Dans son Essai sur la conscience du Mal, Alain Badiou vient de nous monter que l’Ethique telle que nous la concevons dans notre société, et découlant de celle-ci, notre conception actuelle des Droits de l’Homme, viennent définir l’Homme comme celui étant capable de se reconnaître soi-même en tant que victime. Mais Badiou d’oppose farouchement à cette thèse et va, pour la contrer, développer trois raisons. Le texte est extrait de la première de ces raisons. Car, en effet, placer l’Homme en tant que victime, qu’est-ce que cela signifie ? Nous verrons que Badiou va nous montrer que la considération de l’Homme en tant que victime le dénature complètement, lui ôte tout ce qui fait de lui un Homme. Et évidemment, par suite, il va nous montrer ce qui fait vraiment l’Humanité, ce qui nous définit vraiment en tant qu’Homme, et non en tant qu’animal vivant, c'est-à-dire notre singularité immortelle, telle qu’il la nomme dans le titre de son troisième paragraphe.
I. La considération de l’Homme en tant que victime le dénature complètement
Etre vivant plutôt qu'existant
Un immortel, voilà, ce que sait être l’Homme. Un immortel, non au sens littéral du terme qui nous amènerait à penser que l’Homme ne peut pas mourir, mais plus évidemment au sens où l’Homme est capable de s’abstraire de son instinct de survie, au sens ou il peut agir en ayant conscience de provoquer sa propre mort.
La qualité de vivant, cette substructure animale que nous possédons tous, nous pousse, de manière impulsive, à agir contre la mort, à la repousser, et cela sans y réfléchir, car dans cette optique là, nous ne vivons, comme le dit Bichat, que pour résister à la mort. Or nous ne nous contentons pas de vivre, nous existons. Et c’est en cela que nous nous distinguons de toutes les autres espèces animales. Et cette existence se marque par notre capacité à soustraire toute situation à l’idée de survie pour la subjectiviser, pour la traiter simplement avec notre raison, notre logos, notre conscience. En cela, nous devenons immortels, car la mort ne commande plus nos actions, nous ne sommes plus dépendants d’elle. Lorsque nous agissons de la sorte, nous nous singularisons du flot multiforme et rapace de la vie, ce qui signifie que nous n’agissons pas simplement en tant que vivant mais plutôt en tant qu’existant, plaçant notre conscience et notre logos au-dessus de notre propre vie, préférant mourir existant que de rester simplement vivant, animal, asservi, dépossédé de