Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde - Partie I, scène 4

Analyse linéaire.

Dernière mise à jour : 02/12/2021 • Proposé par: jllesaint (élève)

Texte étudié

LA MERE. ─ Le dimanche...

ANTOINE. ─ Maman !

LA MERE. ─ Je n’ai rien dit,
je racontais à Catherine.
Le dimanche...

ANTOINE. ─ Elle connaît ça par cœur.

CATHERINE. ─ Laisse-la parler,
tu ne veux laisser parler personne.
Elle allait parler.

LA MERE. ─ Cela le gêne.
On travaillait,
leur père travaillait, je travaillais
et le dimanche
─ je raconte, n’écoute pas ─,
le dimanche, parce que, en semaine, les soirs sont courts,
on devait se lever le lendemain, les soirs de la semaine
ce n’était pas la même chose,
le dimanche, on allait se promener.
Toujours et systématique.

CATHERINE. ─ Où est-ce que tu vas, qu’est-ce que tu fais ?

ANTOINE. ─ Nulle part,
je ne vais nulle part,
où veux-tu que j’aille ?
Je ne bouge pas, j’écoutais.
Le dimanche.

LOUIS. ─ Reste avec nous, pourquoi non ? C’est triste.

LA MERE. ─ Ce que je disais :
tu ne le connais plus, le même mauvais caractère,
borné,
enfant déjà, rien d’autre !
Et par plaisir souvent ,
tu le vois là comme il a toujours été.
Le dimanche
─ ce que je raconte ─
le dimanche nous allions nous promener.
Pas un dimanche où on ne sortait pas, comme un rite,
Je disais cela, un rite,
une habitude.
on allait se promener, impossible d’y échapper.

SUZANNE. ─ C’est l’histoire d’avant,
lorsque j’étais trop petite
ou lorsque je n’existais pas encore.

LA MERE. ─ Bon, on prenait la voiture,
aujourd’hui vous ne faites plus ça,
on prenait la voiture,
nous n’étions pas extrêmement riches, non, mais nous avions une voiture et je ne crois pas avoir jamais connu leur père
sans une voiture.
Avant même que nous nous marions, mariions ?
avant qu’on ne soit mariés, je le voyais déjà
─ je le regardais ─
il avait une voiture
une des premières dans ce coin-ci,
vieille et laide et faisant du bruit, trop,
mais, bon, c’était une voiture,
il avait travaillé et elle était à lui,
c’était la sienne, il n’en était pas peu fier.

ANTOINE. ─ On lui fait confiance.

LA MERE. ─ Ensuite, notre voiture, plus tard,
mais ils ne doivent pas se souvenir,
ils ne peuvent pas, ils étaient trop petits,
je ne me rends pas compte, oui, peut-être,
nous en avions changé,
notre voiture était longue, plutôt allongée,
«aérodynamique»,
et noire,
parce que noir, il disait cela, ses idées,
noir cela serait plus « chic », son mot,
mais bien plutôt parce qu’en fait il n’en avait pas trouvé d’autre.
Rouge, je le connais, rouge, voilà, je crois, ce qu’il aurait préféré.
Le matin du dimanche, il la lavait, il l’astiquait, un maniaque,
cela lui prenait deux heures
et l’après-midi, après avoir mangé,
on partait.
Toujours été ainsi, je ne sais pas,
plusieurs années, belles et longues années,
tous les dimanches comme une tradition,
pas de vacances, non, mais tous les dimanches,
qu’il neige, qu’il vente,
il disait les choses comme ça, des phrases pour chaque situation de l’existence,
« qu’il neige, qu’il pleuve, qu’il vente »,
tous les dimanches, on allait se promener.
Quelquefois aussi,
le premier dimanche de mai, je ne sais plus pourquoi,
une fête peut-être,
le premier dimanche après le 8 mars qui est la date de mon
anniversaire, là,
et lorsque le dimanche tombait un dimanche, bon,
et encore le premier dimanche des congés d’été
─ on disait qu’on « partait en vacances », on klaxonnait, et le soir en rentrant on disait que tout compte fait, on était
mieux à la maison,
des âneries ─
et un peu aussi avant la rentrée des classes, l’inverse, là comme si on rentrait de vacances, toujours les mêmes
histoires,
quelquefois,
ce que j’essaie de dire,
nous allions au restaurant,
toujours les mêmes restaurants, pas très loin et les patrons
nous connaissaient et on y mangeait toujours les mêmes choses,
les spécialités et les saisons,
la friture de carpe ou des grenouilles à la crème, mais ceux -là ils n’aimaient pas ça.
Après ils eurent treize et quatorze ans,
Suzanne était petite, ils ne s’aimaient pas beaucoup, ils se chamaillaient toujours, ça mettait leur père en colère, ce
furent les dernières fois et plus rien n’était pareil.
Je ne sais pas pourquoi je raconte ça, je me tais.
Des fois encore,
des pique-niques, c’est tout, on allait au bord de la rivière,
oh là là là ! bon, c’est l’été et on mange sur l’herbe, salade de thon avec du riz et de la mayonnaise et des œufs durs,
─ celui-là aime toujours autant les œufs durs─
et ensuite, on dormait un peu, leur père et moi, sur la couverture, grosse couverture verte et rouge,
et eux, ils allaient jouer à se battre.
C’était bien.
Après, ce n’est pas méchant ce que je dis,
après ces deux-là sont devenus trop grands, je ne sais plus,
est-ce qu’on peut savoir comment tout disparaît ?
ils ne voulurent plus venir avec nous, ils allaient chacun de leur côté faire de la bicyclette, chacun pour soi,
et nous seulement avec Suzanne,
cela ne valait plus la peine.

