La conscience de soi mène à une appropriation de son être et à une interrogation sur sa propre existence : qui suis-je ? Quel est le sens de mon existence ? Comment je peux accéder au bonheur ? Comment me rapporter aux autres d’un point de vue moral ou politique ?

A travers la conscience de soi, l’homme fait de son être un projet personnel, « un être pour soi ». Par la conscience réfléchie, l’homme participe à la construction de lui-même en donnant un sens à son existence.

7) Définissez le concept d’esprit

Le concept d’esprit renvoie à une réalité immatérielle dont l’essence est la pensée (C’est pour cela que, dans la religion, Dieu ou les anges sont considérés comme esprits. D’ailleurs, la croyance dans l’immortalité concerne l’indestructibilité de ce qui, en l’homme, ne relève pas de la matière : la pensée).

En philosophie, y compris dans le texte de Hegel, le concept d’esprit désigne la réalité mentale de l’homme : la pensée et la conscience de soi (la pensée tournée vers soi-même). En effet, les phénomènes psychiques ne sont pas matériels (on ne peut pas voir, toucher, entendre une pensée, un rêve, une perception) même si leurs causes sont matérielles (c’est-à-dire cérébrales). De manière générale, notamment depuis la naissance de la psychologie et de la psychanalyse, le terme esprit se traduit par psychisme ou psyché, aussi pour éviter les confusions avec la religion.

8) En quoi consiste la « double existence » de l’homme ?

L’homme est à la fois un corps et un esprit, il est à la fois matériel et immatériel, physique et spirituel.

II. Deuxième paragraphe

9) Expliquez la présence du verbe acquérir

La conscience de soi, qui fait de l’homme un « être pour soi », est une faculté. Une faculté est par définition une aptitude naturelle (ou possibilité naturelle). Mais, attention, une faculté n’est pas un pouvoir dont on dispose directement dès qu’on naît. Il faut l’activer. Pour utiliser une distinction philosophique, cette faculté est présente, en puissance, dans chaque être humain, mais ne devient en acte qu’à partir des premières années d’enfance. D’où la question centrale du texte de Hegel : Comment l’homme devient-il un être pour soi ? Comment l’homme acquiert-il la conscience de soi ?

10) Nommez la première manière de devenir un être pour soi

L’introspection, c’est-à-dire l’observation de sa propre intériorité.

11) Donnez des exemples de « mouvements, replis et penchants du cœur humain »

Le « cœur humain » est une métaphore poétique qui renvoie à notre intériorité, plus particulièrement à la sensibilité. Évidemment, il n’est pas ici question d’anatomie humaine. Le problème consiste à parvenir à distinguer « les mouvements, les replis et les penchants ». Pourquoi l’auteur utilise-t-il ces trois termes ? Une copie ne peut qu’émettre des hypothèses d’explication en essayant de les fonder. Le correcteur apprécie les copies qui n’esquivent pas les difficultés, mais les souligne et propose des hypothèses d’explication.

On peut considérer que les mouvements représentent les sentiments (amour, tristesse, etc.) et les émotions (joie, colère), dans la mesure où ils mettent en mouvement notre âme. Les replis peuvent renvoyer à ce qu’il y a de plus caché (sans entrer dans des hypothèses psychanalytiques) : les frustrations, les désamours, les déceptions, etc. Il pourrait s’agir des choses auxquelles on pense avec le cœur serré (ou on évite de penser pour éviter de souffrir). Les penchants sont, par définition, des mouvements naturels. On peut parler de la recherche de la reconnaissance des autres, à travers l’estime, l’amour, l’amitié, etc.

12) Que signifie « se représenter ce que la pensée peut lui assigner comme essence » ?

Étant un être doué de conscience, l’homme peut s’interroger sur son essence (cf. distinction essence / accident), c’est-à-dire sur ce qui fait sa nature en tant qu’homme. Et il peut se représenter en tant que tel. C’est ce que Descartes fait lorsqu’il se représente lui-même en tant que chose pensante.

