L'Etat et la religion sont-ils compatibles ?

Copie d'une élève de classe préparatoire BL, dissertation rédigée pour une kholle avec obligation d'utiliser le Contrat social de Rousseau. Note obtenue 14/20. Plan préconisé par le correcteur : I) théocratie II) laïcité III) religion civile chez Rousseau.

Dernière mise à jour : 25/10/2022 • Proposé par: emmapztton (élève)

Historiquement, pendant fort longtemps, jusqu'à la fin du XVIIIe siècle environ, tous les États ont été confessionnels, c’est-à-dire que leurs gouvernements distribuaient de façon proportionnelle le pouvoir politique entre différentes communautés religieuses. Ce système est mis en cause pour la première fois par les Etats Unis en 1791, qui par son premier amendement de sa constitution, fait défense au Congrès de « faire aucune loi concernant l’établissement d’une religion ou interdisant son libre exercice ». Cet amendement sous-entend que la religion est une affaire privée, hors de la compétence de l’Etat. Au cours du XIXe siècle, l'État se « déconfessionnalise » progressivement ; en 1904, le gouvernement français dénonce le concordat de 1801, et le Parlement vote, le 9 décembre 1905, la loi « sur la séparation des Églises et de l'État » : désormais, la France est, dans toute la rigueur du terme, un État non confessionnel. Il serait intéressant au vue de ces évolutions historiques concernant les rapports entre l’Etat et la religion, de se poser la question suivante : l’Etat et la religion sont compatibles ?

L’Etat, par définition, est une institution politique souveraine qui organise la société au sein d’un territoire. L’Etat permet d’assurer aux lois leur force et leur application. En conséquence il doit apporter la justice à la société ainsi que maintenir la sécurité et la liberté des individus. De son côté la religion se définit comme un ensemble de croyances et de pratiques collectives qui constitue le rapport de l’homme avec la puissance divine. Ces croyances collectives permettent de former des liens sociaux entre les individus, et la religion, étant normative, impose des règles à suivre et des interdits à ne pas franchir, ce qui la rapproche en ce sens de l’Etat. Ces règles imposées, que les individus doivent suivre, ont pour but de rendre la société pacifiée, harmonieuse.

Mais l’Etat et la religion sont-ils pour autant compatibles du fait qu’ils exercent une fonction commune, celle d’imposer des règles, de cadrer et de maîtriser la société ? De la notion de compatibilité ressort une idée d’accord entre la religion et l’Etat, une idée d’existence commune, de tolérance, ou même de coopération voire de complémentarité entre les deux institutions. La religion et l’Etat peuvent-ils gouverner, contrôler la société en même temps ou faut-il choisir entre les deux ? La religion est-elle complémentaire à l’Etat ou inversement l’Etat est-il complémentaire à la religion? Y a-t-il une meilleure option à privilégier entre l’Etat et la religion afin de vivre dans une société dépourvue de violence ? L’Etat et la religion peuvent-ils s’entendre ? Finalement, cette idée de compatibilité nous amène à nous demander si il faut séparer ou non la religion de l’Etat pour que l’harmonie règne dans une société. Nous examinerons dans un premier temps l’hypothèse de Rousseau selon laquelle la république doit reposer sur un fondement religieux. Mais nous aurons aussi à nous demander dans une deuxième partie quels sont les avantages de la laïcité d’un point de vue d’unité entre les individus dans la société.

I. Rousseau: « Il n'y a pas de politique sans religion». La république doit reposer sur un fondement religieux

Tout d’abord, pour Rousseau, la République doit reposer sur un fondement religieux. Il le dit lui-même dans Le Contrat Social, « il n’y a pas de politique sans religion ». Il y a selon lui une dimension irrationnelle dans le politique et cette dimension irrationnelle est religieuse. Autrement dit, Rousseau voudrait que la religion et l’Etat soient compatibles. Son premier argument est un argument de faits : à son époque on n’a jamais vu d’Etat sans fondements religieux. Chaque religion était rattachée aux lois de l’Etat qui la prescrivait. Il n'y avait pas d'autre manière de convertir un peuple que de l'asservir, ni d'autres missionnaires que les conquérants ; et pour obliger des individus à changer de religion il fallait d’abord les vaincre.