ANTOINE. ─ C’est notre faute.

SUZANNE. ─ Ou la mienne.

Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde - Partie I, scène 4

Juste la fin du monde est une œuvre rédigée par Jean Luc Lagarce en 1990 suite à la prise de conscience de son état de santé. Il s'agit d'une pièce de théâtre mettant en scène Louis, un jeune homme de 34 ans allant rendre visite à sa famille qu'il n'avait pas vue depuis longtemps. Cependant, la raison de sa visite n'est en aucun cas porteuse de bonnes nouvelles. Au bout de 12 ans sans avoir vu sa famille, Louis leur rend visite dans le but de leur annoncer qu'il est mourant. Néanmoins, sa famille contrariée du fait qu'il n'a pas prévenu avant de venir et du fait qu'il ne leur a jamais rendu visite auparavant, empêche Louis d'en venir à ce sujet sensible. Cette pièce va exprimer plusieurs thèmes qui vont tourner autour de la famille. L'auteur va introduire son histoire en précisant le jour où elle se déroule c'est-à-dire un dimanche et va durer près d'une année. De plus, il traite les problèmes de familles qui sont assez courants tels que les reproches, le manque de communication, les difficultés de compréhension entre les personnages.

Dans cette scène, la mère profite de la réunion familiale afin d'évoquer des souvenirs d'enfance de Louis et d'Antoine ayant une relation fraternelle tendue. Ceci va permettre de retracer l'évolution des liens qui unissent chaque membre de la famille. Ainsi, on peut alors se demander comment la mère raconte-t-elle les prémices de la tragédie familiale ? Dans un premier temps, nous verrons la contrition d'Antoine que l'on retrouve de la ligne 1 à la ligne 45. Par la suite, nous traiterons des souvenirs nostalgiques de la mère de la ligne 16 à la ligne 114. Et enfin dans un troisième et dernier temps nous étudierons le délitement familial de la ligne 115 à la ligne 140.

