Fénelon, Les Aventures de Télémaque - II: « Le sage roi »

Commentaire de texte pour première générale.

Dernière mise à jour : 26/04/2024 • Proposé par: lise_lit_ en_guise_de_plaisir (élève)

Texte étudié

Heureux, disait Mentor, le peuple qui est conduit par un sage roi ! Il est dans l’abondance ; il vit heureux, et aime celui à qui il doit tout son bonheur. C’est ainsi, ajoutait-il, ô Télémaque, que vous devez régner, et faire la joie de vos peuples, si jamais les dieux vous font posséder le royaume de votre père. Aimez vos peuples comme vos enfants, goûtez le plaisir d’être aimé d’eux ; et faites qu’ils ne puissent jamais sentir la paix et la joie sans se ressouvenir que c’est un bon roi qui leur a fait ces riches présents. Les rois qui ne songent qu’à se faire craindre, et qu’à abattre leurs sujets pour les rendre plus soumis, sont les fléaux du genre humain. Ils sont craints comme ils le veulent être ; mais ils sont haïs, détestés ; et ils ont encore plus à craindre de leurs sujets, que leurs sujets n’ont à craindre d’eux.

Je répondais à Mentor : Hélas ! il n’est pas question de songer aux maximes suivant lesquelles on doit régner : il n’y a plus d’Ithaque pour nous ; nous ne reverrons jamais ni notre patrie, ni Pénélope : et, quand même Ulysse retournerait plein de gloire dans son royaume, il n’aura jamais la joie de m’y voir ; jamais je n’aurai celle de lui obéir pour apprendre à commander. Mourons, mon cher Mentor ; nulle autre pensée ne nous est plus permise : mourons, puisque les dieux n’ont aucune pitié de nous.

En parlant ainsi, de profonds soupirs entrecoupaient toutes mes paroles. Mais Mentor, qui craignait les maux avant qu’ils arrivassent, ne savait plus ce que c’était que de les craindre dès qu’ils étaient arrivés. Indigne fils du sage Ulysse ! s’écriait-il, quoi donc ! vous vous laissez vaincre à votre malheur ! Sachez que vous reverrez un jour l’île d’Ithaque et Pénélope. Vous verrez même dans sa première gloire celui que vous n’avez point connu, l’invincible Ulysse, que la fortune ne peut abattre, et qui, dans ses malheurs, encore plus grands que les vôtres, vous apprend à ne vous décourager jamais.

Fénelon, Les Aventures de Télémaque - II

Dans les années 1694 et suivantes, lorsque Fénelon, précepteur du petit-fils du monarque, écrit les Aventures de Télémaque, le pouvoir du roi Louis XIV est affaibli par les rumeurs sur le souverain, les guerres, les crises financières et sociétales. Le jeune duc de Bourgogne, dont Fénelon est le précepteur, incarne alors l’espoir de la monarchie. Ce texte est extrait des premiers livres des Aventures de Télémaque. Le personnage de Télémaque, fils d’Ulysse, y raconte son voyage pour retrouver son père, alors qu’il est accompagné de Minerve, sous les traits de Mentor.

Dans cet extrait, Mentor prononce un discours de réflexion morale sur le rôle du roi. Nous pourrons alors nous demander comment Fénelon transmet une réflexion contemporaine sur le rôle du roi à travers les personnages contrastés de Mentor et Télémaque.

Nous allons, dans un premier temps, analyser le discours sur le rôle du roi de Mentor, inspiré par sa vision d’une Egypte utopique. Dans un second temps, nous analyserons le caractère contrasté des deux personnages, Télémaque et Mentor.

I. Analyse du portrait de Mentor sur la politique

a) Une réflexion morale et politique sur le roi

Tout d’abord, le personnage de Mentor propose un discours de réflexion morale et politique sur le rôle du roi. « Heureux – disait Mentor – le peuple qui est conduit par un sage roi ! » (ligne 22). Cette phrase est prononcée dans l’optique d’une réflexion morale et politique sur le rôle du roi. Le personnage de Mentor explique ici que le roi est la cause du bonheur ou malheur de son peuple. Son comportement va grandement influer celui de son peuple, qu’il soit bon ou mauvais. Il montre, avec le champ lexical du bonheur, « heureux » (l. 10 et 11), « l’abondance » (l. 11), « aime » (l. 11), « bonheur » (l. 11) et « joie » (l. 12 et 15), que c’est grâce au roi que le peuple peut connaître le bonheur, et inversement. A contrario, Mentor explique que les rois malveillants sont malheureux et méprisés par leur peuple avec l’anaphore en « Ils », suivie d’un champ lexical du mépris : « Ils sont craints » (l.18), « ils sont haïs, détestés » (l. 19), « ils ont encore plus à craindre [...] » (l. 19-20).

