L'opinion peut-elle nous apporter un savoir ?

Note obtenue de 14/20 à ce devoir fait à la maison.

Dernière mise à jour : 26/02/2022 • Proposé par: lisa.fernandes (élève)

Nous sommes sans cesse en présence d'opinions, dans les échanges avec autrui, dans les médias...Sur tous les sujets possibles, elles sont des conceptions qui se confrontent, débattent, s’échangent. Il semble d’emblée évident que l’opinion ne peut pas nous donner un savoir : qu'elle soit collective ou individuelle, elle n'est jamais stable, incontestablement fondée ; on constate en effet aisément que sur un même sujet, elle change, prend des visages contradictoires, selon les situations, les individus,les époques. Cela suggère qu'elle relève d'une pensée spontanée, immédiate, schématique, qui subit passivement les influences de la société, de la mode ou des affects de chacun ; à la différence d'un savoir, qui est fondé, qui saisit objectivement le réel tel qu'il est, indépendamment des contextes où ce dernier varie, l'opinion s'en tient à des apparences relatives, superficielles ; en cela elle ne peut pas nous aider à surmonter l’ignorance, à nous éduquer. Pour disposer d’un savoir, il est indispensable de se tourner vers la raison, de faire table rase des opinions.

Mais cette critique de l' opinion est-elle indiscutable ? On observe que les opinions sont sollicitées, dans des sondages notamment : l’opinion montrerait le point de vue de chacun, dans ses réactions, ses positions personnelles, ses penchants, devant une situation donnée. Elle révélerait ce que l’homme, dans sa vie concrète, pris dans le monde empirique, éprouve, dans telle ou telle circonstance ; elle nous livrerait ainsi la diversité des aspects que la réalité adopte au travers de l’affectivité et du vécu de chacun ou d’une communauté. En cela l’opinion nous donnerait un savoir que la raison, qui ne tient pas compte de l’affectivité, de la vie concrète de l’homme, qui ne conçoit le réel qu’abstraitement, dans ses caractéristiques universelles, nous laisse ignorer.

Il y a donc problème : comment aborder l'opinion, que faire de nos opinions ? Quelle peut être la valeur d’une pensée irréfléchie, passive, superficielle ? Faut-il rompre radicalement avec elle, lui substituer l’effort de penser par soi, la rationalité ? Ou bien pouvons-nous tenir compte de l'opinion, qui nous donnerait un enseignement possible, ou qui exprimerait un mode de pensée significatif ? Notre progrès dans la compréhension du réel pourrait-il alors se jouer sans passer par la raison ? Nous verrons tout d’abord qu’il faut bannir l’opinion, lui retirer tout crédit si l’on veut disposer d’un savoir. Mais la réflexion devra en une deuxième partie reconnaître que la raison seule ne peut pas nous enseigner ce que l’homme concret est, dans la diversité des situations qu’il rencontre et que l’opinion nous éclaire immédiatement sur ce que nous vivons dans la pratique quotidienne. Finalement, une dernière partie devra préciser dans quelles limites l’opinion peut être un enseignement, en marge de la pensée rationnelle : le savoir qu’elle enseigne est-il toujours acceptable, alors qu’elle comporte parfois des préjugés et des dogmes dangereux ?

I. L’opinion ne peut nous apporter une connaissance solide

L’opinion ne peut nous apporter quelque savoir que ce soit; il faut rompre radicalement avec elle pour parvenir à une connaissance fondée.

L’opinion est une « pensée » aveugle, qui reproduit des idées toutes faites, les reçoit sans examen critique. Elle traduit l’influence d’un milieu, d’une société, ou de nos propres désirs. On le vérifie en observant qu’elle est incapable de rendre raison d’elle-même : lorsqu’on la questionne, elle ne peut pas produire ce qui la justifie, elle doit reconnaître qu’elle s’en tient à ce qui lui paraît vrai, dans une attitude superficielle guidée par les seuls désirs ou intérêts particuliers. En questionnant ses interlocuteurs, Socrate révèle toute l’insuffisante de leurs opinions : elles s’appuient sur ce qui est communément admis, sur ce qui plaît, sur des interprétations partiales et hâtives d’exemples : elles ne relèvent pas d’un effort de réflexion qui dépasserait l’expérience immédiate, les croyances naïves, pour cerner ce qui doit être, c’est-à-dire le sens profond et universel de la réalité. Et l’opinion, faute d’être fondée, est instable : elle se contredit, obéit aux fluctuations des désirs ou des croyances. (noter le danger de l’opinion : en se présentant comme un savoir, elle fait obstacle à la recherche du savoir...)