I. La contrition d'Antoine (ligne 1 à 45)

Tout d'abord, dés la première ligne (« dimanche...») la mère, s'apprête à raconter une anecdote en l'introduisant par le jour de la semaine représentant le jour du seigneur et des réunions familiales. C'est un jour important pour elle puisqu'elle est proche de sa famille et que c'est le jour dans lequel de nombreux souvenirs refont surface. Cependant, Antoine va interrompre sa mère ( « Maman ! » ligne 2) puisqu'il ne veut pas faire resurgir ces anciens souvenirs qui peuvent pour lui être douloureux. Antoine a comme été victime du passé puisqu'il a dû surmonter seul le départ de son frère, et prendre le rôle de l'aîné avec sa petite sœur, un rôle qu'il a peut-être eu du mal à tenir ce qui peut expliquer son côté agressif. On peut relever un manque de communication ici puisqu'il empêche son entourage de divulguer n'importe quelles informations relevant du passé. Suite à cela, la mère nie ses propos puis les justifie par le fait qu'elle raconte seulement des souvenirs du passé à sa belle fille (« Je n'ai rien ( …) dimanche… » ligne 3-5). Elle use de la figure de style de l'épanorthose puisqu'elle se contredit en disant n'avoir rien dit puis en suivant son propos par le fait qu'elle était seulement en train de raconter. C'est une manière de se défendre et de se justifier par la même occasion pour ne pas assumer ses torts. Antoine va donc affirmer que sa mère raconte souvent des histoires du passé, au point même que son épouse puisse connaître ces histoires de façon précise. (« elle connaît ( …) cœur » ligne 6) Il s'agit encore d'une excuse pour esquiver le passé et ces souvenirs pesants. Catherine, elle, va prendre la défense de sa belle-mère et exiger à Antoine de la laisser raconter ce qu'elle a besoin de rapporter (« Laisse la parler ( …) allait parler » ligne 7-9). On retrouve la répétition du verbe "parler"’ pour insister sur le manque de communication présent au sein de cette famille. Elle insiste sur le fait qu'Antoine cherche à tout contrôler sûrement due à l'absence de son frère, mais aussi de son père. Sa mère, quant à elle, va employer les mots « cela le gène » ligne 10, provenant des écrit bibliques, géhenne exprimant l'enfer et fait donc parti du champ lexical de la souffrance physique et psychologique.

Dans la phrase « on travaillait ( …) le dimanche » ligne 11 à 13, la mère précise de qui elle parle lorsqu'elle dit « on travaillait ». En effet elle dit qu'elle-même et le père travaillaient. On peut dire que c'est une forme d’épanorthose ici aussi puisqu'elle reprend son propos et tente de le corriger et même d'y apporter des précisions. Elle va finir par se rendre compte dans la phrase « Je raconte, n'écoute pas » que son fils ne l'écoute pas et cherche à fermer toutes les portes de communication. Il refuse catégoriquement d'écouter la moindre information lui rappelant son passé. Elle commence donc à raconter les souvenirs en insistant sur le jour du dimanche pour accentuer le fait qu'il s'agit pour elle d'un jour important, le jour du repos, le jour de la famille, le jour des souvenirs. Suzanne va alors interrompre sa mère et s'adresser directement à son frère Antoine qui s'apprête à s'en aller puisqu'il refuse catégoriquement d'assister à cette remémoration de souvenirs (« où est-ce que tu vas, qu'est-ce que tu fais ? » ligne 21-22). Dans la réponse d'Antoine, nous retrouvons la répétition du terme « nulle part » pour bien insister sur la justification d'Antoine (« nulle part ( …) le dimanche » ligne 23-27). En effet même s'il ne veut pas assister à la narration de sa mère, il ne veut pas non plus que son entourage ait une image de lui similaire à celle de son frère Louis qui lui est réellement parti. Suite à cela Louis va faire preuve d'impudeur puisqu'il ose dire à son frère « Reste avec, pourquoi non ? C'est triste » lignes 28-29, qui refuse simplement d'écouter sa mère raconter des souvenirs d'enfance or que lui-même à réellement quitté son foyer familial sans jamais prendre des nouvelles des siens.

Par la suite, la mère dresse un portrait d'Antoine qui est très entêté depuis sa plus tendre enfance. Elle le décrit auprès de Louis qui n'a assisté ni à l'âge tendre ni à l'adultisme de son petit frère. Elle dit qu'il n'a pas pris en maturité et qu'il est tout autant puéril qu'autrefois. Elle paraît rancunière suite à l'impudicité de son fils. On peut apercevoir des tensions entre Antoine et la mère qui doivent être présentes depuis quelque temps maintenant. Dans la phrase « Le dimanche (...) impossible d'y échapper » ligne 36-42, nous retrouvons la répétition du jour dimanche qui exprime un jour important pour la famille. On pourrait même aller jusqu'à dire qu'il s'agit d'un jour sacré puisqu’ici, la mère parle d'un rituel d'où l'utilisation du nom « rite » qui est répété deux fois. Elle insiste sur le fait que cela se produit chaque dimanche en utilisant les mots « habitude » et « impossible d'y échapper ». On peut alors comprendre qu'il s'agit d'une obligation et que cela peut être la source de souvenirs douloureux pour certains. Suzanne quant à elle, malgré tout ses efforts reste celle qui vient après, celle qui n'est pas concernée par les histoires familiales, car, trop jeune, elle n'était pas consciente des affaires familiales antérieures (« C'est l'histoire d'avant ( …) lorsque je n'existais pas encore » ligne 43-45).

