"Animal politique" selon Aristote, l'homme se distingue avant tout des autres êtres vivants par la faculté qui lui est propre : la pensée. Or penser fait de nous des êtres doués, entre autres, d'entendement et de raison. Et de raison parce que, pour peu que l'on prête attention aux deux termes, on est amené à les distinguer. L'entendement est la faculté intellectuelle de juger le vrai d'avec le faux : il est alors clair que nous nous servons de notre entendement comme d'un guide. Mais la raison est, bien plus que l'entendement, un principe de détermination du sujet pensant, principe qui porte presque toujours en lui la moralité. Or la raison prescrit un ordre, celui de se comporter en être raisonnable. Etre "raisonnable" n'est jamais un acquis : soumis aux passions et à leur excès, à l'imagination "maîtresse d'erreur et de fausseté", nous sommes amenés à nous déterminer en vertu de principes jugés contraires à la raison. Face à eux, la raison peut-elle nous servir de guide montrant les bons chemins ? N'est-elle pas trop souvent impuissante ? Ne fait-elle pas entendre, souvent, sa voix trop faiblement ? Pourtant, nous entendons toujours cette voix. Mais alors si la raison nous parle, ne nous parle-t-elle pas en juge qui me dit "Tu dois" plutôt qu'en guide, ami bon conseiller ? Si la raison est juge, peut-elle être un guide, et mieux, "servir" de guide ? Toutefois, à bien observer les êtres raisonnables, on conçoit bien que la raison ne dit plus "Tu dois" mais "Tu devrais" et que dès lors elle n'est plus juge mais guide. Mais comment ce rôle est-il possible ? La question "La raison peut-elle nous servir de guide ?" appelle donc une réflexion sur les rapports mêmes du sujet pensant avec sa propre faculté de raison.
I. La raison peut libérer des passions
Vivre selon la raison, s'en servir comme d'un guide, marque sans doute mon autonomie au sens kantien du terme, ma liberté de sujet pensant. Pourtant vivre guidé par les lumières de la raison est un choix difficile. Un choix, parce qu'être raisonnable est un mode d'être et que je puis en choisir d'autres. Un choix difficile, parce qu'il m'impose de m'élever au-dessus de mes intérêts personnels, de mes penchants sensibles et de mes passions qui sont le fait d'une nature humaine à laquelle je ne puis néanmoins me soustraire. Un choix difficile, parce qu'il suppose une intériorité, et non l'extériorité dans laquelle je suis lorsque je nourris mon esprit des images trompeuses de l'imagination ou du p