Flaubert, L'Éducation sentimentale: Déclaration des sentiments

Devoir maison rédigé en terminale (voie générale). Certaines remarques du professeur y ont été intégré. Note obtenue: 17,5/20.

Dernière mise à jour : 16/10/2021 • Proposé par: ouioui (élève)

Texte étudié

Elle le regarda ironiquement.
— Eh bien, et ce mariage ?
— Quel mariage ?
— Le vôtre !
— Moi ? Jamais de la vie !
Elle fit un geste de dénégation.
— Quand cela serait, après tout ? On se réfugie dans le médiocre, par désespoir du beau qu’on a rêvé !
— Tous vos rêves, pourtant, n’étaient pas si… candides !…
— Que voulez-vous dire ?
— Quand vous vous promenez aux courses avec… des personnes !
Il maudit la Maréchale. Un souvenir lui revint.
— Mais c’est vous-même, autrefois, qui m’avez prié de la voir, dans l’intérêt d’Arnoux !
Elle répliqua en hochant la tête :
— Et vous en profitez pour vous distraire.
— Mon Dieu ! oublions toutes ces sottises !
— C’est juste, puisque vous allez vous marier.
Et elle retenait son soupir, en mordant ses lèvres.
Alors, il s’écria :
— Mais je vous répète que non ! Pouvez-vous croire que, moi, avec mes besoins d’intelligence, mes habitudes, j’aille m’enfouir en province pour jouer aux cartes, surveiller des maçons, et me promener en sabots ! Dans quel but, alors ? On vous a conté qu’elle était riche, n’est-ce pas ? Ah ! je me moque bien de l’argent ! Est-ce qu’après avoir désiré tout ce qu’il y a de plus beau, de plus tendre, de plus enchanteur, une sorte de paradis sous forme humaine, et quand je l’ai trouvé enfin, cet idéal, quand cette vision me cache toutes les autres…
Et, lui prenant la tête à deux mains, il se mit à la baiser sur les paupières, en répétant :
— Non ! non ! non ! jamais je ne me marierai ! jamais ! jamais !
Elle acceptait ces caresses, figée par la surprise et par le ravissement.
La porte du magasin sur l’escalier retomba. Elle fit un bond ; et elle restait la main étendue, comme pour lui commander le silence. Des pas se rapprochèrent. Puis quelqu’un dit au-dehors :
— Madame est-elle là ?
— Entrez !
Mme Arnoux avait le coude sur le comptoir et roulait une plume entre ses doigts, tranquillement, quand le teneur de livres ouvrit la portière.
Frédéric se leva.
— Madame, j’ai bien l’honneur de vous saluer. Le service, n’est-ce pas, sera prêt ? je puis compter dessus ?
Elle ne répondit rien. Mais cette complicité silencieuse enflamma son visage de toutes les rougeurs de l’adultère

Flaubert, L'Éducation sentimentale

Gustave Flaubert est un écrivain français du 19e siècle. Il est notamment connu grâce à l’aspect réaliste de ses romans et la profondeur de ses analyses des comportements des individus et de la société. Il est l’auteur de Madame Bovary (1857), Salammbô (1862), Un cœur simple (1877), ou encore L'Éducation sentimentale (1869) dont on va étudier un extrait. L’Éducation sentimentale relate l’amour du jeune Frédéric Moreau pour Marie Arnoux. En effet, cet extrait montre un dialogue entre ces deux protagonistes. On va alors voir quelle est la situation des personnages, leur relation et l’attitude de Mme Arnoux au début de l’extrait. Ensuite on étudiera l’argumentation et la démonstration de la passion amoureuse de Frédéric Moreau et ce que cela provoquera sur Madame Arnoux.