II. Les souvenirs nostalgiques de la mère (ligne 16 à la ligne 114)

Ensuite, dans la première ligne de ce deuxième mouvement, la mère insiste encore une fois sur le retour au présent pour exprimer une coupure entre les évènements du passé et ceux du présent. Elle aurait peut-être aimé avoir les mêmes habitudes qu'autrefois ce qui n'est pas le cas et ce qui la désole. Nous retrouvons également la répétition du mot voiture pour exprimer une forme de fierté (« On prenait ( …) une voiture » ligne 46-51). En effet, malgré leur statut modeste, ils avaient un véhicule qui est l'un des éléments les plus importants de ce deuxième mouvement. Cette voiture a permis de créer des souvenirs qui ont marqué la famille, principalement la mère. Cependant la personne la plus fière de cette acquisition était le père. De plus, dans ce mouvement nous pouvons observer la confusion de la mère qui réfléchit en même temps qu'elle parle ce qui la désoriente et la fait hésiter entre le présent de l'indicatif et le présent du subjonctif (« Avant même ( …) déjà » ligne 52-53). Ceci nous éclaire sur les problèmes de communication qu'elle peut avoir dus à ses pensées illuminées par le passé. Le père, lui est représenté comme un ouvrier ayant travaillé péniblement et longtemps pour obtenir un bien qui lui est cher comme sa voiture (« je le regardais ( …) confiance » ligne 55-61). Il en est fier puisqu'il n'a pas acquis cette voiture gratuitement, au contraire il l'a mérité suite à son implication dans son travail. La mère cherche des défauts à ce bien en disant qu'il était usé et bruyant. Elle ne prend pas en compte le fait que, dû à son revenu modeste, il n'aurait pas pu obtenir une voiture de qualité comme elle aurait pu l'espérer. Il représente la fierté ouvrière du 19e siècle. De plus la mère transforme le « nous avions une voiture » en « c'était la sienne ». Elle appuie le fait que la voiture était au père en premier avant d'être à la famille. Elle dresse un portrait de lui comme quelqu'un de coutumier, de traditionnel. On pourrait même affirmer qu'il a une préférence pour son bien acquis que pour elle-même. Ces propos sont confirmés par la remarque d'Antoine.

Par la suite nous pouvons observer que la mère semble perdue dans ses souvenirs. Elle croit vivre dans le passé et semble se souvenir de chaque élément du passé comme si elle y était coincée et pourtant elle a des doutes sur ce qu'elle raconte. Notamment lorsqu’elle emploie le « peut-être » (ligne 65). Elle a quelques fois des retours à la réalité lorsqu'elle dit « trop petits » (ligne 64) elle réalise ailleurs qu'il est possible qu'il ne s'en rappelle plus au cours de leur maturité. On sent un décalage entre l'époque dans laquelle elle se sent et la réalité. En effet elle est persuadée d'être encore dans le passé et pourtant elle emploie des termes tels que « plus tard » (ligne 62). D'après la mère (« et noire ( …) son mot » ligne 69-71), le père disait avoir des idées noires ce qui reflète son ressenti. Il devait se sentir comme dévalorisé ou de côté. Cela nous permet d'en savoir davantage sur les émotions du père puisque nous ne savons pas grand-chose de lui au cours de la pièce. Il dit que le noir représente également le chic ce qui fait légèrement contradiction avec les revenus de la famille. En effet il s'agit d'une famille modeste, et le terme «chic» représente surtout les classes sociales riches. De plus la prise de soin de la voiture passe en priorité. Par la suite la famille réalise ces activités hebdomadaires. Le sens de priorité est influencé par les préférences de chacun, dans ce cas on peut affirmer que l'amour que le père a pour sa voiture est peut-être plus important que celui qu'il a pour sa famille. Néanmoins la mère est vraiment attachée à ces années qui regroupent tous ses meilleurs souvenirs (« Plusieurs années, belles et longues années » ligne 82). Elle aurait préféré que ces traditions perpétuent, mais un élément à déclenché la fin de ces traditions et donc de ses merveilleux souvenirs. Le père était également attaché à ces petites habitudes jusqu'à les appliqués même dans les pires conditions météorologiques (« Qu'il pleuve, qu'il neige, qu'il vente » ligne 88). Ceci explique sûrement l'attachement que la mère a pour ses coutumes.

