Victor Hugo, Les Contemplations - III, II: Melancholia (v. 310 à la fin)

Plan détaillé, sans conclusion.

Dernière mise à jour : 08/12/2021 • Proposé par: viktor (élève)

Texte étudié

[...]

Les valses, visions, passent dans les miroirs.
Parfois, comme aux forêts la fuite des cavales,
Les galops effrénés courent; par intervalles,
le bal reprend haleine; on s'interrompt, on fuit,
On erre, deux à deux, sous les arbres sans bruit;
Puis, folle, et rappelant les ombres éloignées,
La musique, jetant les notes à poignées,
Revient, et les regards s'allument, et l'archet,
Bondissant, ressaisit la foule qui marchait.
O délire ! Et, d'encens et de bruits enivrées,
L'heure emporte en riant les rapides soirées.
Et les nuits et les jours, feuilles mortes des cieux.
D'autres, toute la nuit, roulent les dés joyeux,
Ou bien, âpre, et mêlant les cartes qu'ils caressent,
Où des spectres riants ou sanglants apparaissent,
Leur soif de l'or, penchée autour d'un tapis vert,
Jusqu'à ce qu'au volet le jour bâille entr'ouvert,
Poursuit le pharaon, le lansquenet ou l'hombre;
Et, pendant qu'on gémit et qu'on frémit dans l'ombre,
Pendant que les greniers grelottent sous les toits,
Que les fleuves, passants pleins de lugubres voix,
Heurtent aux grands quais blancs les glaçons qu'ils charrient,
Tous ces hommes contents de.vivre, boivent, rient,
Chantent; et, par moments, on voit au-dessus d'eux,
Deux poteaux soutenant un triangle hideux,
Oui sortent lentement du noir pavé des villes ...

O forêts! bois profonds ! solitudes ! asiles !

Victor Hugo, Les Contemplations - III, II

Dans les vers qui précèdent, l'auteur vient d'évoquer la misère et la déchéance morale qu'elle entraîne parfois chez les « malheureux dans le malheur reclus » il présente ensuite « les heureux ».

Nous allons montrer comment l'auteur, par les images, le rythme, les oppositions, souligne le contraste entre le monde du luxe et celui de la misère, et exprime en visionnaire le sentiment que lui inspire la réalité.

I. La modernité

a) La superfi­cialité et la folie des riches

C'est sous l'aspect du bal et du jeu qu'apparaît le « monde » dans cette partie du poème. Ce deux occupations permettent de montrer la superfi­cialité et la folie des riches. Superficialité: le bal est un spectacle vu dans un miroir (v. 1); il appa­raît ·ainsi comme le reflet d'une apparence, avec toutes les connotation péjoratives que comporte un tel procédé. Folie: cf. v. 6 « fille », v. 10 « délire ».

b) Un mauvais emploi du temps

Mais ce que condamne Victor Hugo, c'est un mauvais emploi du temps, don de Dieu ; la succession des jours se dissipe dans les plaisirs (v. 11), cha­que minute est ainsi perdue, c'est le sens, au vers 12, de l'expression « Feuilles mortes des cieux ». Dans l'autre cas, c'est une passion qui occupe toute la durée (cf. v. 13 « toute la nuit » et v. 17).

II. Le visionnaire

a) L'opposition des riches et des pauvres

L'opposition des riches et des pauvres se fait ici essentiellement par le rythme, dont la richesse montre la virtuosité du poète. La description du bal, du mouvement de la danse, est orchestrée par la diversité des rythmes (il faudrait étudier ici les coupe des vers, les rejets, le jeu des coordina­tions) et les allitérations en v et f des trois premiers vers. La passion du jeu, qui s'empare de tout un être, est traduite au moyen d'un vers ample, où le sens se plie à la prosodie (cf. v. 13, v. 15, v. 17, v. 18: chaque vers est une unité de sens).

Pour évoquer les pauvres, Victor Hugo a recours aux mêmes effets d'assonances et d’allitérations (v. 19 « gémit »/« frémit »; v. 20 « les gre­niers grelottent »), de rythmes (suite de monosyllabes au début du vers 22). C'est une reprise, tragique parodie, de la musique et du mouvement de la première partie. Les deux mondes opposés sont aussi associés dans la phrase avec l'emploi de la subordination à laquelle la reprise en anaphore donne une connotation d'indignation.

b) La condamnation des riches

La condamnation des riches (qui entraînera leur châtiment) apparaît déjà dans les vers 10 à 12, car le bon usage du temps est un devoir chrétien (cf. les sermons du XIIe siècle), Le vocabulaire appartient au registre reli­gieux: « encens », « Feuilles mortes des cieux ». Autre indice de condamnation, qui souligne aussi la folie inhérente à la mondanité, la perte de la personnalité. Étudiez les sujets des verbes: dans la première partie, c'est la musique, le rythme qui dominent et attirent les danseurs. Plus symptomatique encore: au vers 16, la passion prend la place du sujet, « elle s'empare de lui » dit-on, et le style traduit ici cette expression. On pourrait ajouter aussi que dans les vers précédant le poème, les pauvres revêtent à chaque fois une figure individualisée, alors que les riches forment une foule anonyme.

Le châtiment se manifeste dans les quatre derniers vers ; ce qui les menace, après la mort (« au-dessus d'eux » = au ciel?), c'est la guillotine. Ici éclate le talent visionnaire de Hugo : actualisation de la vision (« par moments, on voit »), climat fantastique de terreur (« qui sortent lente­ment ») profondeur de la pensée: l'indifférence, le mépris des riches seront condamnés. On peut y voir aussi une allusion à la responsabilité que porte la société dans la criminalité populaire : la pauvreté engendre le crime, c'est une grande cité hugolienne illustrée dans Les Misérables par exemple; par un juste retour des choses, la guillotine céleste menace les riches.

C'est la ville elle-même, comme symbole de cette société inégalitaire, qui est condamnée dans le dernier vers qui oppose, par un procédé saisissant d'antithèse cher à Hugo, la beauté et la sérénité de la nature au différents aspects de la misère humaine.