Bachelard, L'esprit scientifique: La science s'oppose à l'opinion

Analyse détaillée de l'élève, suivant la progression du texte.

Dernière mise à jour : 15/09/2021 • Proposé par: Gloriia (élève)

Texte étudié

La science, dans son besoin d'achèvement comme dans son principe, s'oppose absolument à l'opinion. S'il lui arrive, sur un point particulier, de légitimer l'opinion, c'est pour d'autres raisons que celles qui fondent l'opinion ; de sorte que l'opinion a, en droit, toujours tort. L'opinion pense mal ; elle ne pense pas : elle traduit des besoins en connaissances. En désignant les objets par leur utilité, elle s'interdit de les connaître. On ne peut rien fonder sur l'opinion : il faut d'abord la détruire. Elle est le premier obstacle à surmonter. Il ne suffirait pas par exemple, de la rectifier sur des points particuliers, en maintenant, comme une sorte de morale provisoire, une connaissance vulgaire provisoire. L'esprit scientifique nous interdit d'avoir une opinion sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formuler clairement. Avant tout, il faut savoir poser des problèmes. Et quoi qu'on dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d'eux-mêmes. C'est précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique. Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S'il n'y a pas eu de question, il ne peut y avoir connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n'est donné. Tout est construit.

Bachelard, L'esprit scientifique

D’après Platon, l'opinion est "quelque chose d'intermédiaire entre l'ignorance et le savoir". L'opinion est en effet une idée partielle autrement dit incomplète. Il s'agit de ces points ci que Bachelard traite dans La formation de l'esprit scientifique. Selon lui on ne peut en aucun cas associer l'opinion à la science. On peut alors se demander : en quoi l’opinion peut-elle constituer un obstacle à la formation de l’esprit scientifique ?

Bachelard énonce d'emblée sa thèse « La science, dans son besoin d'achèvement comme dans son principe, s'oppose absolument à l'opinion. » Autrement dit, la science s'oppose à l'opinion aussi bien dans ses buts que dans ses fondements : au regard de la science, l'opinion a « en droit, toujours tort », s'l peut lui arriver d'être vraie dans les faits. Cependant, quand une opinion est vraie, ce n'est jamais que par hasard puisque « l'opinion traduit des besoins en connaissance ». L'opinion ne vise pas le vrai, mais ce qu'il est utile de croire; De plus « elle ne pense pas », c'est-à-dire qu'elle ne démontre rien : elle s'affirme, elle n’a pas besoin d’être prouver et ne réclame aucune justification. C’est pourquoi il ne suffit pas de réformer l'opinion, lorsqu’elle semblerait être fausse : il faut « la détruire ». Étant donné qu’elle n’est pas une étape préparatoire à la connaissance, elle est un « obstacle » qui doit être surmonté.

Ainsi l’auteur organise son texte en deux parties. Dans un premier temps (l. 1 à 10) l'auteur écarte la possibilité de lier l'opinion à la science. Dans la deuxième partie (l. 10 à 18) Bachelard tente de nous faire comprendre qu'en science les questions posées sont plus importantes que les réponses et qu'ainsi c'est le sens du problème qui forme l'esprit critique.

I. Opinion et science s'opposent totalement

a) Bachelard commence son analyse en disant « La science dans son besoin d’achèvement comme dans son principe, s’oppose absolument à l’opinion. »

Cette phrase qui est en l’occurrence la thèse de l’auteur, montre que l’opposition entre les deux est radicale. Puisque premièrement leur but ne correspondent pas et que 2ème ment Il y a désaccord sur les principes ainsi que sur les fins : L’opinion préjuge tandis que la science ne donne pas de jugement tant qu'elle n'a pas démontré. Cependant, le meilleur moyen de ne pas poser une question, c'est encore de croire avoir déjà la réponse. En nous faisant croire que nous savons, alors que nous ne faisons qu'affirmer une conviction subjective, l'opinion empêche les interrogations véritables de se poser ; or c'est de ces interrogations que la science naît : la science a pour but de répondre par la connaissance et la démonstration à des questions qui se posent effectivement, et l'opinion les empêche de se poser. Pour l'opinion tout est déjà certain et claire, c’est pourquoi, les questions apparaissent donc comme inutile. Pour la science en revanche « rien ne va de soi », rien n'est « donné » au préalable. L'opinion croit déjà posséder la vérité ; la science s'en met en quête. Pour l'une, la vérité est déjà là, pour l'autre, elle est toujours à conquérir et à reconquérir. L'une et l'autre sont donc incompatibles.

b) L’auteur poursuit en disant : «S’il lui arrive, sur un point particulier, de légitimer l’opinion, c’est pour d’autres raisons que celles qui fondent l’opinion ; de sorte que l’opinion a, en droit, toujours tort.»