Du à toutes ces émotions, la mère commence à se mélanger les pinceaux lors de son explication, elle traite du premier dimanche de mai puis le premier dimanche après le 8 mars. Elle ne sait plus où elle en est ou même ce qu'elle dit. Elle ne finit plus ses phrases puisqu'elle-même ne sait pas quoi dire ni comment compléter ses propres phrases. Elle paraît confuse et ne se souvient plus vraiment de cette période de leur vie. La famille va alors s'inventer des vacances, car pour eux les vacances ne sont pas représentées par le lieu, mais bien avec quelles personnes elles sont réalisées. (« on disait ( …) histoires » ligne 98-104). La mère établit une description du père comme quelqu'un qui n'est pas aventurier qui ne possède rien d'étonnant. Un père de famille basique qui ne sort pas du lot, mais qui ne lui déplaît pas pour autant. Elle se contente de cela et est nostalgique de cette période. Elle emploie le terme « âneries » comme pour dire que ce sont des bêtises influencées par un comportement puéril du père. À la fin de ce deuxième mouvement, la mère explique que la famille se rendait parfois au restaurant et où on leur servait des spécialités de saisons malgré leur instabilité financière (« nous allions ( …) ça » ligne 106-113). Ceci se passe encore une fois le dimanche un jour vraiment spécial pour l'intégralité de la famille. Cette famille semble comme sociable puisqu'elle a fini par être assez proche des gérants du restaurant. Ceci appuie le caractère spécial du dimanche rapprochant la famille, mais aussi les inconnus de cette dernière. Nous pouvons relever le terme « ceux-là », employé par la mère pour décrire ses enfants auprès de Catherine, ce qui insiste sur les tensions présentes au sein de la famille.

III. Le délitement familial (ligne 115 à 140)

Enfin, dès le début de ce troisième mouvement, la mère tient ses enfants responsable de la rupture de ces habitudes familiales, causée par leur croissance (« Après ( …) pareil » ligne 114-118). Elle leur reproche d'avoir grandi et d'être coupables de ce délitement familial par leur dispute. Ceci en dit long sur le rapport que la mère a avec ses enfants, elle se dit que s'ils étaient restés aussi petits qu'avant peut-être que ces traditions auraient perpétué. Ce qui explique la raison pour laquelle ses idées restent constamment dans le passé. C'est à partir de ce moment là que l'union familiale c'est fragilisée. Elle va par la suite se rendre compte de ce qu'elle a dit devant ses enfants et tente de se rattraper en s'excusant indirectement. Elle poursuit son propos en disant qu'elle arrête de parler et finit par changer de sujet et raconter la suite de ses joyeux souvenirs (« je ne sais pas pourquoi je raconte ça, je me tais » ligne 119). Encore une fois, on remarque une difficulté de communication puisque la mère se retient de parler pour éviter de rabaisser ou de blesser ses enfants. Elle a eu le réflexe de changer de sujet, ce qui est arrivé de nombreuses fois au cours de la pièce lorsque des propos blessants font surface dans la discussion. Dans la phrase « des fois encore, des piques-niques, c'est tout ( …) oh là là là », on peut apercevoir la remontée de souvenirs immédiate exprimée par le « oh là là là ». Elle est heureuse de raconter ces moments merveilleux passés avec sa famille avant que celle-ci ne se détruise. Elle utilise également le « c'est tout » pour insister sur la banalité des activités réalisées en ce temps. Une activité banale pour les autres familles, mais considérable pour elle. Nous pouvons observer une utilisation du présent de l'indicatif exprimée par la mère, comme si elle racontait un évènement actuel. Elle réfléchit en même temps qu'elle parle et fais donc des erreurs entre le moment où elle raconte et celui où l'histoire se déroule.