Ensuite, Rousseau affirme la nécessité d'une « religion civile », remarque que la religion donne de la force aux lois, qu’elle unit la société et qu’elle rend l’homme capable de se sacrifier par devoir. Il se demande alors quelle est la meilleure religion, celle qui entraînera le moins de violence, celle qui empêchera la société de se déchirer. Il étudie trois types de religions. La première possibilité, est la religion païenne, c’est-à-dire la religion de la cité. Chaque cité a ses dieux et il existe une unité parfaite entre l’unité politique et l’unité religieuse. Sauf que le problème est que cette religion entraîne de l’intolérance envers les étrangers, envers ceux qui n'adhèrent pas à cette religion, à ce civisme et à ce patriotisme à la fois religieux et politique. Rousseau examine alors une deuxième possibilité, celle de l’Evangile. Par cette religion sainte, sublime, véritable, les hommes, enfants du même Dieu, se reconnaissaient tous pour frères, et la société qui les unit ne se dissout pas même à la mort. Cette religion est purement non violente. Cela pourrait être vu comme une bonne chose car la société est harmonieuse mais le problème arrive lorsqu’un ennemi vous attaque. En effet, la société, étant non violente, ne va pas se défendre et va laisser ses ennemis l’attaquer. En cela, l’Evangile ne peut fonder une société politique. Comme 3eme possibilité, Rousseau va se pencher sur la double commande, qui a été inventée par le christianisme. Il s’agit d’obéir au roi pour une certaine chose et au pape pour une autre. Selon le philosophe, cette double commande va être source de dissentions perpétuelles, va créer de la violence au sein de la société car elle sera toujours divisée en elle-même entre deux obéissances ( certains vont plus obéir au roi qu’au pape et inversement).

Pour renforcer la république il faudrait donc selon lui la sacraliser c’est-à-dire que l’Etat devienne une église. Mais si il y a bien une religion que Rousseau rejette c’est le christianisme. Même si il considère que cette religion est élevée d’un point de vue individuel et moral, elle est cependant d’après lui, inappropriée à la vie politique collective. Dans l’histoire des religions, les religions ont d’abord été ethniques ou nationales et religions antiques poussaient au patriotisme. En conséquence, la religion et l’Etat ne faisaient qu’un et c’est le christianisme qui a séparé l’Eglise et l’Etat alors qu’au contraire l’Islam a eu l’intelligence et le mérite selon rousseau de repousser cette invention chrétienne qui est la laïcité et d’être une véritable religion théocratique. Rousseau est donc opposé à la laïcité, il veut une religion d’Etat, il ne veut pas du christianisme car il affirme la laïcité et affaiblirait la république. Alors quelle devrait être cette religion d’Etat ? Et bien Rousseau estime qu’aucune des religions connues n’est pleinement satisfaisante. Il a étudié toutes les hypothèses mais pour lui, aucune n’est bonne car elles sont soit violentes, soit génèrent de la violence, soit ne résistent pas à la violence. La solution serait donc une religion civile, qui tisse le lien civil et qui soutienne la démocratie tout en enracinant l’obligation civique dans un sentiment religieux qui exalte les valeurs républicaines.

Enfin, d’après Rousseau, la religion sert à forger la passion patriotique des citoyens et à unir ceux-ci en une seule et même communauté politique. Elle permet également de les caractériser par rapport aux autres nations, dont les religions diffèrent. Mais, dans tous les cas, une religion doit être liée à sa nation : Athéna est la déesse d’Athènes, et le pharaon est le roi-dieu d’Égypte. Une religion transnationale car universelle, comme l’est le christianisme, ne ferait qu’affaiblir ce patriotisme en substituant à la fraternité nationale une fraternité de tous les hommes. Si Jean-Jacques Rousseau estime que la religion est nécessaire à la politique, que la religion et l’Etat doivent être compatibles, il ne trouve pas concrètement la solution, LA religion qui serait compatible avec l’Etat même si il annonce que l’Etat nécessite d’une « religion civile ». Le philosophe s’opposait aussi à la laïcité alors même qu’elle comporte des avantages en matière de vivre ensemble et d’harmonie dans la société.