I. La relation initiale des personnages

a) Des personnages déjà engagés dans des relations

Tout d’abord, il faut savoir que la situation de ces deux personnages est particulière. En effet, Frédéric Moreau est tombé amoureux de Madame Arnoux qui est charmée, mais ne lui montre pas et qui est même allée jusqu’à le repousser vers d’autres femmes. Ceci est montré par la phrase de cet homme « c’est vous-même, autrefois, qui m’avez prié de la voir, dans l’intérêt d’Arnoux ». Cela peut provenir d’ailleurs par le fait que Madame Arnoux soit déjà mariée à un éditeur d’art et que sa morale l’est emportée, bien que ce mariage ne soit pas un succès. Ce mariage se confirme, car la scène se déroule dans la boutique du mari de Madame Arnoux, c’est ce que l’on comprend à la fin de l’extrait quand le narrateur dit « La porte du magasin sur l’escalier retomba. » ou encore « sur le comptoir » qui est un mobilier typique des marchands. Frédéric Moreau va alors avoir une liaison avec une autre femme que l’on nomme « Maréchale » et a un projet de mariage avec la fille d’un régisseur de province, tout en rêvant toujours de l’amour de Madame Arnoux. Ce projet de mariage est évoqué dès les premières lignes avec la phrase « Eh bien, et ce mariage ? » et sera le sujet principal de cet extrait. On a alors une situation plutôt cocasse ou la femme est mariée, mais a du désir pour Frédéric Moreau, un désir réciproque alors que lui va se marier à une femme qu’il apprécie moins.

b) Un dialogue récent mais néanmoins spontané

Cependant, la relation amoureuse entre Frédéric moreau et Madame Arnoux n’est pas spécialement flagrante. En effet, ceux-ci se vouvoient tout au long de l’extrait et utilisent des termes comme « le vôtre », « vos rêves », « vous-même ». Cela montre qu’ils ne sont pas très proches et qu’ils ont un respect mutuel. Ce respect est montré notamment lorsque Frédéric Moreau emploi le terme « Madame » ou encore lorsqu’il évoque « l’honneur de vous saluer ». Cela montre aussi que cette relation n’est pas fréquente, ce qui se confirme par l’emploi du passé composé « m’avez prié », « on a rêvé », du passé simple « revint » et de l’imparfait « n’étaient ». Il y a aussi du vocabulaire rappelant le passé comme « autrefois », et « souvenir ». On peut alors en déduire qu’ils ne se voient pas régulièrement. Cependant, cela ne signifie pas que leur dialogue est fastidieux. Bien au contraire, malgré le respect qu’ils ont chacun pour l’autre, ils ne vont pas être coincés à l’idée de s’exprimer. Ainsi, de la ligne 1 à 22, se succèdent des phrases courtes et généralement simples. Cela montre la spontanéité de leurs propos et l’échange rapide et fluide de la parole dans la discussion. Ceux-ci se permettent même de hausser le ton et de s’énerver l’un contre l’autre, la forte utilisation des points d’exclamation peut en témoigner tout comme l’expression « Mon dieu ! ». Le narrateur fait part également de l’agacement des deux amants lorsqu’il évoque un « soupir » pour Madame Arnoux et lorsqu’il dit « s’écria » avant que Frédéric Moreau prenne la parole.

c) Un dialogue sous tension

Cependant, ces moments de tensions ont été amenés par Madame Arnoux qui dirige le dialogue. En effet, c’est elle qui commence à parler en posant une question ouverte. Cette question est « Eh bien, et ce mariage ? », celle-ci sait que Frédéric Moreau a un projet de mariage, cette question permet de le surprendre. Cela va fonctionner, et Frédéric Moreau va tout d’abord nier les faits en répliquant « Quel mariage ? ». On assiste alors au démarrage d’une sorte jeu ou Madame Arnoux va contrôler le débat et emmener Frédéric Moreau vers ce qu’elle veut entendre, l’exposition de ses sentiments. Cette notion de jeu se confirme avec le terme « ironiquement » utilisé par le narrateur en évoquant Madame Arnoux, ce terme montre qu’il y a un sens caché à ses propos, mais surtout qu’elle se permet d’être moqueuse. Ce contrôle de la situation se voit notamment dans la narration, l’utilisation à deux reprises de « » en milieu de phrase signifie qu’il y a un silence et qu’elle installe son rythme sans se faire couper la parole. Le narrateur nous fait aussi part de geste en guise de réponse de Madame Arnoux dans les phrases « Elle fit un geste de dénégation. », et « Elle répliqua en hochant la tête. » ce qui montre qu’elle n’a pas besoin de parler pour donner son avis et attirer l’attention de Frédéric Moreau. On peut alors dire que celle-ci dirige et domine le débat. On remarque également que les phrases de Frédéric Moreau se finissent plus souvent par des points d’exclamation que les phrases de son amante, ce qui montre ainsi que Madame Arnoux réussi à garder son calme tout en faisant réagir son interlocuteur. En effet, celle-ci va être provocante comme lorsqu’elle emploie le terme « candide » ou encore « des personnes » pour nommer péjorativement les femmes qu’il côtoie. Ces provocations auront un impact sur cet homme. Sa réaction « Moi ? Jamais de la vie ! » le montre parfaitement avec l’utilisation d’une question rhétorique et d’une hyperbole montrant son désarroi. La phrase « Et vous en profitez pour vous distraire. » permet également de le faire par le biais d’un oxymore entre les mots « profitez » et « distraire » qui a ici un sens négatif. Cette phrase montre aussi que Madame Arnoux a aussi une part de jalousie ce qui se confirme dans la phrase « C’est juste, puisque vous allez vous marier ! ». C’est ainsi qu’on a pu observer la manière utilisée par Madame Arnoux pour contrôler la situation et emmener Frédéric vers son aveu en le provoquant. Il y a alors eu une tension grandissante de la ligne 1 à 24 jusqu’à ce que Frédéric commence son discours d’argumentation.

