Jules Romains, Knock - Acte II, scène 4

Commentaire réalisé en préparation à l'oral du bac.

Dernière mise à jour : 17/02/2022 • Proposé par: petit (élève)

Texte étudié

KNOCK : Ah! voici les consultants. (A la cantonade.) Une douzaine, déjà? Prévenez les nouveaux arrivants qu’après onze heures et demie je ne puis plus rece voir personne, au moins en consultation gratuite. C’est vous qui êtes la première, madame? (Il fait entrer la dame en noir et referme la porte.) Vous êtes bien du canton?

LA DAME EN NOIR : Je suis de la commune.

KNOCK : De Saint-Maurice même?

LA DAME : J’habite la grande ferme qui est sur la route de Luchère.

KNOCK : Elle vous appartient?

LA DAME : Oui, à mon mari et à moi

KNOCK : Si vous l’exploitez vous-même, vous devez avoir beaucoup de travail?

LA DAME : Pensez, monsieur! dix-huit vaches, deux bœufs, deux taureaux, la jument et le poulain, six chèvres, une bonne douzaine de cochons, sans compter la basse-cour.

KNOCK : Diable! Vous n’avez pas de domestiques?

LA DAME : Dame si. Trois valets, une servante, et les journaliers dans la belle saison.

KNOCK : Je vous plains. Il ne doit guère vous rester de temps pour vous soigner?

LA DAME : Oh! non.

KNOCK : Et pourtant vous souffrez.

LA DAME : Ce n’est pas le mot. J’ai plutôt de la fatigue.

KNOCK : Oui, vous appelez ça de la fatigue. (Il s’approche d’elle.) Tirez la langue. Vous ne devez pas avoir beaucoup d’appétit.

LA DAME : Non.

KNOCK : Vous êtes constipée.

LA DAME : Oui, assez.

KNOCK, il l’ausculte : Baissez la tête. Respirez. Toussez. Vous n’êtes jamais tombée d’une échelle, étant petite?

LA DAME : Je ne me souviens pas.

KNOCK, il lui palpe et lui percute le dos, lui presse brusquement les reins : Vous n’avez jamais mal ici le soir en vous couchant? Une espèce de courbature?

LA DAME : Oui, des fois.

KNOCK, il continue de I’ausculter : Essayez de vous rappeler. Ça devait être une grande échelle.

LA DAME : Ça se peut bien.

KNOCK, très affirmatif : C’était une échelle d’environ trois mètres cinquante, posée contre un mur. Vous êtes tombée à la renverse. C’est la fesse gauche, heureusement, qui a porté.

LA DAME : Ah oui!

KNOCK : Vous aviez déjà consulté le docteur Parpalaid?

LA DAME : Non, jamais.

KNOCK : Pourquoi ?

LA DAME : Il ne donnait pas de consultations gratuites.

Un silence.

KNOCK, la fait asseoir : Vous vous rendez compte de votre état?

LA DAME : Non.

KNOCK, il s’assied en face d’elle : Tant mieux. Vous avez envie de guérir, ou vous n’avez pas envie?

LA DAME : J’ai envie.

KNOCK : J’aime mieux vous prévenir tout de suite que ce sera très long et très coûteux.

LA DAME : Ah! mon Dieu! Et pourquoi ça?

KNOCK : Parce qu’on ne guérit pas en cinq minutes un mal qu’on traîne depuis quarante ans.

LA DAME : Depuis quarante ans?

KNOCK : Oui, depuis que vous êtes tombée de votre échelle.

LA DAME : Et combien que ça me coûterait?

KNOCK : Qu’est-ce que valent les veaux, actuellement?

LA DAME : Ca dépend des marchés et de la grosseur. Mais on ne peut guère en avoir de propres à moins de quatre ou cinq cents francs.

KNOCK : Et les cochons gras?

LA DAME : Il y en a qui font plus de mille.

KNOCK : Eh bien! ça vous coûtera à peu près deux cochons et deux veaux.

LA DAME : Ah! là! là! Près de trois mille francs? C’est une désolation, Jésus Marie!

KNOCK : Si vous aimez mieux faire un pèlerinage, je ne vous en empêche pas.

LA DAME : Oh! un pèlerinage, ça revient cher aussi et ça ne réussit pas souvent. (Un silence.) Mais qu’est-ce que je peux donc avoir de si terrible que ça?

KNOCK, avec une grande courtoisie : Je vais vous l’expliquer en une minute au tableau noir. (Il va au tableau et commence un croquis.) Voici votre moelle épinière, en coupe, très schématiquement, n’est-ce pas? Vous reconnaissez ici votre faisceau de Turck et ici votre colonne de Clarke. Vous me suivez? Eh bien! quand vous êtes tombée de l’échelle, votre Turck et votre Clarke ont glissé en sens inverse (il trace des flèches de direction) de quelques dixièmes de millimètre. Vous me direz que c’est très peu. Évidemment. Mais c’est très mal placé. Et puis vous avez ici un tiraillement continu qui s’exerce sur les multipolaires. (Il s’essuie les doigts.)

