Zola, L'Assommoir - Chapitre 1: Incipit - Portrait de Gervaise

Commentaire entièrement rédigé, en deux parties.

Dernière mise à jour : 11/11/2022 • Proposé par: Lisalavaud (élève)

Texte étudié

Quand Gervaise s'éveilla, vers cinq heures, raidie, les reins brisés, elle éclata en sanglots. Lantier n'était pas rentré. Pour la première fois, il découchait. Elle resta assise au bord du lit, sous le lambeau de perse déteinte qui tombait de la flèche attachée au plafond par une ficelle. Et, lentement, de ses yeux voilés de larmes, elle faisait le tour de la misérable chambre garnie, meublée d'une commode de noyer dont un tiroir manquait, de trois chaises de paille et d'une petite table graisseuse, sur laquelle traînait un pot à eau ébréché. On avait ajouté, pour les enfants, un lit de fer qui barrait la commode et emplissait les deux tiers de la pièce. La malle de Gervaise et de Lantier, grande ouverte dans un coin, montrait ses flancs vides, un vieux chapeau d'homme tout au fond, enfoui sous des chemises et des chaussettes sales; tandis que, le long des murs, sur le dossier des meubles, pendaient un châle troué, un pantalon mangé par la boue, les dernières nippes dont les marchands d'habits ne voulaient pas. Au milieu de la cheminée, entre deux flambeaux de zinc dépareillés, il y avait un paquet de reconnaissances du mont-de-piété, d'un rose tendre.

C'était la belle chambre de l'hôtel, la chambre du premier, qui donnait sur le boulevard.

Cependant, couchés côte à côte sur le même oreiller, les deux enfants dormaient. Claude, qui avait huit ans, ses petites mains rejetées hors de la couverture, respirait d'une haleine lente, tandis qu'Etienne, âgé de quatre ans seulement, souriait, un bras passé au cou de son frère.

Zola, L'Assommoir - Chapitre 1

Du XIXe à nos jours, Emile Zola est un incontournable de la culture française par sa faculté à marquer les consciences. Son approche bien personnelle du roman, par des considérations scientifiques, plus particulièrement sociologiques, le place comme le fondateur d’un courant littéraire ; le naturalisme, qui influencera de nombreuses jeunes plumes dans son sillage.

Le portrait de Gervaise, souligne cette démarche, qu’utilise Emile Zola pour s’évader de son quotidienne de la classe ouvrière, qui fatigue son corps mais éveille son regard sur la société. Comment Emile Zola illustre-t-il la misère d’une classe sociale à travers une scène de la vie quotidienne dans Le portrait de Gervaise ? Pour y répondre, nous étudierons d’une part, les diverses fonctions de l’incipit et d’autre part le naturalisme, héritier du réalisme.

I. Les diverses fonctions de l’incipit

Le mot incipit, dérivé du verbe incipere signifie débuter et désigne la toute première page d’un romain. Afin de mettre en place la situation d’énonciation, celui-ci à plusieurs fonctions ;

Tout d’abord, l’auteur impose le cadre spatiaux temporel en décrivant les différents ameublements du lieu dans lequel se trouve le personnage principal. Nous constatons que le narrateur place le cadre temporel immédiatement « Quand Gervaise s’éveilla, vers cinq heures » l.1 alors qu’il décrit l’espace progressivement : il commence par les objets les plus proches de Gervaise « Elle resta assise au bord du lit, sous le lambeau de perse déteinte qui tombait de la flèche attachée au plafond par une ficelle. » l.4 avant d’élargir son champs de vision « C'était la belle chambre de l'hôtel, la chambre du premier, qui donnait sur le boulevard. » l.17. Cet attardement sur l’espace plutôt que sur la temporalité, traduit son importance dans l’intrigue futur et permet par conséquent de séduire le lecteur par un environnement détaillé qui lui sera donc familier.