II. La démonstration de la passion de Moreau

a) L'argumentation contre le projet de mariage

En effet, on est désormais spectateur d’un long discours ou celui-ci va argumenter ses sentiments. Par conséquent, le dialogue avec des phrases courtes va s’interrompre pour laisser place à de longues prises de paroles composées de phrases longues et généralement complexes. Il va alors exposer des inconvénients à son autre relation avec la fille du régisseur de province et leur mariage prévu. Il fait ça pour convaincre Madame Arnoux que ce mariage est futile et donc pour pouvoir avoir une relation avec celle-ci. D’ailleurs, cela a commencé bien avant ce discours lorsque celui-ci a dit « Quand cela serait, après tout ? », cette question rhétorique montre que le projet de mariage n’a aucun sens selon lui. De plus, le verbe « serait » est conjugué au conditionnel présent ce qui signifie que ce mariage n’est pas certain, voir irréel. Le terme « sottises » montre aussi le manque de sens de ce mariage. Cependant, la décrédibilisation de ce mariage se fait principalement lors de son argumentation. Ainsi, il va dire « Pouvez-vous croire que, … » en parlant de ce mariage, cela a pour but de montrer que c’est une chose impossible. Il va alors commencer à énumérer les faits qui l’empêchent de se marier avec cette femme. En effet, de la ligne 24 à 26 il exposera les problèmes de « besoins d’intelligence », d’« habitudes » et il parlera surtout très péjorativement de la province, ou il irait si son mariage a lieu. C’est ainsi qu’il utilisa le terme « m’enfouir » et en énumérera ce qu’il l’ennuie « jouer aux cartes, surveiller des maçons, et me promener en sabots ! ». D’ailleurs, il va encore prouver que ce mariage ne mène à rien en disant « Dans quel but, alors ? », cette question rhétorique est claire, elle montre l’absurdité du mariage selon Frédéric Moreau. Enfin, Il veut démentir toutes les possibilités qui pourrait l’attirer chez la fille du régisseur de province, c’est pourquoi il va dire « Je me moque bien de l’argent ! ». Cette phrase répond à l’argument qu’il anticipe « On vous a conté qu’elle était riche, n’est-ce pas ? ». Il a finalement exposé ses arguments qui vont à l’encontre de son projet de mariage.

