Balzac, Le Colonel Chabert: Le cabinet du maître Derville

Commentaire composé en trois parties.

Dernière mise à jour : 24/04/2022 • Proposé par: gcs (élève)

Texte étudié

L’étude était une grande pièce ornée du poêle classique qui garnit tous les antres de la chicane. Les tuyaux traversaient diagonalement la chambre et rejoignaient une cheminée condamnée sur le marbre de laquelle se voyaient divers morceaux de pain, des triangles de fromage de Brie, des côtelettes de porc frais, des verres, des bouteilles, et la tasse de chocolat du maître clerc. L’odeur de ces comestibles s’amalgamait si bien avec la puanteur du poêle chauffé sans mesure, avec le parfum particulier aux bureaux et aux paperasses, que la puanteur d’un renard n’y aurait pas été sensible. Le plancher était déjà couvert de fange et de neige apportée par les clercs. Près de la fenêtre se trouvait le secrétaire à cylindre du principal, et auquel était adossée la petite table destinée au second clerc. Le second faisait en ce moment le Palais. Il pouvait être de huit à neuf heures du matin. L’étude avait pour tout ornement ces grandes affiches jaunes qui annoncent des saisies immobilières, des ventes, des licitations entre majeurs et mineurs, des adjudications définitives ou préparatoires, la gloire des études ! Derrière le maître clerc était un énorme casier qui garnissait le mur du haut en bas, et dont chaque compartiment était bourré de liasses d’où pendaient un nombre infini d’étiquettes et de bouts de fil rouge qui donnent une physionomie6 spéciale aux dossiers de procédure. Les rangs inférieurs du casier étaient pleins de cartons jaunis par l’usage, bordés de papier bleu, et sur lesquels se lisaient les noms des gros clients dont les affaires juteuses se cuisinaient en ce moment. Les sales vitres de la croisée laissaient passer peu de jour. D’ailleurs, au mois de février, il existe à Paris très peu d’études où l’on puisse écrire sans le secours d’une lampe avant dix heures, car elles sont toutes l’objet d’une négligence assez concevable : tout le monde y va, personne n’y reste, aucun intérêt personnel ne s’attache à ce qui est si banal ; ni l’avoué, ni les plaideurs, ni les clercs ne tiennent à l’élégance d’un endroit qui pour les uns est une classe, pour les autres un passage, pour le maître un laboratoire. Le mobilier crasseux se transmet d’avoué en avoué avec un scrupule si religieux que certaines études possèdent encore des boîtes à résidus, des moules à tirets , des sacs provenant des procureurs au Chlet, abréviation du mot CHATELET, juridiction, qui représentait dans l’ancien ordre de choses le tribunal de première instance actuel. Cette étude obscure, grasse de poussière, avait donc, comme toutes les autres, quelque chose de repoussant pour les plaideurs, et qui en faisait une des plus hideuses monstruosités parisiennes. Certes, si les sacristies humides où les prières se pèsent et se payent comme des épices, si les magasins des revendeuses où flottent des guenilles qui flétrissent toutes les illusions de la vie en nous montrant où aboutissent nos fêtes, si ces deux cloaques de la poésie n’existaient pas, une étude d’avoué serait de toutes les boutiques sociales la plus horrible.

Balzac, Le Colonel Chabert

En 1832 paraît Le Colonel Chabert, roman réaliste d’Honoré de Balzac. Balzac a réuni tous ses romans sous un seul titre : La Comédie humaine. L’œuvre de Balzac, telle que celles de Stendhal ou encore de Gustave Flaubert, auteurs respectifs des romans Le Rouge et le Noir (1830) et Madame Bovary (1856), appartient au mouvement réaliste. Le mouvement réaliste est un courant artistique qui débute en 1830 en réaction contre l’idéalisme et le lyrisme du romantisme et qui s’attache, comme le nom l’indique, à la description fidèle de la réalité. L’histoire de ce roman se situe après la bataille d’Eylau, lorsque le Colonel Chabert refait surface, ayant été pourtant considéré comme mort. Il cherche alors à retrouver sa femme, ses biens et sa fortune.

