Puis-je prendre conscience des illusions que je me fais sur moi ?

Dissertation entièrement rédigée, en trois parties.

Dernière mise à jour : 10/04/2022 • Proposé par: amira.nabil (élève)

Descartes a défini la pensée en termes de conscience. Au lieu de la rétrécir, il a considérablement élargi le domaine de la pensée, qui ne se limite plus à la compréhension, mais comprend toutes les facultés de l'âme telles que la volonté, l'imagination et le sentiment. On peut définir la conscience, d’un réflexe intuitif ou direct, de quelque chose d'objectif et d’absolu que chacun a de son existence et de l'existence du monde extérieur. De toutes les caractéristiques qui définissent une personne, la conscience ainsi semble être la plus importante, à travers laquelle elle saisit son existence, l'existence du monde qui l'entoure. L'illusion est elle subjective et relative. C’est une interprétation erronée de ce que nous voyons ou entendons sur nous-mêmes ou alors sur autrui. Une illusion est une fausse perception qui peut être causée par des représentations trompeuses selon Platon, ou par nos erreurs sensorielles d’après Descartes, soit une méconnaissance de nos perceptions sensorielles. Pour Freud encore, avoir des hallucinations, c'est croire en la réalité de nos désirs.

Nous sommes donc pleinement conscients quand nous n’avons pas d’illusion, puisque nous sommes conscients de ce que nous sommes, de qui nous sommes. Nous connaissons ce que l’illusion signifie. Si dès lors nous avons une illusion c’est qu’il y a un changement, au niveau de notre conscience et que nous ne sommes plus vraiment conscients. Ainsi nous nous demandons ce qui nous empêche de prendre conscience de nos illusions ? Dans un premier temps nous allons nous intéresser à la liaison de la conscience et l’illusion en nous-même, ensuite nous allons parler de comment autrui peut nous aider à nous départir de nos propres illusions, pour au final clore notre réflexion sur la responsabilité de la société dans notre émancipation vis-à-vis de nos illusions.

I. Face à nos propres illusions, il est difficile d'en prendre conscience

Un être conscient de soi est celui qui sait qu'il existe, celui qui se perçoit par l'intuition qui lui permet de construire sa représentation intellectuelle, c'est-à-dire de penser.

Cette conscience de soi cherche à se construire comme connaissance de soi, c'est-à-dire dans une compréhension plus profonde du sujet, de soi, de sa véritable identité. Une illusion est une fausse croyance, généralement spontanée. C'est différent d'un bogue en ce sens qu'il ne se dissipe pas une fois qu'il est condamné (par exemple, je continue à voir le soleil en petite taille même si je sais qu'il est énorme). Avoir une illusion, c'est être mal imaginé, avoir une mauvaise image de soi-même. Descartes montre comment on peut se présenter métaphysiquement comme un être pensant. Il énonce que, avant d'y penser, on peut croire que l'existence de notre corps est plus certaine que l'existence de mon âme. Nous avons conscience de nous-mêmes en tant que corps, mais nous ne savons pas si nous avons réellement conscience du corps qui existe. Nous sommes ainsi limités par nos sens qui perçoivent notre propre existence matérielle, mais ne permettent pas une réelle conscience de cette matérialité.

Kant décrit lui-même les difficultés se saisir l'essence des choses dans le Prolégomènes: « Si nous considérons les objets des sens, comme de juste, comme de simples phénomènes, nous admettons cependant en même temps par là qu’ils ont pour fondement une chose en soi, bien que nous ne connaissions pas comment elle est constituée en elle-même, mais seulement son phénomène, c’est-à-dire la façon dont nos sens sont affectés par ce quelque chose d’inconnu ». Notre image de nous-même apparaît ainsi naturellement biaisée, parce qu'à notre simple niveau individuel il nous manque la compréhension de l'essence des choses, pour avoir une connaissance de soi pleine et entière.

Ainsi comment peut-on différencier une illusion d'une réalité quand il s’agit de nous-mêmes ? Les avis extérieurs doivent nous permettre de voir nos illusions, de prendre conscience de ces dernières.

II. Autrui peut nous permettre de prendre conscience de nos illusions

Autrui nous fait ainsi prendre du recul sur nous-mêmes.

