Maupassant, Le Horla - 7 août

Une copie entièrement retranscrite par une étudiante.

Dernière mise à jour : 08/12/2022 • Proposé par: lazia (élève)

Texte étudié

7 août. — J’ai dormi tranquille. Il a bu l’eau de ma carafe, mais n’a point troublé mon sommeil.

Je me demande si je suis fou. En me promenant, tantôt au grand soleil, le long de la rivière, des doutes me sont venus sur ma raison, non point des doutes vagues comme j’en avais jusqu’ici, mais des doutes précis, absolus. J’ai vu des fous ; j’en ai connu qui restaient intelligents, lucides, clairvoyants même sur toutes les choses de la vie, sauf sur un point. Ils parlaient de tout avec clarté, avec souplesse, avec profondeur, et soudain leur pensée touchant l’écueil de leur folie, s’y déchirait en pièces, s’éparpillait et sombrait dans cet océan effrayant et furieux, plein de vagues bondissantes, de brouillards, de bourrasques, qu’on nomme « la démence ».

Certes, je me croirais fou, absolument fou, si je n’étais conscient, si je ne connaissais parfaitement mon état, si je ne le sondais en l’analysant avec une complète lucidité. Je ne serais donc, en somme, qu’un halluciné raisonnant. Un trouble inconnu se serait produit dans mon cerveau, un de ces troubles qu’essayent de noter et de préciser aujourd’hui les physiologistes ; et ce trouble aurait déterminé dans mon esprit, dans l’ordre et la logique de mes idées, une crevasse profonde. Des phénomènes semblables ont lieu dans le rêve qui nous promène à travers les fantasmagories les plus invraisemblables, sans que nous en soyons surpris, parce que l’appareil vérificateur, parce que le sens du contrôle est endormi ; tandis que la faculté imaginative veille et travaille. Ne se peut-il pas qu’une des imperceptibles touches du clavier cérébral se trouve paralysée chez moi ? Des hommes, à la suite d’accidents, perdent la mémoire des noms propres ou des verbes ou des chiffres, ou seulement des dates. Les localisations de toutes les parcelles de la pensée sont aujourd’hui prouvées. Or, quoi d’étonnant à ce que ma faculté de contrôler l’irréalité de certaines hallucinations, se trouve engourdie chez moi en ce moment !

Je songeais à tout cela en suivant le bord de l’eau. Le soleil couvrait de clarté la rivière, faisait la terre délicieuse, emplissait mon regard d’amour pour la vie, pour les hirondelles, dont l’agilité est une joie de mes yeux, pour les herbes de la rive dont le frémissement est un bonheur de mes oreilles.

Peu à peu, cependant un malaise inexplicable me pénétrait. Une force, me semblait-il, une force occulte m’engourdissait, m’arrêtait, m’empêchait d’aller plus loin, me rappelait en arrière. J’éprouvais ce besoin douloureux de rentrer qui vous oppresse, quand on a laissé au logis un malade aimé, et que le pressentiment vous saisit d’une aggravation de son mal.

Donc, je revins malgré moi, sûr que j’allais trouver, dans ma maison, une mauvaise nouvelle, une lettre ou une dépêche. Il n’y avait rien ; et je demeurai plus surpris et plus inquiet que si j’avais eu de nouveau quelque vision fantastique.

Maupassant, Le Horla - 7 août

Le Horla est une nouvelle réaliste naturaliste. Cette œuvre relate une période de la vie de Maupassant. Cet écrivain, bien imprégné dans son siècle le XIXe, va nous embarquer dans un récit fantastique ancré dans un espace réel. À travers la richesse de son vocabulaire et à sa démarche empirique, on va être témoin de la genèse de la folie du narrateur, voire la démence de l’auteur lui-même.

Alors, en quoi ce passage décrit-il une nouvelle phase de l’évolution de cette démence ? Et quels sont les procédés déployés dans la narration et que traduisent-ils ?

I. Une narration rationnelle

Étant profondément perturbé par la scène de la veille, le 6 août (scène de la rose et le début des doutes sur son état mental), le passage du 7 août s’ouvre sur un narrateur serein et résigné. La narration dans le Horla traduit l’état d’âme du narrateur « J’ai dormi tranquille » par l’emploi du « je », et le verbe au passé composé ; l’énonciation ici renforce le choix de la focalisation interne.

« Il a bu l’eau de ma carafe », il c’est le personnage invisible de l’œuvre ; qui a remplacé le « on ». Le narrateur dans l’ouverture de ce passage est dans l’acceptation qu’un être invisible le côtoie « ,mais n’a point troublé mon sommeil ». La négation et le verbe au passé composé montrent qu’il a baissé les bras dans cette bataille qu’il s’est livrée lui-même et ainsi déclare la paix. Le narrateur est une personne très raisonnée et toujours dans l’introspection: « Je me demande si je suis fou ». Un postulat avec une phrase déclarative où il n’a pas employé le point d’interrogation. Il va procéder, comme à l’accoutumée, à la démarche scientifique et par la suite aux explications afin de convaincre ou influencer un potentiel lecteur : « En me promenant, tantôt au grand soleil, le long de la rivière, des doutes me sont venus sur ma raison, non point des doutes vagues comme j’en avais jusqu’ici, mais des doutes précis absolus ». On remarque qu’il est dans la démarche scientifique, même dans les doutes. Les doutes ne sont généralement ni précis ni absolus. L’utilisation d’un oxymore montre une contradiction.

Maupassant, un fidèle des séances thérapeutiques du professeur Charcot, va sortir de son état pour nous parler de ce qu’il a vu, et disserter à travers une narration pragmatique digne d’un écrivain érudit, héritier du siècle des Lumières et influencé par le courant positiviste : il n’y rien q

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