Ensuite, l’auteur renseigne sur les personnages. Nous constatons que le narrateur intègre dans un premier temps les parents, desquels il ne dresse pas de portrait physique mais s’attache à une caractéristique : « raidie, les reins brisés, elle éclata en sanglots » l.1 ; cette énonciation est une suite d’actions qui traduisent le mal être de la femme qui progressivement passe de son corps (« les reins ») à son âme (ses pleurs expriment son désespoir intérieur). Cette constatation à pour but de faire compatir le lecteur et, par conséquent, de susciter sa curiosité. Dans un second temps, l’auteur décrit les enfants ; la présence d’un portrait physique offre un contraste avec la première description « Claude, qui avait huit ans, ses petites mains rejetées hors de la couverture respirait d’une l’haleine lente tandis qu’Etienne, âgé de quatre ans seulement, souriait, un bras passé au cou de son frère » l.20 l’atmosphère est ainsi apaisé par ce parallèle avec l’insouciance de l’enfance. De plus, dans la phrase « couchés cote à cote sur le même oreiller, les deux enfants dormaient » l.18 la solidarité des liens familiaux est évidente alors que les relations parentales semblent inexistantes ; « Lantier n’était pas rentrée »l.2, aucun sentiments n’est exprimé, Gervaise y est indifférentes.

L’incipit détermine donc le point de vue adopté par le narrateur et vise dès l’entrée du texte à séduire et intrigué l’auteur. Cependant, l’importance de cette documentation qui situe l’intrigue est concomitante d’une grande fidélité au réel.

II. Le naturalisme, héritier du réalisme

Le naturalisme est un mouvement littéraire né vers 1860, qui prolonge le réalisme et dont Emile Zola est le chef de file. L’auteur a donc pour ambition de faire du Portait de Gervaise une science capable d’illustrer la nature humaine et la société dans laquelle il vit. Pour cela il utilise différents procédés ;

Pour commencer, l’énonciation d’une suite d’actions en début de texte, démontre une routine répétitive qui semble ne laisser aucune place à la spontanéité d’un quelconque changement « La malle de Gervaise et de Lantier, grande ouverte dans un coin, montrait ses flancs vides, un vieux chapeau d’homme, enfoui sous des chemises et des chaussettes sales » l.11 cette description objective illustre le quotidien morne et sans saveur de la classe ouvrière qu’elle représente.

Par la suite, l’auteur utilise un vocabulaire technique similaire à celui employé par les familles modestes « trois chaises de paille et d'une petite table graisseuse » l.2 dans de longues phrases qui décrivent, un à un, chaque élément du décors, séparer par une ponctuation fluide et continue tel que des virgules ou des points-virgules. Cela permet au lecteur de s’identifier à des éléments du réel qui mettent en lumière le cadre de vie d’une famille pauvre.

Pour finir, les nombreux adjectifs péjoratifs tel que « un châle troué » l.13 « Entre deux flambeaux de zinc dépareillés » l.14 ou encore « un pot à eau ébréché » l.7 illustre la misère visible tandis que la désolation invisible (celle ressentit par Gervaise) est figurer plus implicitement : « pieds nus, sans songer à remettre ses savates tombées » l.24; cette phrase est en effet, une allusion à l’indifférence de la femme que le malheur préoccupe avec excès. L’auteur apporte une vision pessimiste de la destinée d’une famille, notamment d’une femme, qui semble enfermée dans le cercle vicieux d’un quotidien sans saveur, propre aux classes populaires.

Conclusion

Ainsi, Emile Zola illustre la misère d’une classe sociale à travers une scène de la vie quotidienne par le témoignage poignant qu’offre le narrateur, engagé à dévoiler, la réelle détresse d’une famille, caricaturale de tant d’autres au XIXè siècle. Le portrait, seul, de Gervaise est donc également celui d’une grande quantité d’hommes et de femmes marqués par leur impuissance touchante face aux inégalités. Cette démarche naturaliste, d’analyse des relations familiales dans une société conditionné par le rang social, se retrouve dans le couple entre Germanie et le jeune homme désargenté, Jupillon, sous la plume de Jules et Edmond de Goncourt dans Germinie Lacerteux.