La Fontaine, Les Fables - Les Obsèques de La Lionne

Fiche en deux parties.

Dernière mise à jour : 04/10/2021 • Proposé par: objectifbac (élève)

Texte étudié

La femme du Lion mourut :
Aussitôt chacun accourut
Pour s'acquitter envers le Prince
De certains compliments de consolation,
Qui sont surcroît d'affliction.
Il fit avertir sa Province
Que les obsèques se feraient
Un tel jour, en tel lieu ; ses Prévôts y seraient
Pour régler la cérémonie,
Et pour placer la compagnie.
Jugez si chacun s'y trouva.
Le Prince aux cris s'abandonna,
Et tout son antre en résonna.
Les Lions n'ont point d'autre temple.
On entendit à son exemple
Rugir en leurs patois Messieurs les Courtisans.
Je définis la cour un pays où les gens
Tristes, gais, prêts à tout, à tout indifférents,
Sont ce qu'il plaît au Prince, ou s'ils ne peuvent l'être,
Tâchent au moins de le parêtre,
Peuple caméléon, peuple singe du maître,
On dirait qu'un esprit anime mille corps ;
C'est bien là que les gens sont de simples ressorts.
Pour revenir à notre affaire
Le Cerf ne pleura point, comment eût-il pu faire ?
Cette mort le vengeait ; la Reine avait jadis
Etranglé sa femme et son fils.
Bref il ne pleura point. Un flatteur l'alla dire,
Et soutint qu'il l'avait vu rire.
La colère du Roi, comme dit Salomon,
Est terrible, et surtout celle du roi Lion :
Mais ce Cerf n'avait pas accoutumé de lire.
Le Monarque lui dit : Chétif hôte des bois
Tu ris, tu ne suis pas ces gémissantes voix.
Nous n'appliquerons point sur tes membres profanes
Nos sacrés ongles ; venez Loups,
Vengez la Reine, immolez tous
Ce traître à ses augustes mânes.
Le Cerf reprit alors : Sire, le temps de pleurs
Est passé ; la douleur est ici superflue.
Votre digne moitié couchée entre des fleurs,
Tout près d'ici m'est apparue ;
Et je l'ai d'abord reconnue.
Ami, m'a-t-elle dit, garde que ce convoi,
Quand je vais chez les Dieux, ne t'oblige à des larmes.
Aux Champs Elysiens j'ai goûté mille charmes,
Conversant avec ceux qui sont saints comme moi.
Laisse agir quelque temps le désespoir du Roi.
J'y prends plaisir. A peine on eut ouï la chose,
Qu'on se mit à crier : Miracle, apothéose !
Le Cerf eut un présent, bien loin d'être puni.
Amusez les Rois par des songes,
Flattez-les, payez-les d'agréables mensonges,
Quelque indignation dont leur coeur soit rempli,
Ils goberont l'appât, vous serez leur ami.

La Fontaine, Les Fables - Les Obsèques de La Lionne

Cette fable de La Fontaine décrit la cour, et possède comme caractéristique un corps et deux âmes. Il fait donc le bilan deux fois.

I. Les personnages

a) Le rapport de force entre le lion et le cerf

Le lion : Personnage emblématique qui représente le roi et la puissance. Il est peu caractérisé en tant qu’animal, puisque le champ lexical est peu présent.
- « rugir en leur patois » est même utilisé par les courtisans qui ne font qu’imité le roi, ce qui est dépréciatif pour eux.
- « nos sacrés ongles » plutôt que nos sacrées griffes.
- « femme du lion » plutôt que « femelle »
Ceci est du champ lexical de l’humain, ce qui illustre la personnification du lion.

Le cerf : Animal noble, puisque chassé à courre, qui est un privilège des nobles. C’est donc une valorisation pour ce personnage.
« chétif hôte des bois » = nobles de province.

Le lion est carnivore, le cerf herbivore. Le retournement de situation final est représenté par la victoire de l’herbivore. De plus, le lion devient poisson, car l’ « appât » l’a pris au piège. Le lion est donc tourné en ridicule.

b) Les loups et autres animaux, courtisans du roi

Les Loups : Ils sont montrés cruels, aux ordres du Roi. Ils représentent une police forte, personnifiés par le champ lexical humain.

