Victor Hugo, Quatrevingt-treize - I, 2: Le canon contre le canonnier

Commentaire en deux parties d'un élève de première.

Dernière mise à jour : 02/10/2022 • Proposé par: Candice (élève)

Texte étudié

Alors une chose farouche commença ; spectacle titanique ; le combat du canon contre le canonnier ; la bataille de la matière et de l'intelligence, le duel de la chose contre l'homme.

L'homme s'était posté dans un angle, et, sa barre et sa corde dans ses deux poings, adossé à une porque, affermi sur ses jarrets qui semblaient deux piliers d'acier, livide, calme, tragique, comme enraciné dans le plancher, il attendait.

Il attendait que le canon passât près de lui.

Le canonnier connaissait sa pièce, et il lui semblait qu'elle devait le connaître. Il vivait depuis longtemps avec elle. Que des fois il lui avait fourré la main dans la gueule ! C'était son monstre familier. Il se mit à lui parler comme à son chien. - « Viens » , disait-il . Il l'aimait peut-être.

Il paraissait souhaiter qu'elle vint à lui.

Mais venir à lui, c’était venir sur lui . Et alors il était perdu. Comment éviter l'écrasement ? Là était la question. Tous regardaient, terrifiés. Pas une poitrine ne respirait librement, excepté peut être celle du vieillard qui était seul dans l'entrepont avec les deux combattants, témoin sinistre.

Il pouvait lui-même être broyé par la pièce. Il ne bougeait pas .

Sous eux le flot, aveugle, dirigeait le combat .

Au moment où, acceptant ce corps-à-corps effroyable, le canonnier vint provoquer le canon, un hasard des balancements de la mer fit de la caronade demeura un moment immobile et comme stupéfaite. "Viens donc !" lui disait l'homme elle semblait écouter. Subitement elle sauta sur lui. L'homme esquiva le choc.

La lutte s'engagea. Lutte inouïe. Le fragile se collectant avec l'invulnérable. Le bélluaire de cher attaquant la bête d'airain. D'un côté une force, de l'autre une âme.

Tout cela se passait dans une pénombre. C'était comme la vision indistincte d'un prodige.

Une âme; chose étrange, on eût dit que le canon en avait une, lui aussi, mais une âme de haine et de rage. Cette cécité paraissait avoir des yeux. Le monstre avait l'air de guetter l'homme. Il y avait, on l'eut pu croire du moins, de la ruse dans cette masse. Elle aussi choisissait son moment. C'était on ne sait quel gigantesque insecte de faire ayant ou semblant avoir une volonté de démon. Par moment cette sauterelle colossale cognait le plafond bas de la batterie, puis elle retombait sur ses quatre roues comme un tigre sur ces quatre griffes, et on se remettait à courir sur l'homme. Lui, souple, adroit, se tordait comme une couleuvre sous tous ces mouvements de foudre. Il évitait les rencontres , mais les coups auxquels il se dérobait tombaient sur le navire et continuaient de le démolir.

Un bout de chaîne cassée était resté accroché à la carbonade. Cette chaîne s'était enroulée on ne sait comment dans la vie du bouton de culasse. Une extrémité de la chaîne était fixée à l'affût. L'autre, libre, tournoyait éperdument autour du canon dont elle exagérait tous les soubresauts. La vis la tenait comme une main fermée, et cette chaîne, multipliant les coûts de bélier par des coups de lanière, faisait autour du canon un tourbillon terrible, fouet de fer dans un point d'airain. Cette chaîne compliquait le combat.

Pourtant l'homme luttait. Même, par instants, c'était l'homme qui attaquait le canon; il rampait le long du bordage, sa barre et sa corde à la main ; et le canon avait l'air de comprendre, et, comme s'il devenait un piège, fuyait. L'homme, formidable, le poursuivait .

De telles choses ne peuvent durer longtemps. Le canon sembla se dire tout à coup : « Allons ! Il faut en finir ! » et il s'arrêta. On sentit l'approche du dénouement.

Victor Hugo, Quatrevingt-treize - I, 2

"Admiration et pitié, telle est la devise du roman" . Cette citation de Georges Duhamel semble faire écho à l'extrait du roman historique que nous allons étudier. Cette œuvre a été publiée en 1874, au siècle où le romantisme et le réalisme sont dominants, à une époque où l'on veut montrer la réalité du monde. Victor Hugo, célèbre polygraphe et chef du fil du romantisme, nous montre dans son œuvre Quatrevingt-treize la réalité poignante de la révolution française, en 1793.

Dans notre extrait, Victor Hugo aborde le topos du combat. Un combat sur un navire de guerre au cœur d'une violente tempête. Un canon mal attaché menace le navire en provoquant un naufrage et une panique à bord. Cette scène est un climax, très attendue par le lecteur. Nous nous demanderons ici comment l'écrivain revisite-t-il ce topos du combat en le rendant inoubliable ? Pour y répondre, il conviendra, dans un premier temps, d'aborder la dimension dramatique de ce combat, puis, dans un second temps, d'étudier la mise en scène du duel qui oppose le canonnier et le canon.

I. la dimension dramatique de ce combat

a) La théâtralisation du combat

En premier lieu, ce qui frappe d'entrer le lecteur, c'est la dimension dramatique de ce combat. En effet, on y note d'abord une théâtralisation, mise en valeur par des figures d'amplification, à commencer par des hyperboles : « spectacle titanique », « le duel de la chose contre l'homme », « ce corps-à-corps effroyable », « quel gigantesque insecte de fer » ou bien encore « multipliant les coûts de bélier par des coups de lanière ». Et puis, on y trouve quelques énumérations : « deux piliers d'acier, livide, calme, tragique » et « lui, souple, agile, adroit » venant à renforcer cette théâtralisation. On peut y ajouter la ponctuation expressive, avec des questions rhétoriques et des points d'exclamation. Quelques modalisateurs d'incertitude appuient également la dramatisation comme : « il l'aimait peut-être » ou bien encore « il paraissait souhaiter qu'elle vint à lui ».

b) Une scène de panique

La panique, en toile de fond, met en valeur ce combat dramatique. Tout d'abord, il y a un effet crescendo faisant montrer en tension les passagers à bord du navire, appuyé par le rythme ternaire « sous eux le flot, aveugle, dirigeait le combat ». De même la panique est décrite par plusieurs passages : « [i]pas une poitrine ne respirait

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