13) Qu’est-ce que l’homme peut « tirer de son propre fond » ?

Pour répondre, il faut distinguer ce que l’homme peut « tirer de son propre fond » des « données qu’il reçoit de l’extérieur » (Question 14). Le « fond intérieur » désigne ici l’intériorité de l’homme, c’est-à-dire son esprit (ou son psychisme pour utiliser un terme moderne).

L’esprit c’est la réalité pensante de l’homme. Qu’y a-t-il dedans ? Des sentiments, des émotions, des souvenirs, des fantasmes, des rêves, des idées, des concepts (idées générales).

14) Quelles sont « les données [que l’homme] reçoit de l'extérieur » ?

L’« extérieur » représente ce qui est extérieur à la pensée, c’est-à-dire la réalité matérielle (y compris mon propre corps). À travers le corps (c’est-à-dire à travers les 5 sens) l’homme reçoit des sensations visuelles, auditives, tactiles, gustatives ou olfactives. La synthèse de ces sensations engendre immédiatement une image sensible des choses extérieures. Par exemple, je perçois une pomme comme un objet plutôt rond, ayant une certaine couleur, ayant un certain goût, ayant une certaine texture lorsque je la touche. C’est l’image que j’ai de la pomme !

15) Comment l’homme peut-il se reconnaître dans « les données qu’il reçoit de l'extérieur » ?

C'est une question extrêmement difficile. Comment l’homme se reconnaît-il dans le mécanisme de la perception ? D’abord, c’est sa perception. Mais il y a plus que ça… La perception n’est pas seulement un mécanisme biologique (physiologique), elle n’a pas lieu seulement au niveau des organes des sens (ouïe, odorat, etc.). La pensée est également présente dans la perception. C’est-à-dire qu’il y a une dimension psychique de la perception.

D’abord, l’homme reçoit de l’extérieur des données sensibles à travers les sens de son corps (ce sont les sensations visuelles, auditives, gustatives, etc.) et, en même temps, l’esprit forge des représentations du monde à partir de ces données sensibles. Ces représentations sont des créations de l’esprit humain. C’est pour cela que l’homme s’y reconnaît. Ce sont ses propres représentations, ce sont les siennes.

Le monde, tel que nous nous le représentons, est un monde de l’esprit, peuplé par nos propres représentations : on parle d’arbres, de tristesse, de d’amitié, de richesse, etc. Le sommet de cette activité de représentation du monde extérieur est la création de concepts (idées générales, comme par exemple, ce qu’on comprend tous par l’idée de pomme, de tristesse, d’arbre).

Par exemple, à travers mon corps, je reçois quantité de données sensibles de l’arbre qui est à côté de moi. Il m’apparaît grand, dur au toucher, ayant une odeur agréable, etc. Mais ce que je perçois n’est pas une simple addition d’une odeur, d’une sensation visuelle, d’une sensation tactile, mais un objet entier, que je me représente en tant qu’arbre, c’est-à-dire comme une chose appartenant à une catégorie de choses qui partagent toutes les mêmes caractéristiques essentielles. Autrement dit, la pensée est présente dans le processus de perception de la réalité matérielle.

III. Troisième paragraphe

16) Donnez des exemples d’« activité pratique » par lesquels l’homme devient un être pour soi

Il s’agit de toute activité par laquelle l’homme modifie ou transforme ce qui est extérieur à l’esprit, c’est-à-dire la matière. On pense évidemment à la transformation de la nature extérieure en culture (nature ≠ culture), à travers le travail, la technique et l’art.

