Beaumarchais, Le Mariage de Figaro - Acte I, scène 2

Fiche de révision du bac.

Dernière mise à jour : 01/10/2021 • Proposé par: freecorp (élève)

Texte étudié

FIGARO, seul.

La charmante fille ! toujours riante, verdissante, pleine de gaieté, d’esprit, d’amour et de délices ! mais sage !… (Il marche vivement en se frottant les mains.) Ah ! monseigneur ! mon cher monseigneur ! vous voulez m’en donner… à garder ! Je cherchais aussi pourquoi, m’ayant nommé concierge, il m’emmène à son ambassade, et m’établit courrier de dépêches. J’entends, monsieur le comte ; trois promotions à la fois : vous, compagnon ministre ; moi, casse-cou politique ; et Suzon, dame du lieu, l’ambassadrice de poche ; et puis fouette, courrier ! Pendant que je galoperais d’un côté, vous feriez faire de l’autre à ma belle un joli chemin ! Me crottant, m’échinant pour la gloire de votre famille ; vous, daignant concourir à l’accroissement de la mienne ! Quelle douce réciprocité ! Mais, monseigneur, il y a de l’abus. Faire à Londres, en même temps, les affaires de votre maître et celles de votre valet ! représenter à la fois le roi et moi dans une cour étrangère, c’est trop de moitié, c’est trop. — Pour toi, Basile, fripon mon cadet, je veux t’apprendre à clocher devant les boiteux ; je veux… Non, dissimulons avec eux pour les enferrer l’un par l’autre. Attention sur la journée, monsieur Figaro ! D’abord, avancer l’heure de votre petite fête, pour épouser plus sûrement ; écarter une Marceline qui de vous est friande en diable ; empocher l’or et les présents ; donner le change aux petites passions de monsieur le comte ; étriller rondement monsieur du Basile, et…

Beaumarchais, Le Mariage de Figaro - Acte I, scène 2

Situation de la scène dans la pièce : au début, cette scène a donc une valeur introductive, elle fait figure de préface à l’action. La tirade de Figaro est le premier face à face entre le spectateur et un des protagonistes de l’histoire : découverte de la personnalité et de ses ambitions, introduction dans le contexte.

On verra dans ce texte qu'on peut rapprocher Figaro et l’auteur, Beaumarchais, avec leur nature volontaire et travailleuse, qui tentent de faire influence sur leurs destins.

I. Le déroulement et les intrigues de « la Folle Journée ».

a) Figaro, protagoniste de la pièce

• Tirade en aparté au début du texte (I,2), mise en vis à vis l’imposant comme un personnage clef de l’histoire.
• Titre de l’oeuvre :  Le Mariage de Figaro, sa présence est donc un moteur pour l’action de la pièce.
• Nombreux verbe d’action soulignant son activité importante (l. 22-27) : « avance », « épouser », « écarter ».
• Rôle prépondérant car c’est à travers lui que nous sont données les premières impressions (subjectives mais néanmoins vérifiées par la suite) du Comte, de Suzanne et de Bazile.

b) Une personnalité complexe

• Il abandonne sa situation de serviteur dévoué du Comte (cf Barbier de Séville, séduction de Rosine): adoption d’une facette réfléchie ( « j’entends », l. 15) qui le pousse à croire que le comte cherche « à concourir à l’accroissement de sa famille ».
• Même si le Comte ne peut empêcher le libre cours à sa réflexion, disposition néanmoins de son corps (« et fouette courrier » l. 17).
• Ainsi : détachement de l’image du valet asservi et bête, distinction par son intelligence des autres personnages tels « Bazile ! fripon mon cadet » (l. 19).

c) Figaro cherche à rencontrer son « moi »