L'extrait qui nous est présenté se trouve dans l'incipit du roman : c´est une description détaillée du cabinet de maître Derville qui est un avoué - c’est-à-dire l’équivalent d’un notaire ou d’un avocat aujourd’hui - responsable de l’épineux dossier du Colonel Chabert. Cet extrait est par ailleurs séparé en deux parties entremêlées l’une dans l’autre. La première d’entre elles nous livre une description très citrique de l’étude de maître Derville, critique qui dans la deuxième partie de l’extrait est étendue à l’ensemble des études parisiennes.

Nous essayerons donc de répondre à la problématique suivante : de quelle manière l'auteur décrit-il le cabinet de Monsieur Derville? Quelles impressions se dégagent de cette description ? Pour ce faire, nous avons structuré notre analyse en trois parties distinctes : soit, en premier lieu, la description minutieuse et réaliste de l’étude. Ensuite, l’analyse de cette critique que fait l’auteur et enfin, en dernière partie, la généralisation de cette critique à l’ensemble de la corporation des notaires parisiens.

I. Une description minutieuse et réaliste

La première partie consiste en une description minutieuse de l’étude. Balzac ici montre qu’il a un souci très poussé du détail en s’attardant longuement sur différents aspects.

a) Le sens du détail

En effet, l’auteur énumère de façon détaillée, tout d’abord un grand nombre d’objets et d’aliments qu’il aperçoit : "divers morceaux de pain, des triangles de fromage de Brie, des côtelettes de porc frais, des verres, des bouteilles et tasse de chocolat du maître clerc" ; "des boîtes à résidus des moulets a tirets, des sacs". Ensuite, le narrateur nous indique plusieurs détails concernant la décoration de l’étude : "ces grandes affiches jaunes qui annoncent des saisies immobilières, des ventes, des licitations entre majeurs et mineurs, des adjudications définitives ou préparatoires". En outre, Balzac nous permet également d'imaginer l’état de l’étude, en utilisant quelques compléments circonstanciels de lieu : "Près de la fenêtre" ;"Derrière le maître Clerc". La description suit ici un ordre logique: on place les éléments les uns par rapport aux autres pour avoir une idée de leur disposition. L'auteur nous montre aussi le fait qu'il s'intéresse au moindre détail, en décrivant plusieurs parties de l'étude, d’entre elles l’ameublement et la plomberie : "Les tuyaux", "une cheminée", "Le plancher", "le secrétaire", "la petite table","un énorme casier", "Les rangs inférieurs du casier", "Les sales vitres".

b) Un lieu secondaire

Ensuite Balzac se moque de ce que contient l’étude. Ici, ce qui compte, c’est l’affichage. Il utilise l’ironie à la fin de l’énumération pour le faire, avec "la gloire des études". Le mot gloire est inadapté ici, les avoués étant fiers de peu de choses, et ce n'est pas quelques affiches qui leur suffiraient. À cela s’ajoute notamment le fait, très important, que Balzac a souvent recours au jargon juridique , avec des expressions utilisées par les clercs et les avoués, telles que : "faisait en ce moment le Palais", soit le Palais de Justice ou le tribunal. Ou encore l’expression "Chlet" qui est une métonymie, du mot "CHATELET", il est important de remarquer que le mot est écrit en majuscule afin de lui donner une certaine importance, alors que ce terme désigne tout simplement le tribunal de première instance. L’utilisation de ce vocabulaire très spécifique est l’une des caractéristiques du roman réaliste.

