Molière, Le Misanthrope - Acte I, scène 1 (2)

Copie d'élève de première générale, commentaire linéaire pour l'oral du bac de français. Note obtenue à l'oral blanc : 17/20.

Dernière mise à jour : 15/08/2023 • Proposé par: bernadette (élève)

Texte étudié

ALCESTE
Je veux qu’on soit sincère, et qu’en homme d’honneur,
On ne lâche aucun mot qui ne parte du cœur.

PHILINTE
Lorsqu’un homme vous vient embrasser avec joie,
Il faut bien le payer de la même monnoie,
Répondre, comme on peut, à ses empressements,
Et rendre offre pour offre, et serments pour serments.

ALCESTE
Non, je ne puis souffrir cette lâche méthode
Qu’affectent la plupart de vos gens à la mode ;
Et je ne hais rien tant, que les contorsions
De tous ces grands faiseurs de protestations,
Ces affables donneurs d’embrassades frivoles,
Ces obligeants diseurs d’inutiles paroles,
Qui de civilités, avec tous, font combat,
Et traitent du même air, l’honnête homme, et le fat.
Quel avantage a-t-on qu’un homme vous caresse,
Vous jure amitié, foi, zèle, estime, tendresse,
Et vous fasse de vous, un éloge éclatant,
Lorsque au premier faquin, il court en faire autant ?
Non, non, il n’est point d’âme un peu bien située,
Qui veuille d’une estime, ainsi, prostituée ;
Et la plus glorieuse a des régals peu chers,
Dès qu’on voit qu’on nous mêle avec tout l’univers :
Sur quelque préférence, une estime se fonde,
Et c’est n’estimer rien, qu’estimer tout le monde.
Puisque vous y donnez, dans ces vices du temps,
Morbleu, vous n’êtes pas pour être de mes gens ;
Je refuse d’un cœur la vaste complaisance,
Qui ne fait de mérite aucune différence :
Je veux qu’on me distingue, et pour le trancher net,
L’ami du genre humain n’est point du tout mon fait.

PHILINTE
Mais quand on est du monde, il faut bien que l’on rende
Quelques dehors civils, que l’usage demande.

ALCESTE
Non, vous dis-je, on devrait châtier, sans pitié,
Ce commerce honteux de semblants d’amitié.

Molière, Le Misanthrope - Acte I, scène 1 (2)

Le Misanthrope de Molière est une pièce versifiée en cinq actes, jouée en 1666. L’auteur s’est attaché à écrire des comédies qui mettent en lumière les défauts de ses contemporains, ce qui fait à la fois rire et réfléchir le public. Le titre de cette pièce désigne Alceste, jeune homme qui hait l’humanité et critique sans mesure les hypocrisies et les compromissions auxquelles se livrent les hommes en société. Notre texte est un extrait de la scène 1 de l’acte I, qui expose une dispute entre Alceste et son ami Philinte. Nous nous demanderons comment cette scène d’exposition plonge le spectateur au cœur d’une querelle autour des usages dans la société.

Cet extrait se découpe en trois mouvements, tout d’abord l’opposition de la sincérité d’Alceste et la courtoisie de Philinte, puis la tirade d’Alceste et sa volonté de persuasion et enfin le raisonnement de Philinte suivi de la conclusion tranchante d’Alceste.

I. L’opposition de la sincérité d’Alceste et la courtoisie de Philinte

La pièce s’ouvre sur une dispute entre Alceste et Philinte, ces deux hommes sont en désaccord sur la façon dont on doit agir en société. La scène a déjà commencé avant, par un reproche de la part d’Alceste à son ami Philinte sur le fait que celui-ci ait fait des compliments à un homme dont il est incapable de donner le nom. L’extrait commence avec la réplique d’Alceste, l’expression « je veux que » pose d’emblée l’exigence d’Alceste. Il emploie un ton péremptoire, il ne souffre aucune discussion. Avec la rime de « cœur » et « honneur », Alceste expose sa définition de l’idéal de l’homme en société, un homme juste et sincère. Le pronom personnel « on » fait de ses propos une généralité, ces valeurs doivent être adoptées par tous pour que la vie en société fonctionne.

Philinte utilise une argumentation d’expérience pour ancrer Alceste dans le réel. Il ne souhaite pas de confrontation directe avec Alceste, il reste courtois et calme tout au long de leur dispute. La périphrase modale « il faut bien » exprime l’obligation. Pour Philinte, se comporter ainsi en société est une valeur intrinsèque, il s’agit ici de rappeler l’usage évident qui se pratique. Il fonde son argument sur la réciprocité, l’échange et le commerce « le payer de la même monnaie », « répondre » v.5, « rendre » v.6. Il compare l’art de la conversation à un échange commercial, Philinte utilise un exemple concret dans l’espoir de changer l’avis d’Alceste. Toutefois, cela ne va avoir aucun effet sur Alceste qui rejette ses idées.