II. La laïcité: la religion doit rester du domaine du privé

D'après l'Encyclopédie philosophique universelle, la laïcité est la construction intellectuelle qui tend à empêcher l’emprise de toute confession sur la société, ce qui a pour conséquence de proscrire l’imposition d’une religion civile par le politique tout en renvoyant les affaires spirituelles à la sphère privée. La laïcité s'oppose à la reconnaissance d'une religion d'État. Autrement dit, le principe de la laïcité va considérer que séparer la religion de l’Etat est une meilleure solution à l’harmonie de la société.

En 1686, John Locke dans sa Lettre sur la tolérance, va proposer une réflexion sur la tolérance et la laïcité. Dans cette lettre John Locke défend la laïcité comme un moyen d’atteindre une société tolérante. La tolérance est elle-même défendue sur la base d’arguments philosophiques. Le plus important de ses arguments philosophiques est que la religion repose sur l’adhésion intérieure. La religion est d’abord une question de croyance avant d’être une religion de pratique. Or sur la croyance ni l’autorité ni la force n’ont d’effet, seule l’argumentation peut faire changer quelqu’un d’avis. De ce fait, il est inutile de persécuter quelqu’un qui ne partage ses convictions religieuses. En outre, John Locke affirme que le salut est une affaire personnelle. Si une personne s’égare et adhère à une fausse religion, elle n’engage que son propre salut personnel, elle ne fait de mal à personne d’autre qu’elle-même et il n’y a encore aucune raison de la persécuter pour qu’elle change d’avis. Enfin, élément important que démontre le philosophe anglais, c’est que la liberté religieuse qu’offre la laïcité, renforce l’adhésion à l’Etat. En effet, tous ceux qui sont désormais libres seront reconnaissant envers l’Etat et voudront sa conservation.

Si il y a eu des guerres de religion ce n’est pas à cause des désaccords religieux mais parce que les uns ou les autres ont été intolérants et ont voulu imposer leurs opinions aux autres. John Locke défend donc la laïcité car c’est à ses yeux l’option la plus naturelle pour atteindre une société tolérante. Les persécutions sont rendues possibles lorsqu’il y a confusion entre l’Etat et l’Eglise : l’Etat se mêle de religion, la religion emploie la force de l’Etat et la liberté des individus s’en trouve diminuée. Pourtant l’Etat et la religion n’ont rien à faire ensemble : ils poursuivent des buts qui sont fondamentalement distincts. L’Etat existe afin de garantir les droits humains sur Terre et l’Eglise, elle, vise le ciel, elle est une assemblée d’hommes volontaires voulant rendre un culte à Dieu et procéder au salut. Ces deux finalités étant distinctes, l’Eglise et l’Etat doivent être séparés. L’Etat ne doit s’occuper d’aucune affaire religieuse et tolérer toutes les religions, exceptées celles qui menacent la paix sociale. Quant aux Eglises, elles ne doivent pas employer les moyens de l’Etat tel que la loi ou la force, elles doivent respecter celles qui ne partagent pas leurs convictions.

Alors on le voit assez clairement, John Locke est un défenseur de la tolérance et de la laïcité. Pour lui donc, faire de la religion une affaire du privé, c’est-à-dire de la séparer de l’Etat, permet la tolérance, l’harmonie dans la société. De plus, selon le philosophe français Henri Pena-Ruiz, le principe de fraternité, qui est un des piliers de la laïcité, est censé privilégier ce qui unit et non ce qui divise. Il s’agit d’après lui de former une communauté d’hommes libres, libérés de leurs origines communautaires ou religieuses, libres dans leur choix de croyances et de styles de vie. Ainsi, la neutralité de l’Etat concernant la religion doit être positive ; en ce sens, elle ne doit pas être comprise comme « non-croyance », mais comme ce qui permet la coexistence de toutes les religions et donc des individus dans la société.

Conclusion

Au terme de notre analyse, nous avons montré que pour Rousseau la politique est forcément et doit être liée à la religion, religion qui doit être civile. Cependant, la laïcité semble la meilleure option. Faire de la religion une affaire privée, et faire en sorte qu’elle n’entre pas dans la sphère politique semble permettre plus d’harmonie dans ces sociétés qui l’adoptent plutôt que celles qui allient Etat et religion.