Les animaux de références:
- Le « caméléon » est utilisé de façon dépréciative puisqu’il désigne la versatilité et l’opportunisme des courtisans.
- Le « singe » est le symbole du théâtre (celui qui fait des grimaces). Là aussi dépréciatif, puisque représentant le paraître.
La Fontaine fait une satire des courtisans en les représentant par des animaux symboliques.

c) Les animaux sont caractérisés par leur discours

Le lion possède un discours méprisant envers le cerf, utilisant un champ lexical dépréciatif (chétif, tutoiement). Le cerf n’est d’ailleurs pas assez digne pour que le lion le tue lui-même (antithèse entre « profane » et « sacrés ongles »). Il a une justice arbitraire. Le mot « traître » est hyperbolique.

Le cerf possède un respect mielleux pour le Roi (sire, votre digne moitié). Il fait de la reine une sainte et rapporte ses paroles sans s’impliquer. Il crée un au-delà idyllique en évoquant l’Antiquité. (les champs Elysiens, pour l’île des bienheureux ; les asphodèles étant des fleurs parfaites). Il fait référence à la mythologie grecque ce qui crédibilise son propos. Cf : Ulysse.

II. La satire

a) La satire explicite

Elle est contenue dans les âmes. La Fontaine emploie de l’ironie lorsqu’il dit :« messieurs les courtisans » alors qu’il les compare à des animaux, ce qui les critique. De plus, « triste/gais » est une antithèse, ainsi que « prêts à tout, à tout indifférents ». Ces deux figures de style symbolisent la critique de l’auteur : les courtisans n’ont pas de personnalité. L’antithèse entre être et "parêtre" souligne leur hypocrisie. Ce sont des pantins du roi sans intelligence, comme le montrent les termes « ressort » et « mille corps ». Ces pantins illustrent bien la pensée de La Fontaine : seul le roi pense, c’est l’esprit, les autres ne réfléchissent pas .

Dans la moralité, la satire se traduit pas le style injonctif. La Fontaine donne le mode d’emploi de la cour « amusez… payez… flattez », c’est à dire comment être un bon courtisan, ce qui est une critique des courtisans. On peut corrompre le roi par la flatterie : « payez-les … goberons » Le futur du verbe « serez » montre que cette formule marche tout le temps, car tous les rois (« ils ») sont corruptibles par des flatteries.

b) La satire implicite

L’étiquette ou le protocole est critiqué. « incontournable » montre l’absurdité de ces cérémonies tout organisées, où il faut pleurer le défunt de gré ou de force. La Fontaine critique la rigidité de ces lois : « avertir… un tel jour, un tel lieu… prévaut… deuil général ». Le deuil général est une application du protocole jusqu’à l’absurdité.

La Fontaine aborde le problème de la disgrâce « étranglé sa femme et son fils ». Les loups sont l’outil de la disgrâce. C’est du chantage : il faut choisir entre avoir la même opinion que le roi ou la disgrâce.

La Fontaine critique le culte de la personnalité par la religion : « miracle … apothéose » . Ces termes, qui rehaussent la reine et confirment que le roi est de droit divin, transforment la reine en sainte.

Conclusion

La Fontaine critique en donnant un paradoxe entre les deux morales. Il donne d’abord une critique puis le mode d’emploi des courtisans, car à cette époque, ceux qui ne sont pas des courtisans sont des opposants, ce qui présente un risque de mort. L’auteur s’identifie au cerf (il raconte n’importe quoi au roi et devient son ami). Celui qui écrit des histoires peut avoir comme protecteur le roi, qui cherche seulement à se distraire. C’est peut-être le rôle des poètes. Cette fable possède des côtés stéréotypés, des références connues : le lion symbolise le roi, représentation d’un rapport de force carnivore / herbivore. La Fontaine n’innove pas par les personnages, mais par l’histoire et sa signification.