Les raisons de l’opinion ne sont pas celles de la science. Le problème vient de ce que l'opinion, individuelle et collective, ne se forgent pas par un débat rationnel, mais sur un autre plan, celui d'une perception intuitive globale de la situation. Elles peuvent aussi bien être justes, que parfaitement erronée. Elles sont fondées sur un sentiment global diffus. Ce qui signifie que si les opinions sont condamnées, ce n'est pas à cause de leurs contenus ni donc à cause de leur fausseté, mais à cause du rapport irréfléchi et passif qu'on a avec nos opinions. Ce qui est condamné et condamnable en effet, c'est qu'on affirme péremptoirement quelque chose, mais en répétant quelque chose sans savoir en quoi ni pourquoi c'est vrai.

L'opinion est donc affaire de conviction subjective, et non de savoir : ce qui distingue le savoir de l'opinion, c'est justement que le savoir démontre toujours ce qu'il avance, et qu'il n'admet rien qui n'ait été auparavant démontré. De ce point de vue, « l'opinion pense mal » : elle pense mal, parce qu'elle voudrait, dans son impatience constitutive, pouvoir affirmer la vérité d'un jugement sans passer par les étapes de sa justification ; mais alors, il faut même aller jusqu'à dire que « l'opinion ne pense pas » : elle croit penser, au moment précis où elle nous dispense de toute pensée véritable. Penser en effet, si l'on prend ce verbe en son sens plein, ce n'est pas être de tel ou tel avis, ce n'est pas croire ceci plutôt que cela : penser, c'est remettre en question tous les préjugés, tous les présupposés que nous admettons comme allant de soi ; c'est chercher la vérité, et non croire la posséder déjà ; c'est vouloir produire la démonstration de ce qu'on avance, et refuser de s'avancer plus loin que ce qu'on démontre. Si donc l'opinion ne pense pas, c'est parce qu'elle croit être vraie, qu'elle se soumet à l'argument de l'évidence : pour la pensée, il n'y a rien d'évident, tout fait problème, tout pose question.

Mais pourquoi l'opinion renonce-t-elle à penser ? Parce que ce n'est pas là son affaire : l'opinion, dit Bachelard, « traduit des besoins en connaissance ». L'opinion ne recherche en fait pas la vérité : elle ne fait que confirmer ce que j'ai besoin de croire, par exemple parce que cela me rassure ; elle me présente le spectacle du monde comme quelque chose de déjà compris, qui ne fait plus question, et dont j'ai déjà saisi l'essentiel ; elle écarte la possibilité d'une confrontation avec la vérité, confrontation qui peut être souverainement déplaisante, elle écarte la possibilité de toute question qui pourrait m'amener à me remettre en question.

«En désignant les objets par leur utilité, elle s’interdit de les connaître.»

Pour Bachelard, opiner se ramène à une sorte d’échange superficiel, réduit au oui/non, car désigner ce n’est ni montrer, faire voir, encore moins démontrer, faire savoir. C’est rester à l’extérieur et ne saisir que l’utile immédiat. Ils ne sont que désignés comme utiles pour l’instant, ou inutiles. Et c’est cela qui est mis à la place de la connaissance, c’est cela qui remplace la recherche et la valeur. En effet, on ne s’interroge pas sur ce qui est véritablement utile, car pour cela il faudrait pousser l’examen. L’utile de maintenant n’est peut-être l’utile de plus tard. En posant ainsi l’utilité immédiate et irréfléchie de ce qui nous sert pour le moment, il est clair qu’on s’interdit soi-même de le connaître plus avant. Aussi l’obstacle n’est-il pas extérieur à l’esprit. Il correspond, en nous, à une nature toujours pressée d’en finir, pour passer à autre chose et qui par prévention et précipitation nous barre l’accès des objets. Science n’est pas divertissement. C’est pourquoi Bachelard continue son analyse en ces termes :

c) «On ne peut rien fonder sur l’opinion : il faut d’abord la détruire. Elle est le premier obstacle à surmonter.»

Il ne suffit pas d’avoir une opinion sur un sujet quelconque pour prétendre détenir la vérité. L’opinion est une construction subjective (avoir sa propre opinion) et non un savoir. L’opinion explique les phénomènes par leur utilité, elle s’intéresse à ce qui est étonnant et pittoresque dans la science. Elle n’a pas de recours à des hypothèses et des vérifications. C’est pourquoi elle constitue un obstacle à la connaissance scientifique.

Ce faisant, Bachelard nous rend enclin à « détruire » nos opinions, chasser de notre esprit des concepts de la vie commune, des projections psychologiques spontanées, inconscientes du fait de nos habitudes, des "pseudos évidences" qui nous apparaissent comme étant claires et familières. Ainsi pour progresser scientifiquement, il faudrait tout remettre en question car on ne peut "rien fonder sur l'opinion". Si je me mets à penser des moyens mieux adaptés aux fins, si je recherche ce qui peut être le plus utile, je détruis déjà l’opinion. Le premier obstacle est donc celui de la tendance immédiate, la réaction première, et il doit être surmonté. Non pas laissé de côté, mais affronté et dépassé.