Rester à l’écoute de l’opinion, de ses débats ou échanges, c’est se condamner à rester dans l’ignorance. Cela implique que pour atteindre un savoir, il faut rompre avec l’opinion, en faire table rase. Le savoir suppose l’exercice de la raison, qui argumente, qui fonde les idées, avec objectivité (produire la définition de la raison, pour montrer qu’elle est la condition du savoir). Pour l’élaboration de la connaissance scientifique, l’opinion est « le premier obstacle à surmonter », comme le soulignera Bachelard dans La formation de l’esprit scientifique (XXe siècle)  : l’opinion, dit il « ne pense pas », ce n’est pas une pensée, même rudimentaire. En effet, elle ne fait qu’exprimer des besoins, des intérêts, elle ne regarde la réalité qu’en tant que celle-ci lui est utile, dans une attitude pragmatique. En cela elle ne cherche aucunement à la connaître, comprendre. Avec cette critique, on comprend que l’opinion ne peut pas former un premier degré du savoir, encore confus ou approximatif, que la connaissance devrait clarifier, approfondir. Entre l’opinion et le savoir, que la raison construira, il y a rupture totale : le savoir n’est pas l’opinion enrichie ou approfondie, portée à plus de rigueur ou de précision ; il en est la réfutation.

Transition:, Mais peut-on vraiment disqualifier l’opinion ? Dans leurs contradictions mêmes, les opinions ne sont-elles pas ce qui nous trouble, nous pousse à penser, à mieux comprendre la réalité ? La démocratie athénienne, au VIIe siècle avant notre ère, ne favorise-t-elle pas avec la libre confrontation des opinions, l’effort d’argumentation c’est-à-dire l’« invention » de la raison ? Et pourquoi existerait-il des sondages d’opinion, des débats d’opinion, si elles n’avaient pas un sens et n’apprenaient rien ? Il faut donc envisager que l’opinion puisse nous apprendre quelque chose.

II. L'opinion peut toutefois nous renseigner sur nous-mêmes

L’opinion peut nous apporter un savoir : sans doute se définit-elle comme idée ou conception irréfléchie, superficielle ou passive ; mais traduisant les intérêts concrets des hommes, leurs croyances, ou leur évaluation d’une situation, elle nous donnerait à voir comment l’homme ordinaire, pris dans sa vie immédiate, se situe ; elle nous enseigne comment il réagit affectivement, comment il interprète telle ou telle situation ; elle nous en donnerait un portrait plus complet, montrant le rôle des influences extérieures, le mécanisme de la subjectivité, dans l'appréciation d'une situation vécue. Négliger l'opinion, ce serait alors se priver de comprendre l'homme tel qu'il existe, dans un contexte donné. Elle nous enseigne quelles peuvent être les interprétations, les perspectives diverses qu’un monde changeant peut inspirer. Chacun peut alors y trouver des possibilités pour enrichir ou cerner sa propre opinion.

La valeur de l’opinion s’expliquerait ici par le constat que la raison, les connaissances qu’elle élabore, ne nous éclairent pas lorsqu’il s’agit de vivre concrètement, dans une réalité qui est faite de cas particuliers, de situations sans cesse diverses : la raison porte sur ce qui est universel, immuable ; elle définit par exemple ce qu’est le bien, dans son essence, abstraction faite des cas particuliers. Mais nous vivons au cœur de ces cas particuliers, qui mêlent de multiples facteurs, et nous ne pouvons pas trouver dans les connaissances rationnelles de quoi nous guider pour identifier ce qui est bien, « ici et maintenant », dans l’urgence de la situation. Nous ne pouvons donc compter que sur l’opinion, relative, circonstanciée, immédiatement disponible.