L’homme possède une conscience réflexive. Il est automatiquement et naturellement amené à s'interroger sur son physique, sa personnalité, ses réactions, sa mentalité. Cette interrogation peut se suivre d’une prise en compte des avis extérieurs. En effet, on est dans un monde où l’avis d’autrui compte beaucoup. L’avis d’autrui peut créer des complexes inférieurs et extérieurs, peut causer des remises en question. Un manque de confiance peut amener des illusions chez une personne puisque cette dernière n’est même pas consciente de qui elle est vraiment, et l’avis d’une personne extérieure arrive à lui faire croire des choses irréelles. On pourrait dès lors croire qu'autrui nous créé des illusions.

Mais paradoxalement, sans autrui, comment voir que je ne suis pas dans l'illusion ? Sans autrui on ne peut se construire en tant que connaissance, en étant capable de repérer les erreurs et illusions possibles sur soi-même. Autrui, en étant un observateur extérieur, peut ainsi distinguer nos propres illusions et le mettre en évidence. De même, comment sans autrui on peut prendre même conscience de son existence ? En effet, à première vue, il peut sembler difficile de séparer la conscience de soi de la connaissance de soi, car pour se connaître, il faut connaître son existence. Peut-être que ma vision de moi-même n'est qu'une réalité illusoire qui masque la réalité de qui je suis. Alors, comme les prisonniers de la caverne de Platon, notre conscience ne peut que nous montrer son ombre, qui cache la vraie réalité de notre existence.

Mais si autrui nous aide à prendre conscience de nos illusions, par quel moyens pouvons-nous nous en prémunir ?

III. La société doit nous permettre de nous émanciper de nos illusions

Si nous supposons que la société n'est pas seulement un groupe d'individus, et que nous reconnaissons qu'il existe une conscience collective, alors nous pouvons la tenir pour responsable de l'illusion de notre conscience individuelle.

Pour que le concept de société soit possible, les individus qui le composent doivent obéir à des règles et à des obligations. Ils sont donc dotés de réalités, de droits et d'obligations. C'est l'origine de toutes les idées reçues, préjugés. L'individu est indissociable des représentations sociales car elles lui sont inculquées par l'éducation dès le plus jeune âge. À chaque instant, la vie sociale le conduit à ces représentations nécessaires à l'existence sociale. Or, si l'on donne une conscience à la société, il faut donc la traiter comme un sujet. La société est dès lors responsable de nos illusions dues à notre éducation, à nos interactions en société. Elle est responsable des illusions que l’on peut se faire sur soi-même, par les jugements, l’opinion de la société qui peut faire se développer des complexes ou autres hallucinations, qui poussent une personne à se créer des illusions par sa conscience.

De la même manière qu'autrui doit nous permettre de prendre conscience de nos illusions, la société à un rôle à jouer dans notre lucidité. L'éducation est ainsi une manière de se protéger des illusions, parce qu'elle permet de se construire un esprit critique, parce qu'elle enseigne sur les illusions du passé ou encore des illusions données par une mauvaise perception. Kant développe ainsi dans son œuvre Anthropologie du point de vue pragmatique l'idée que l'homme doit être éduqué pour accéder à l'humanité. La conscience de soi qui existe "en puissance" dans tout homme a besoin d'être "actualisée" par l'éducation: «l’enfant ne commence qu’assez tard à dire Je et il semble pour lui qu’une lumière vienne de se lever quand il commence à dire Je ; à partir de ce jour, il ne revient jamais à l’autre manière de parler. Auparavant il ne faisait que se sentir ; maintenant il se pense. ». Mais la société en tant que communauté doit permettre de nous prémunir également des illusions par le débat d'idées, par la confrontation des individus, qui par leurs échanges évitent les pensées qui ne mènent nul part, de mettre en faux par la démonstration les idées fausses et de nous éclairer chacun de nous sur nos croyances et illusions, que nous partageons sans le savoir.

Conclusion

Nous pouvons conclure que nous ne sommes pas nécessairement celui que nous pensons être. Mais le reconnaître conduit à remplacer une conscience dans l'illusion par une conscience lucide et capable de se libérer des illusions. Un travail sur soi-même peut ainsi empêcher l’illusion de prendre place dans notre vie, mais le propre de l'illusion est de croire être dans le vrai, alors que nous le sommes plus. C'est dès lors le regard d'autrui qui doit nous permettre de nous libérer de nos illusions, parce qu'autrui nous permet de prendre de la distance avec nous-mêmes. Plus largement, la société peut nous apprendre et nous prémunir de nos propres illusions, par les multiples voix qui la composent et qui nous permettent de prendre conscience de notre situation, des faiblesses de notre conscience et de l'opportunité que représentent les interactions sociales.