Nous pouvons interpréter ce raisonnement comme une opinion que l’auteur va transmettre à travers son personnage afin de faire réfléchir les lecteurs sur le contexte de la France à ce moment-là. Cela nous invite aussi à penser que ce message est une réflexion qu’il adresse au petit-fils du monarque, qu’il est chargé d’éduquer, car il risque de devenir roi à son tour. Pour continuer, l’auteur choisit d’utiliser du présent dans ce discours afin de montrer que Mentor se place en conseiller face à Télémaque. Ce temps est employé à la valeur de la vérité générale pour exprimer de la part de Mentor une impression de confiance en ses connaissances et de transmission de celles-ci : « Il est » (l. 10), « il vit » (l. 11), « Ils sont » (l. 18), « les rois [...] sont » (16-18). Ainsi, Mentor donne un avis tranché sur l’importance du comportement du roi dans son discours à l’intention de Télémaque.

b) Une inspiration venant des paysages égyptiens

Ensuite, nous comprenons que l’inspiration de son discours vient de son émerveillement face aux paysages d’Egypte. Cette Egypte nous est décrite comme une terre d’abondance. Dès la première phrase, l’auteur utilise l’antithèse entre « douleur » (l. 1) et « plaisirs » (l. 1-2), pour montrer le charme de ce lieu malgré leur désespoir. L’Egypte est ici décrite comme un lieu d'abondance qu’on pourrait qualifier d’utopie, c’est-à-dire de lieu idéal et heureux qui sort souvent de l’imaginaire, avec le champ lexical de l’utopie et de l’abondance formés de nombreux adjectifs mélioratifs : « charmés » (l. 2), « fertile » (l. 2), « délicieux » (l. 3), « opulentes » (l. 4),« doux » (l. 8).

Fénelon utilise aussi, avant l’hyperbole « un nombre infini de canaux », qui exprime l’abondance de ce lieu et la métaphore « moisson dorée » qui insiste sur la beauté et la perfection de ce lieu. Plus tard, lors de la première apparition d’un discours à la forme directe, Mentor fait le lien entre cette Egypte au peuple heureux et le rôle qu’y tient le roi : « Heureux – disait Mentor – le peuple qui est conduit par un sage roi ! ». Cela indique que l’Egypte est un exemple à suivre car leur peuple connaît le bonheur, et ce, grâce à un roi bon.

II. Le caractère contrasté des deux personnages, Télémaque et Mentor

a) Mentor, déterminé à convaincre Télémaque

Dans un second temps, le personnage de Mentor nous est présenté en conseiller déterminé, essayant de convaincre Télémaque de persister. Avec de nombreux verbes à l’impératif, « aimez vos peuples » (l. 13), « goûtez » (l. 14) et « faites » (l. 15) ainsi que l’utilisation du verbe devoir : « vous devez régner » (l. 12), Mentor exprime un ton injonctif qui montre sa détermination et exprime l’importance de ces idées en faisant comprendre à Télémaque qu’il n’a d’autres choix que de se comporter comme Mentor lui conseille de faire. Il utilise également des verbes au temps du futur simple : « vous reverrez » (l. 33), « Vous verrez » (l. 33), et du présent : « vous n’avez » (l. 34), « ne peut » (l. 35) qui exprime, avec la valeur de la vérité générale, la certitude des paroles qu’il prononce.

Aussi, Mentor fait intervenir les dieux dans son discours pour montrer l'importance du rôle et des actions découlant des choix de Télémaque : « si jamais les dieux vous font posséder le royaume de votre père » (l. 13). Cela montre que Télémaque n'est pas responsable que de lui-même, en devenant roi, et qu’il se doit d'être à la hauteur du privilège que lui offrent les dieux, « posséder le royaume de votre père » (l. 13). De plus, dans son discours, il compare Télémaque à son père dans l’antithèse « Indigne fils du sage Ulysse » (l. 31). Il met également Ulysse en supérieur avec l’adjectif « invincible » (l.34). En comparant Télémaque à Ulysse, un homme courageux et sage, nous comprenons que Mentor est déçu par Télémaque car celui-ci n’est pas à la hauteur de ses attentes. Cela ajoute de la pression supplémentaire à Télémaque, qui en plus de devoir être à la hauteur des dieux, doit être à la hauteur de son père et des attentes de Mentor.

b) Télémaque présenté tel un condamné désespéré

Pour finir, on remarque que le personnage de Télémaque nous est présenté comme condamné et désespéré. En effet, avec l’interjection « Hélas ! », suivie de la phrase à la forme négative « il n’est pas question », Télémaque refuse avec regret et tristesse d’appliquer les conseils de Mentor. Il utilise aussi le temps du présent avec les verbes « est » (l. 22), « doit » (l. 23) ou « il n’y a plus » (l. 23) afin d’exprimer une vérité qui ne peut être remise en question. Ce sentiment est appuyé par la répétition de l’adverbe « jamais » (l. 24, 25 et 26) ainsi que les négations « il n’est pas question » (l.22), « il n’y a plus » (l. 23) et « il n’aura » (l. 25) qui montre que pour Télémaque, son destin est fatal. Il n’a plus d’autres choix que de mourir.

C’est d’ailleurs ce qu’il amplifie avec le verbe à l’impératif « Mourons » qu'il répète en formant une anaphore. Cela montre que Télémaque se condamne quand à son avenir. Il ne se sent pas capable et à la hauteur des attentes de Mentor. Fénelon utilise ici la tonalité pathétique pour faire ressentir au lecteur de la compassion pour Télémaque en insistant sur sa souffrance et son chagrin.

Conclusion

Pour conclure, nous observons que, selon Mentor, le roi est la cause du bonheur de son peuple, et il voit en cela l’exemple dans le peuple égyptien qui prospère grâce à son sage roi, mais qu'il peut également être la cause de son malheur, s'il est malveillant.

Le récit nous montre ensuite que Mentor se place en conseiller pour convaincre le malheureux Télémaque de persister en appuyant sur la pression qu’il doit endosser de la part des dieux et ayant comme père le valeureux Ulysse.