II. Tirade d’Alceste et sa volonté de persuasion

Alceste se lance donc dans une longue tirade traitant des rapports en société. Dès le début l’emploi de l’adverbe de négation « non » signe la violence de ses propos et la tonalité générale de sa tirade. Le pronom personnel « je » le détache, Alceste est à part des autres, cela le différencie des personnes qu’il condamne. La « lâche méthode » fait référence au dégoût qu’il ressent pour ces rapports protocolaires. On comprend grâce au déterminant possessif « vos » qu’Alceste considère Philinte, son ami, comme une de ces personnes « à la mode ». Il enchaîne en faisant part de ses sentiments tranchés vis-à-vis de ce type de personnes avec « je ne hais rien tant ». Intervient ensuite le champ lexical de la futilité avec les noms communs comme « contorsions », « frivoles », « inutiles », et celui de politesse « embrassades », « obligeants », « civilités », pour dénoncer le jeu d’une comédie qui se joue sous nos yeux. La rime « frivole/parole » souligne la dimension superficielle, Alceste n’accorde aucun crédit à ces conversations, elles sont vides de sens.

Alceste emploie à trois reprises des noms communs positifs à connotation péjorative, il s’agit de périphrases exprimant le mépris de ce dernier. Il enchaîne avec une accumulation de qualités « amitié, foi, zèle… ». Mais les balaie d’un revers de main au vers 18. Il utilise dans un style hyperbolique des mots comme « la plus glorieuse », « tout l’univers » qu’il associe à des termes comme « prostituée », « vices », pour souligner la perversion des qualités morales. Il répond à la réplique de Philinte qui comparait la conversation à un échange, ici, Alceste affirme que l’homme en société se comporte de la même façon avec un homme honnête et un imbécile prétentieux. Les gens que l’on aime sont traités de la même façon que ceux que l’on n’aime pas. Alceste continue de revendiquer ses valeurs : l’estime et le mérite à travers la polyptote du mot ‘estime’ et la négation totale « estime rien » qui place cette valeur au centre de son système de pensée. Le complément circonstanciel de temps « puisque vous y donner, dans ces vices du temps », justifie la conclusion à laquelle il vient. Il exprime son agacement et son empressement en jurant « Morbleu ».

Tout au long de sa tirade, celle-ci est ponctuée par des expressions fortes. Nous observons une métonymie et une personnification du mot « cœur » « je refuse d’un cœur la vaste complaisance ». Il y a à nouveau une négation qui montre qu’il ne saurait tolérer aucune opposition à son idée « je refuse » et l’emploi péjoratif du pronom indéfini « on ». Il met un point définitif au débat en insérant une vérité générale « L’ami du genre humain n’est point du tout mon fait ». Alceste refuse catégoriquement d’adhérer aux règles de la société, et préfère mettre fin à son amitié avec Philinte. Cette tirade, construite sur une question-réponse, permet à Alceste d’exprimer son avis sans qu’il puisse être interrompu.

III. Le raisonnement de Philinte suivi de la conclusion tranchante d’Alceste

La conclusion d’Alceste laisse donc la place à la réponse de Philinte. Il répond de façon presque identique, avec l’emploi de « il faut bien ». Philinte n’a plus d’arguments, il ne comprend pas la position d’Alceste et a donc du mal à répondre de façon argumentative. Cela montre une certaine impuissance de Philinte face à Alceste qui maîtrise la rhétorique et qui domine clairement la situation. On note également le déséquilibre de la répartition de la parole, ce qui vient souligner ce rapport de force évident en faveur d’Alceste.

Enfin, la dernière réplique d’Alceste nous indique que celui-ci ne change pas d’avis face aux réponses de Philinte. On retrouve l’agacement d’Alceste avec l’adverbe de négation « non ». De plus il utilise un vocabulaire excessif « châtier », « pitié » pour prescrire une nouvelle fois le comportement nécessaire en société. Pour lui, toute la vérité est bonne à dire, en amitié comme en société.

Conclusion

À travers ce débat théâtral, Alceste dénonce l’hypocrisie et prône un idéal de vérité et de franchise. Le spectateur découvre un Alceste intransigeant qui rejette totalement les mœurs de ses contemporains, se faisant ainsi Misanthrope.

Face à lui, l’exemple parfait des personnes qu’il dénonce, Philinte est courtois et n’a aucun mal à adhérer aux normes de la société. Cependant, la posture emportée, virulente et trop sérieuse d’Alceste en fait un personnage comique paradoxalement porteur d’une véritable réflexion philosophique.