• Digression dans l’utilisation des pronoms personnels ou des expressions le désignant : « je », « me », puis utilisation première personne du pluriel par « dissimulons » puis utilisation « Monsieur Figaro » recherche de sa véritable personnalité, éloignement et prise de distance de sa situation actuelle.
• Cette tendance se traduit par la prise de décision et un désir exacerbé d’influence : « je veux[/i ]», maîtrise du « [i]programme » de la « Folle Journée », espérance de pouvoir sur les desseins des autres personnages (Bazile, Marceline, Le Comte et Suzanne)

II. Une scène d’exposition

a) Une présentation globale et chronologique de « La Folle Journée »

• Unité de temps respectée, puisque déroulement sur moins de 24 heures (une journée…) avec le début dans la chambre de Suzanne, le matin, fin la nuit, sous les marronniers.
• Figaro tentera de confondre le Comte et s’occuper du cas de « Bazile »: désir de « les enferrer l’un par l’autre ».
• Difficulté de parvenir à ses fins : « il doit faire attention sur la journée » car elle est courte : épisode riche en événements.

b) Des événements clefs pour la suite de la pièce

• Deux niveaux : le court et le long terme
-Sur le court terme : « avancer l’heure de son mariage » « pour épouser plus sûrement » et se jouer des stratagèmes du Comte et de Marcelline à son égard.
-Pour une échéance plus tardive : Suzanne étant  « un charmante fille, pleine de gaieté, d’amour et de délices » Figaro tient à la préserver: le pouvoir séducteur du Comte lui laisse somme toute envisager de désagréables perspectives

• Mise en place des principaux éléments qui constitueront par la suite les points repères de la pièce, et qui se réaliseront…

c) Les différentes vues sur les personnages

• Figaro a le rôle du voile subjectif laissant transparaître une image largement influencée des personnes qu’il côtoie: scène révélatrice de ses opinions
• Suzanne : nombreux adjectifs modalisateurs et laudatifs :  « verdissante », « gaie » et « pleine d’amour ».
• Le Comte : « Mon cher Monseigneur », dénomination à double sens : respect de Figaro pour son maître, mais surtout ironie et dévalorisation d’un titre moins que mérité : critique sociale.
• « Monsieur du Bazile » : à ne pas s’y tromper, propos empreint de mépris de dédain. Homme de mauvaise augure et de commune mesure.

III. Une critique sociale : opposition maîtres et valets

a) En tant que rivaux sexuels

• Suzanne accentue les tensions : Figaro cherche à se marier avec elle, Le Comte désire goûter à ses charmes féminins avant son valet
• « me crottant, m’échinant pour la gloire de votre famille ; vous, daignant concourir à l’accroissement de la mienne » : le point virgule symbolise la parfaite opposition des deux hommes, tant dans leurs fins que dans leur être. Il y a une fracture entre les deux parties
• Critique des fondements de la société par abus de pouvoir des nobles

b) Le réveil de Figaro, le réveil de toute une classe

• Figaro symbolise la classe roturière, soucieuse de reconnaissance et d’ascension sociale, désireuse d’enrichissement ( Figaro convoite un nombre important de dots) : il veut « empocher l’or et les présents ».
• Contestation du bras-droit, fidèle auparavant : désapprobation d’un pouvoir tyrannique et autocratiques imposé par les « Monseigneur ».
• Refus d’accorder la virginité de Suzanne : contestation à l’encontre des droits de la noblesse, abolition des privilèges

Conclusion

On a ici la création d’une dynamique (Figaro) qui cherche à renverser les forces en présence, c’est à dire le Comte. Donc deux forces s'opposent : d'un côté un valet malin, actif et rusé, et de l'autre un maître despote et peu scrupuleux.

Cette pièce est porteuse d’un changement d’époque, d’un changement de temps. Elle est réellement la manifestation écrite de la transformation de la pensée du XVIII siècle. Non content de réaliser la simple critique d’un maître, ce texte relativise et rend compte aux spectateur de l’image d’une société modifiée par un large mouvement de fond, où les acquis sociaux, les préjugés et les complexes des valets vis à vis de leurs maîtres tendent à disparaître.