Plus encore, la connaissance rationnelle est-elle toujours possible ? Elle exige de mettre en doute ce que l’on croit, de cerner laborieusement des concepts, de mener méthodiquement des démonstrations. Or, dans la relation à autrui, dans la vie affective, par exemple, la raison ne peut pas s’exercer : on ne démontre pas pourquoi on aime, ou pourquoi on déteste ; on ne connaît pas de façon rationnelle autrui dont la vie intérieure n’est pas un objet que l’on pourrait analyser, conceptualiser...Là où la raison ne peut donc pas se prononcer, c’est dans l’opinion, une pensée immédiate, in-démontrée, que nous puisons les moyens de nous comporter.

Argument possible: une société est homogène par les opinions communes que les hommes partagent et adoptent. L’opinion alors nous donne un savoir : celui de la sociabilité.

III. Surtout, l'opinion nous permet une première vérité, bien que relative

Il apparaît donc dans un premier bilan que l'on ne peut pas retirer à l'opinion toute valeur, et la mépriser : en marge de la raison, là où celle-ci ne peut plus s'exercer, l'opinion nous guide et nous éclaire.

Elle nous donne un savoir, pour vivre et se conduire dans la vie quotidienne. Sans elle, et faute de parvenir à un savoir rationnel, nous serions voués à l’ignorance, à l’irrésolution qu’elle entraîne. Cependant, peut-on réhabiliter l'opinion sans restriction ? On sait qu'elle peut être dangereuse : lorsqu'elle reproduit aveuglément des préjugés, qu'elle traduit des intérêts particuliers, qu’elle se donne dogmatiquement pour vérité ou encore lorsqu'elle paralyse la pensée en prétendant être un savoir achevé. Il convient donc de n'accorder à l'opinion qu'une valeur relative. Elle nous apprend « quelque chose », mais ce « quelque chose » n’est pas vérité universelle et infaillible.

Il faut donc avoir conscience qu’elle n'est acceptable que sous certaines conditions : si elle peut être acceptée, écoutée, c'est dans la seule mesure où l'on a d'abord compris que la raison ne peut pas toujours s'exercer et nous fournir des réponses, et qu'elle doit être secondée par l'opinion. Recourir à l'opinion sans cette condition préalable, y recourir spontanément, pour éviter l'effort de penser, par une attitude paresseuse, cela reste une attitude totalement critiquable. C'est donc sous le contrôle de la raison, ou en connaissance de cause, que l'on peut se tourner vers l'opinion : non pas naïvement ou avec précipitation, mais au terme d'une analyse qui aura montré que l'on ne peut pas espérer mieux que l'opinion. Alors, cette dernière sera adoptée avec prudence, distance, sans le risque d'usurper le titre de vérité. L’effort de penser par soi (par la raison) reste finalement une exigence irréductible, jusque dans l’adoption de l’opinion, qui sera réfléchie et admise avec la conscience de n’avoir affaire qu’à une opinion.

Conclusion

La question se posait donc de savoir comment considérer l’opinion, quelle valeur lui attribuer. Il est à présent possible de proposer une réponse : l’opinion, superficielle, changeante, ne peut pas rivaliser avec le savoir, au sens où ce dernier, rationnellement construit, contient l’exigence de l’argumentation objective et vraie. Mais l’opinion peut cependant fournir un savoir : elle est l’expression de notre relation concrète, vécue au réel, que la raison ne peut pas cerner.

Parce que la rationalité a des limites, que tout n’est pas démontrable, ou que l’on ne peut pas tout connaître, nous disposons dans l’opinion d’un secours qui nous évite une ignorance invivable. Finalement, la réflexion a du cependant préciser que l’opinion ne peut être justement qu’un secours, conscient de ses limites : s’y abandonner en bloc, ne pas l’identifier dans ses incertitudes, ses dangers, s’en servir pour se dispenser de l’effort de penser par soi et la donner pour un savoir infaillible, c’est ce qui nous condamnerait assurément à un dogmatisme dangereux.