II. C'est le sens du problème qui forme l'esprit scientifique

a) «Il ne suffirait pas, par exemple, de la rectifier sur des points particuliers, en maintenant comme une sorte de morale provisoire, une connaissance vulgaire provisoire.»

On voit ainsi les deux sens qu’il faut donner à l’ironie de Bachelard :
• l’opinion par position est impossible à rectifier. Rectifiée, elle disparaît,
• mais il y a plus : en le remplaçant par l’utile immédiat elle ne fait pas que le fausser, elle en interdit l’essor et la stature, de la même façon qu’Ouranos interdisait à ses fils de s’élever au jour, de la même façon que Kronos pour régner seul avalait tous ses fils. L’opinion, comme les dieux archaïques, est jalouse. Il faut lui vouer une sorte de culte de moralité, ne serait-ce qu’en disant qu’elle se corrige peu à peu et s’instruit. Mais une opinion savante, ce serait un cercle carré. En réalité, c’est à chacun de surmonter l’obstacle pour lui-même et c’est pourquoi il est premier. Une connaissance vulgaire est seulement une méconnaissance, au mieux, et au pire un refus de penser.

«L’esprit scientifique nous interdit d’avoir une opinion (…) sur des questions que nous ne savons pas formuler clairement.»

Ou bien l’on opine, ou bien l’on raisonne. Il est clair que l’on ne peut pas faire les deux à la fois. L’interdiction est pure, l’interdiction est simple : elle est un principe. Mais Bachelard précise encore sa pensée : il ajoute que l’enjeu est celui de la formulation claire.
On en arrive ainsi à la démarcation de l’esprit scientifique.

b) « Avant tout, il faut savoir poser des problèmes. Et (…) les problèmes ne se posent pas d’eux-mêmes. C’est (…) ce sens du problème qui donne la marque (…) scientifique. »

Pour l'opinion donc, tout est déjà compris, rien ne fait difficulté ; la science quant à elle naît lorsque nous apprenons à ne pas nous contenter de nos certitudes immédiates, lorsque nous comprenons que ce qui nous semble évident ne l'est pas forcément en soi, et qu'il faut au contraire chercher à démontrer tout ce qu'on avance, et surtout ce qui a l'apparence de ne pas requérir quelque démonstration que ce soit. Ainsi donc, ce qui « donne la marque du véritable esprit scientifique », c'est ce que Bachelard nomme le « sens du problème ». Si les problèmes se posaient d'eux-mêmes, il n'y aurait pas de difficulté ; mais d'abord et le plus souvent justement, ils ne se posent pas ; aussi la « marque » (entendons par là le signe distinctif) d'un esprit scientifique, c'est précisément cette capacité à remonter en deçà des évidences, montrer qu'il n'y a rien de plus problématique, en fait, que ce qui a l'air d'aller de soi.

c) « Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S’il n’y a pas eu de question, il ne peut pas y avoir connaissance scientifique. »

Pour la science par conséquent, il n'y a rien que l'on ne doive admettre, avant de l'avoir prouvé : les certitudes subjectives qui sont les nôtres, et qui traduisent des « besoins en connaissance », ne sauraient donc suffire et devront être dépassées. C'est justement parce que l'opinion croit que la vérité lui est déjà donnée, qu'elle la possède déjà, que rien pour elle ne fait problème ; pour la science en revanche, « rien ne va de soi. Rien n'est donné. Tout est construit ». Ce que signifie Bachelard ici, c'est que les problèmes que la science pose… ne se posent jamais immédiatement : tout naturellement, nous ne voyons pas où est le problème. Alors que l'opinion se donne immédiatement pour vraie, la science commence par une remise en doute de tout préjugé, et par la volonté de ne rien accepter comme « donné » : tout doit y être construit, c'est-à-dire démontré, articulé en raison, déduit d'un résultat précédemment établi. L’opinion n’accepte aucune remise en cause car elle croit posséder la vérité ce qui met fin à toute tentative de questionnement. Elle s’apparente aux préjugés qui au cours de l’histoire des sciences à entravée la recherche de la vérité. C’est pourquoi Bachelard est sévère face à l’opinion. Elle forge des stéréotypes, alors que la science revendique le droit de douter car dans la nature : « rien ne va de soi ».

Conclusion

On peut donc conclure que l'opinion est par essence dangereuse et plus encore lorsqu'elle croit savoir. Bachelard dénonce un défaut qu'un scientifique doit éliminer: l'opinion. Il définit ensuite la science une entreprise sérieuse. La science n'est pas une accumulation de connaissances, c'est une remise en question permanente de ce que l'on sait.