II. Une étude repoussante

La deuxième partie nous révèle la description d’une étude sale, dégoûtante et mal entretenue.

a) Un lieu mystérieux et sale

Pour mettre en évidence cela Balzac utilise le champ lexical de l’usure, de la saleté et de l’odeur : "puanteur", "fange", "jaunis par l’usage", "sales", "négligence", "crasseux", "grasse de poussière", "repoussant", "hideuses monstruosité", "guenilles", "cloaques". Ici l’auteur fait l’utilisation d’une hyperbole "hideuses monstruosité" pour vraiment insister dans l’insalubrité de l’endroit qu’il décrit. L’auteur nous fait également remarquer que cette étude manque de lumière et de clarté, c’est par conséquent un lieu mystérieux, obscur en quelque sorte. Ce côté sombre peut être renforcé par l’utilisation du champ lexical de l’obscurité "peu de jour", "où l’on puisse écrire sans le secours d’une lampe", "cette étude obscure". Sans compter que le narrateur fait également des comparaisons qui renforcent l’idée du manque de propreté de l’étude, en décrivant notamment l’odeur qui se dégageait de la pièce :"L’odeur de ces comestibles s’amalgamait si bien avec la puanteur du poêle chauffé sans mesure avec le parfum particulier aux bureaux et aux paperasses, que la puanteur d’un renard n’y aurait pas été sensible". Cela sent si mauvais que l’odeur couvrirait celle d’un animal sauvage comme le renard.

b) Un lieu dévalorisé

En outre Balzac compare l’étude avec des lieux banals comme une sacristie et une boutique de vieux vêtements : "si les sacristies humides où les prières se pèsent et se payent comme des épices, si les magasins des revendeuses où flottent des guenilles qui flétrissent toutes les illusions de la vie en nous montrant où aboutissent nos fêtes si ces deux cloaques de la poésie n’existaient pas, une étude d’avoué serait de toutes les boutiques sociales a plus horrible". L’auteur critique également le décor, cette idée pouvant être perçue à travers l’utilisation de l’anaphore (utilisation à plusieurs reprises de la conjonction de subordination "si")', l’auteur insiste dans cette idée. De plus, nous pouvons aussi souligner qu’à travers l’utilisation de l’hyperbole :"serait de toutes les boutiques sociales la plus horrible". Balzac insiste sur l'aspect horrible de cette pièce, et la rabaisse même. Nous pouvons également relever que l’étude est à peine meilleure que les endroits peu soignés que présente Balzac. À partir de cette longue description, l’auteur permet au lecteur de se faire une idée précise d’une étude peu accueillante et désagréable dans laquelle on n’a pas envie de s’attarder.

III. Une étude comme les autres

La troisième partie de ce commentaire traite ici d’une généralisation de la critique faite au début à une seule étude, celle de maître Derville a plusieurs études en général.

En premier, nous devons remarquer que le texte est constitué de deux parties, une sur l’étude du maître Derville et l’autre sur les études en général. Nous pouvons noter ça à partir du passage du singulier au pluriel "L’étude", "d’études". Ensuite l’auteur utilise le présent de vérité pour évoquer la vie dans les études en général :"existe", "sont", "va", "reste", "s’attache", "et", "tiennent", "est", "se transmet", "possèdent". De plus l’auteur met en évidence cette ouverture de critique envers plusieurs études "comme toutes les autres". Par la conjonction de subordination "comme", le narrateur compare l’étude principale à d’autres. Nous pouvons également relever un complément circonstanciel de lieu "Paris", qui montre que l’auteur englobe plusieurs études dans Paris.

À partir de cette ouverture, le narrateur globalise la critique, et finit par dire que toutes les études à Paris ont des ressemblances et ont une condition similaire.

Conclusion

Pour conclure, l’auteur débute par nous décrire un cabinet de façon minutieuse et détaillée, en prenant son temps pour le faire, en s’attardant sur chaque détail. Ensuite à partir de cette description, le narrateur nous révèle la situation de l’étude. L’impression qui en ressort est d’une étude sale, usée, dégradée et mal organisée. Enfin le narrateur généralise la critique afin de comparer l’étude de maître Derville aux études parisiennes.