La mère revient ensuite immédiatement à l'imparfait lors de sa narration. Elle utilise encore une fois la figure de style de l'épanorthose lorsqu'elle précise son propos au moment même où elle parle de la couverture. En disant « c'était bien », la mère exprime le fait que ça ne l'ait plus puisqu'elle emploie l'imparfait pour qualifier l'époque ou tout allait bien. Elle regrette ce temps et insinue que le temps actuel, sans le père, avec un retour de Louis brutal, et les tensions présentes dans la maison est un temps qu'elle aurait préféré éviter de vivre. Avant même de commencer à rapprocher quoi que ce soit, elle tente d'atténuer ses mots pour éviter de brusquer qui que ce soit. Indirectement elle accuse ses enfants d'être la cause de la désagrégation de la famille (« Après, ce n'est pas méchant ce que je dis non, après ces deux-là sont devenus trop grands, je ne sais plus » ligne 31-33). Elle va également user d'une question rhétorique dans laquelle la mère réalise que tout ça appartient au passé et que rien ne fera revenir ces doux moments (« est-ce qu'on peut savoir comment tout disparaît ? » ligne 134). Elle cherche tout de même à comprendre quoi ou bien qui a déclenché tant de facteurs ayant participé à cette destruction. Grâce à la phrase « Ils ne voulurent ( …) pour soi » (ligne 135-136), nous pouvons comprendre que Louis n'est pas le seul responsable de cette destruction familiale. En effet, bien avant le départ de Louis, la famille était déjà presque totalement détruite principalement dû à l'éloignement des deux frères dans leur enfance. Ils ont pris des chemins différents exprimés par la métaphore « chacun de leur côté faire de la bicyclette ». La bicyclette représente le chemin de vie, les objectifs, les ambitions de chacun qui étaient contradictoires.

La mère paraît triste, nostalgique, déçue lorsqu'elle parle de l'éloignement des deux frères. Suzanne, elle, est encore une fois mise de côté. Son enfance ne compte pas aux yeux de la famille puisque les parents ont décidé de mettre fin à ces coutumes suite à la séparation des deux frères et n'ont pas tenu compte du fait que Suzanne aurait pu également avoir une enfance comme celle de ses frères. Elle a toujours été à l'écart, que ce soit par rapport aux histoires familiales, ou bien par son âge trop jeune qui l'a empêché de vivre une belle enfance auprès de sa famille. Elle a été délaissée par ces deux frères puisqu’après le départ de Louis, Antoine n'a pas eu un rôle de grand frère très protecteur, mais plutôt rabaissant. À la fin de ce troisième mouvement, et de cette scène, Antoine se rend compte de la peine qu'il a provoquée auprès de sa famille du fait qu'il se soit mis à l'écart de sa famille durant son adolescence. Il reconnaît ses fautes « C'est notre faute » ligne 139. Suzanne s'excuse également et se sent responsable de sa propre naissance et pense que celle-ci a joué durant ce délitement « Ou la mienne » ligne 140. Cependant elle n'y est pour rien, mais tente quand même d'attirer l'attention sur elle. Elle se sent tellement à l'écart de toutes ces histoires familiales qu'elle serait prête à se rendre responsable de tout cela pour obtenir sa place au sein de la famille. Contrairement à son frère et sa sœur, Louis fait preuve de silence comme depuis le début de la pièce. Il ne se sent pas responsable de tout cela alors que le facteur ayant détruit la famille définitivement est son départ de la maison qui a durer des années.

Conclusion

Pour conclure, dans cette scène, la mère tente d'exprimer de façon la plus détaillée les souvenirs merveilleux qu'elle possède avec le reste de sa famille. Des souvenirs qu'Antoine cherche à oublier. Il évite d'écouter comme il peut ces histoires lui rappelant son passé avec son frère et son père, avant même qu'il prenne la décision de les quitter. On peut relever de la souffrance chez Antoine notamment dans le premier mouvement, cette histoire racontée par sa mère est une histoire qu'il a entendue de nombreuses fois et qu'il refuse d'entendre de nouveau. Louis reste comme il peut silencieux et ne décide de parler que pour faire une remarque assez déplacée.

Dans cette scène nous pouvons également comprendre à quel moment les relations familiales ont commencé à se fragiliser et se détruire. La mère raconte comment une famille heureuse et très proche a pu se retrouver séparée comme actuellement. Elle raconte l'histoire de toute une vie qui met fin, une forme de peste effacée, et tente comme elle peut d'avoir un minimum d'attention sur elle et de participer aux histoires familiales auxquelles elle n'a pas assisté.