b) La démonstration de la passion pour Madame Arnoux

Cependant, ce qui justifie le plus ses propos est bien la démonstration de son amour et de sa passion envers madame Arnoux. En effet, celui-ci va montrer toute la passion qu’il a pour elle dans cet extrait et cela passe notamment par la haine qu’il éprouve envers les autres femmes. En effet, alors que celui-ci n’était pas catégoriquement contre le projet de mariage et côtoyait d’autres femmes, il se met à éprouver une sorte de dégout pour la Maréchale, cela se justifie, car il aperçoit une lueur d’espoir avec Madame Arnoux. En effet cette femme pourrait gâcher sa relation avec Madame Arnoux qui est jalouse, c’est pourquoi il commence à la détester, ce qui est une preuve que son amour est fort. C’est ce qu’en témoigne le terme « maudit » qui est très fort et signifie qu’il veut le malheur de la Maréchale. Il est également énervé lorsque Madame Arnoux lui parle du projet de mariage et le catégorise de « sottises » qu’il faut oublier. La phrase « – Non ! non ! non ! jamais je ne me marierai ! jamais ! jamais ! » est composée des répétitions des mots « jamais » et « non » suivis de points d’exclamation ce qui prouve sa détermination et sa certitude concernant le mariage. Celui-ci va aussi faire une comparaison entre le projet de mariage et Madame Arnoux dans la phrase « On se réfugie dans le médiocre, par désespoir du beau qu’on a rêvé ! ». Ici, le verbe réfugier renvoi au désagréable, mais il y a surtout une antithèse entre « médiocre » et « beau » ainsi qu’entre « désespoir » et « rêvé ». Cela permet de montrer son dégoût pour le mariage tout en montrant son amour pour Madame Arnoux par le biais d’une opposition. En attribuant ses relations à des situations de médiocrité et de rêve, il montre encore une fois sa haine contre ce mariage, mais surtout le désir concernant Madame Arnoux. Ce désir est aussi prouvé lors de son argumentation, plus précisément de la ligne 29 à 32. On y retrouve directement cette notion de désir par le terme « désiré ». Cependant, c’est l’anaphore de « de plus » qui montre vraiment la passion qu’il a envers elle. En effet, cela montre la grandeur de ses sentiments et de son admiration envers elle surtout que ces termes sont suivis des adjectifs « beau » et « tendre » qui font partie du champ lexical du plaisir, mais aussi du terme « enchanteur » ce qui renvoi à l’agréable, mais aussi au merveilleux. On peut aussi caractériser cette expression d’hyperbolique, car celui-ci est aveuglé par son amour et exagère donc ses propos. Cette représentation de Madame Arnoux dans l’exagération et dans le merveilleux se poursuit juste après, avec la personnification suivante « une sorte de paradis sous forme humaine ». Cette expression permet d’affirmer que Madame Arnoux est comme irréellement parfaite comme le paradis et qu’elle lui suscite du bonheur. Dans la continuité de l’exagération et du merveilleux, Frédéric va désigner son amante d’ « idéale ». Enfin, il admettra que « cette vision me cache toutes les autres », ce qui montre que son amour l’aveugle et l’atteint mentalement. On peut alors caractériser son amour de passionnel.

c) La réaction positive de Madame Arnoux

Cette argumentation et cette déclaration ne laissent pas indifférente Madame Arnoux. En effet, celle-ci voulait que ces aveux aient lieu et les a provoqués. Cependant cela ne l’a pas empêchée d’être très touchée et surprise par la déclaration de Frédéric. En effet, on le comprend grâce aux termes « ravissement » et « surprise ». C’est notamment ce qui a causé un choc chez elle comme nous l’indique le mot « figée ». En effet, le narrateur nous fait part de l’immobilité de Madame Arnoux par le biais de la phrase « elle restait la main étendue », mais aussi lorsqu’il dit « Elle ne répondit rien. ». Il nous apprend aussi que le silence règne par volonté de Madame Arnoux qui aurait « commandé le silence ». Il y a alors lieu à un moment de plaisir intense, de complicité entre les deux amants. Le narrateur utilise alors l’expression de « complicité silencieuse » montrant bien qu’ils vivent un moment spécial, coupé du monde. De plus, l’adjectif « tranquillement » montre bien que l’atmosphère est calme et qu’il n’y a plus aucune crainte. Les tensions se sont apaisées. Enfin le narrateur nous fait savoir que Madame Arnoux rougit avec la phrase « enflamma son visage de toutes les rougeurs de l’adultère ». Il y a une comparaison entre les flammes et sa rougeur concernant son amour, ce qui montre qu’elle a de fortes émotions. On peut aussi notifier que le rouge est la couleur de l’amour, de la passion, de l’émotion.

Conclusion

Pour conclure, on peut dire que l’on a observé dans cet extrait un dévoilement de sentiments qui passe par la colère, l’amour, la haine, le choc et la passion. Ces sentiments forts ont été mis en évidence grâce à Madame Arnoux qui désirait une relation et qui a su faire réagir Frédéric Moreau, en le provoquant et en l’énervant. Celui-ci va alors dévoiler sa haine, ses arguments et son amour passionnel dans un petit discours. C’est ainsi que Madame Arnoux a été émerveillée et va rester sous le choc en entendant cette déclaration. Ils vont enfin vivre un moment de complicité hors du commun à la fin de cet extrait.