On peut penser aussi à la manière dont on s’approprie son propre corps (lui aussi est extérieur à l’esprit), à travers le sport, les vêtements, bijoux, tatouage, le maquillage, etc. (Sans rapport avec le texte : à noter que le concept de culture est plus large et implique également la transformation de la nature, de l’homme à travers la morale, la religion, la politique)

17) Expliquez la présence du verbe pousser dans « parce qu'il est poussé à se trouver lui-même, à se reconnaître lui-même dans ce qui s'offre à lui extérieurement »

Le verbe pousser au passif indique que l’activité pratique est un penchant humain (le mot penchant apparaît d’ailleurs plus loin), c’est-à-dire une inclination naturelle. Autrement dit, l’homme est par essence un être d’anti-nature, c’est-à-dire un être qui modifie les objets naturels. L’homme s’approprie la réalité extérieure (matérielle) en la transformant à son image. Hegel insiste sur le fait que l’homme parvient à la conscience de soi à travers la contemplation de soi-même dans ce qu’il crée à l’extérieur de lui-même. Autrement dit, l’homme se reconnaît lui-même dans ce qu’il crée.

18) Expliquez « Il y parvient en changeant les choses extérieures, qu'il marque du sceau de son intériorité et dans lesquelles il ne retrouve que ses propres déterminations ».

L’homme est le seul être qui modifie continuellement la nature en la transformant en son contraire (la culture). Cette modification continuelle de la matière est pour l’homme un moyen de connaissance de soi. Toute œuvre reflète l’intériorité de son auteur. C’est pour cela que Hegel remarque que lorsque l’homme modifie la nature (par le travail ou l’art), il marque la matière du « sceau de son intériorité ». Ainsi, ce qu’il y a de plus caché en lui (c’est-à-dire son esprit / sa subjectivité / sa personnalité) se trouve extériorisé dans les objets qu’il crée, devient donc objectif. C’est la fameuse « objectivisation de la subjectivité » : ce qui relève de notre subjectivité (nos pensées, émotions, désirs, etc.) se reflète dans les objets qu’on crée.

Pour comprendre l’idée de Hegel, on peut penser à la manière dont nous essayons de deviner la personnalité de quelqu’un à travers des signes matériels, comme les vêtements, le maquillage, la disposition de sa chambre, son écriture, etc. De nos jours, la graphologie permet d’établir le portrait psychologique d’une personne en analysant son écriture. Hegel dirait à ce propos que c’est l’esprit ou la subjectivité même de la personne qui laisse des traces dans la matière (le papier et l’encre utilisés). Le travail rend donc visible, à travers la matière, ce qui est par excellence invisible (notre intériorité). Et, en travaillant la matière, l’homme prend conscience de ce qu’il est : un être éminemment différent des choses inertes et des animaux, c’est-à-dire un être doué de conscience et de liberté.

19) Comment se manifeste la liberté de l’homme ?

La liberté humaine se manifeste dans toute activité pratique qui fait de l’homme un être d’anti-nature (un être de culture). En d’autres mots, la liberté se manifeste dans la négation de la nature (« ôter au monde extérieur son caractère farouchement étranger »), par la manière dont l’homme spiritualise (au sens où il rend semblable à son esprit) la matière qui devient pour l’homme « une forme extérieure de sa propre réalité », c’est-à-dire une forme extérieure (donc matérielle) de sa nature pensante et consciente.

20) Quel est l’intérêt de l’exemple de l’enfant qui joue ?

Le penchant dont il était question dans la réponse 17 est remarquable dès l’enfance. L’enfant se contemple lui-même dans son œuvre (« les ronds qui se forment dans l’eau »). Son « œuvre » apparaît alors comme un spectacle. Un spectacle (qui est un terme artistique) est par définition quelque chose qui est faite pour être vue. Mais qu’est-ce que l’enfant voit ? Il se voit lui-même. Il se découvre lui-même dans ce qu’il fait : il prend conscience de lui-même à travers ce qu’il vient de créer : il se découvre comme l’auteur des ronds qui se forment dans l’eau.

Conclusion

Il faut rappeler la thèse du texte, c’est-à-dire ce que l’auteur a tenté d’argumenter, et montrer quel est l’intérêt de ce texte. En l’occurrence, le texte de Hegel a une portée psychologique, car il permet de comprendre la manière dont l’homme acquiert la conscience réfléchie.

De même, le texte a une importance anthropologique, car il permet de comprendre la spécificité de l’être humain et son rapport au monde extérieur.