Racine, Bérénice - Acte I, scènes 1 et 2

Lecture analytique complète des deux premières scènes, élaborée par un enseignant.

Dernière mise à jour : 11/10/2022 • Proposé par: louyub (élève)

Texte étudié

Scène 1
La scène est à Rome, dans un cabinet qui est entre l'appartement de Titus et celui de Bérénice.

Antiochus, Arsace

ANTIOCHUS
Arrêtons un moment. La pompe de ces lieux,
Je le vois bien, Arsace, est nouvelle à tes yeux.
Souvent ce cabinet superbe et solitaire
Des secrets de Titus est le dépositaire.
C'est ici quelquefois qu'il se cache à sa cour,
Lorsqu'il vient à la reine expliquer son amour.
De son appartement cette porte est prochaine,
Et cette autre conduit dans celui de la reine.
Va chez elle : dis-lui qu'importun à regret
J'ose lui demander un entretien secret.

ARSACE
Vous, Seigneur, importun ? Vous, cet ami fidèle
Qu'un soin si généreux intéresse pour elle ?
Vous, cet Antiochus, son amant autrefois ?
Vous, que l'Orient compte entre ses plus grands rois ?
Quoi ? Déjà de Titus épouse en espérance,
Ce rang entre elle et vous met-il tant de distance ?

ANTIOCHUS
Va, dis-je : et sans vouloir te charger d'autres soins,
Vois si je puis bientôt lui parler sans témoins.

Scène 2
Antiochus, seul

ANTIOCHUS
Hé bien ! Antiochus, es-tu toujours le même ?
Pourrais-je, sans trembler, lui dire : «Je vous aime ?»
Mais quoi ? Déjà je tremble, et mon cœur agité
Craint autant ce moment que je l'ai souhaité.
Bérénice autrefois m'ôta toute espérance ;
Elle m'imposa même un éternel silence.
Je me suis tu cinq ans, et jusques à ce jour,
D'un voile d'amitié j'ai couvert mon amour.
Dois-je croire qu'au rang où Titus la destine
Elle m'écoute mieux que dans la Palestine ?
Il l'épouse. Ai-je donc attendu ce moment
Pour me venir encor déclarer son amant ?
Quel fruit me reviendra d'un aveu téméraire ?
Ah ! Puisqu'il faut partir, partons sans lui déplaire.
Retirons-nous, sortons ; et sans nous découvrir,
Allons loin de ses yeux l'oublier, ou mourir.
Hé quoi ? Souffrir toujours un tourment qu'elle ignore ?
Toujours verser des pleurs qu'il faut que je dévore ?
Quoi ? Même en la perdant redouter son courroux ?
Belle reine, et pourquoi vous offenseriez-vous ?
Viens-je vous demander que vous quittiez l'empire ?
Que vous m'aimiez ? Hélas ! Je ne viens que vous dire
Qu'après m'être longtemps flatté que mon rival
Trouverait à ses vœux quelque obstacle fatal,
Aujourd'hui qu'il peut tout, que votre hymen s'avance,
Exemple infortuné d'une longue constance,
Après cinq ans d'amour et d'espoir superflus,
Je pars, fidèle encor quand je n'espère plus.
Au lieu de s'offenser, elle pourra me plaindre.
Quoi qu'il en soit, parlons : c'est assez nous contraindre.
Et que peut craindre, hélas ! un amant sans espoir
Qui peut bien se résoudre à ne la jamais voir ?

Racine, Bérénice - Acte I, scènes 1 et 2

Les premières scènes ont pour fonction, d’informer le spectateur et le lecteur sur l’action qui s’engage, les personnages, le ton de la pièce.

En quoi les deux premières scènes nous laissent-elles d’emblée percevoir cette double orientation de la pièce ? En quoi la double énonciation permet-elle d’évoquer en quelques vers seulement la situation des personnages principaux ? En quoi ces scènes dépassent-elles largement leur but informatif en entretenant un certain mystère autour de ces personnages principaux et en provoquant chez le spectateur ou le lecteur des attentes ?

I. La double orientation de la pièce

a) Une pièce sur le pouvoir

La didascalie initiale précise que « La scène est à Rome, dans un cabinet ». « Rome est associée au pouvoir, le terme « cabinet », désignant une pièce servant de bureau de travail, a lui aussi une connotation de « pouvoir ». Les lieux apparaissent d’emblée comme impressionnants : « la pompe », l’adjectif « superbe » pour désigner le « cabinet » dans lequel se trouvent les personnages font comprendre au lecteur que ces personnages vont évoluer dans des lieux luxueux et majestueux, des lieux de pouvoir. La situation des personnages est soulignée par des termes qui évoquent le pouvoir : Bérénice est « reine », Arsace insiste sur le rang et la puissance d’Antiochus qu’il compte parmi les « plus grands rois » d’Orient. Titus est amené à « se cache[r] à sa cour » et destine Bérénice à un « haut rang », à l’« empire ». On peut d’ailleurs pressentir que l’atmosphère qui règne à la cour de Titus est oppressante et que cette cour se caractérise par une hiérarchie très stricte qui règle les rapports entre ses membres et qui fixe des distances infranchissables entre des personnes qui ne sont pas du même rang (vers 16). Ensuite, la vie de la cour amène Titus à vouloir « se cache[r] », ce qui laisse supposer une cour puissante et tyrannique. La pièce va donc probablement nous amener à entrer dans les hautes sphères du pouvoir.

b) L’intimité

La didascalie initiale précise que le « cabinet […] est entre l’appartement de Titus et celui de Bérénice ». La première réplique le fait savoir pour les spectateurs : Antiochus se trouve dans un « cabinet » : « De son appartement cette porte est prochaine / Et cette autre conduit dans celui de la reine ». On retiendra le caractère secret, intime de ce lieu qui

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