LA DAME : Mon Dieu! Mon Dieu!

KNOCK : Remarquez que vous ne mourrez pas du jour au lendemain. Vous pouvez attendre.

LA DAME : Oh! là! là! J’ai bien eu du malheur de tomber de cette échelle!

KNOCK : Je me demande même s’il ne vaut pas mieux laisser les choses comme elles sont. L’argent est si dur à gagner. Tandis que les années de vieillesse, on en a toujours bien assez. Pour le plaisir qu’elles donnent!

LA DAME : Et en faisant ça plus… grossièrement, vous ne pourriez pas me guérir à moins cher?… à condition que ce soit bien fait tout de même.

KNOCK : Ce que je puis vous proposer, c’est de vous mettre en observation. Ça ne vous coûtera presque rien. Au bout de quelques jours vous vous rendrez compte par vaus-même de la tournure que prendra le mal, et vous vous déciderez.

LA DAME : Oui, c’est ça.

KNOCK : Bien. Vous allez rentrer chez vous. Vous êtes venue en voiture?

LA DAME : Non, à pied.

KNOCK, tandis qu’il rédige l’ordonnance, assis à sa table : Il faudra tâcher de trouver une voiture. Vous vous coucherez en arrivant. Une chambre où vous serez seule, autant que possible. Faites fermer les volets et les rideaux pour que la lumière ne vous gêne pas. Défendez qu’on vous parle. Aucune alimentation solide pendant une semaine. Un verre d’eau de Vichy toutes les deux heures, et, à la rigueur, une moitié de biscuit, matin et soir, trempée dans un doigt de lait. Mais j’aimerais autant que vous vous passiez de biscuit. Vous ne direz pas que je vous ordonne des remèdes coûteux! A la fin de la semaine, nous verrons comment vous vous sentez. Si vous êtes gaillarde, si vos forces et votre gaieté sont revenues, c’est que le mal est moins sérieux qu’on ne pouvait croire, et je serai le premier à vous rassurer Si, au contraire, vous éprouvez une faiblesse générale, des lourdeurs de tête, et une certaine paresse à vous lever, l’hésitation ne sera plus permise, et nous commencerons le traitement. C’est convenu?

LA DAME, soupirant : Comme vous voudrez.

KNOCK, désignant I’ordonnance : Je rappelle mes prescriptions sur ce bout de papier. Et j’irai vous voir bientôt. (Il lui remet l’ordonnance et la reconduit. A la cantonade.) Mariette, aidez madame à descendre l’escalier et à trouver une voiture.

Jules Romains, Knock - Acte II, scène 4

Jules Romains est un auteur du 20e siècle. Il a publié des poèmes et des romans mais c'est au théâtre qu'il va remporter un de ses plus grands succès « Knock ou le triomphe de la médecine ». Cette pièce sera mise en scène et jouée par un grand comédien, Louis Jouvet, en 1923. Après un exil aux États-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale, Jules Romains est élu à l'Académie française en 1946. Knock ou le triomphe de la médecine est sa pièce de théâtre la plus connue.

Jules Romains a conçu une doctrine littéraire l'unanimisme, selon laquelle l'individu ne peut être peint que dans les rapports sociaux, dans la vie collective. La pièce Knock en est une illustration. Le docteur a rempli sa salle d’attente en annonçant des consultations gratuites. Dans la scène 4 de l’acte 2, le docteur Knock, cupide et manipulateur, reçoit la dame en noir, avare, naïve qui se plaint d’être juste fatiguée

Problématique

L’analyse des caractères des 2 personnages, le déroulement de la consultation, les procédés comiques utilisés par Jules Romains vont permettre de montrer en quoi cette scène est une parodie de consultation médicale.

Plan de l’extrait

Tout d'abord Knock pose des questions pour évaluer la richesse de sa patiente (jusqu’à « j’ai plutôt de la fatigue »)
Ensuite il pratique un examen au cours duquel il profite de la naïveté de la dame en noir pour créer une maladie: les conséquences d'une soi-disant chute d'échelle il y a 40 ans (jusqu’à « J’ai envie »)
Puis après quelques précisions sur le mal, ils évoquent le coût élevé des soins nécessaires tout en créant la peur de la maladie chez sa patiente (jusqu’à « oui c’est ça »)
Il termine par une ordonnance dont le contenu rendrait malade toute personne bien portante.

I. L’étude des caractères : l’emprise de Knock sur la dame en noir

a) Un médecin qui profite de la faiblesse de la dame en noir

Knock reçoit une patiente qui se dit fatiguée et il va la convaincre qu'elle est gravement malade et qu'elle va devoir subir, pour guérir, des soins coûteux. Les didascalies accentuent l’examen grotesque de la malade (il lui palpe et lui percute le dos). Knock comprend que la peur qu'il créé, chez cette patiente avare mais riche, va lui permettre de prendre des honoraires élevés.

b) Une patiente rapidement sous emprise

La dame en noir est rapidement convaincue par le diagnostic: elle est tombée d'une échelle il y a 40 ans, pourtant ceci est impossible à

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