Stendhal, Le Rouge et le Noir - Livre II, chapitre 41: Discours aux jurés

Commentaire entièrement rédigé en trois parties.

Dernière mise à jour : 28/06/2021 • Proposé par: roxanep (élève)

Texte étudié

« Messieurs les jurés,
« L'horreur du mépris, que je croyais pouvoir braver au moment de la mort, me fait prendre la parole. Messieurs, je n'ai point l'honneur d'appartenir à votre classe, vous voyez en moi un paysan qui s'est révolté contre la bassesse de sa fortune.
« Je ne vous demande aucune grâce, continua Julien en affermissant sa voix.
Je ne me fais point illusion, la mort m'attend : elle sera juste. J'ai pu attenter aux jours de la femme la plus digne de tous les respects, de tous les hommages. Mme de Rênal avait été pour moi comme une mère. Mon crime est atroce, et il fut prémédité. J'ai donc mérité la mort, messieurs les jurés. Quand je serais moins coupable, je vois des hommes qui, sans s'arrêter à ce que ma jeunesse peut mériter de pitié, voudront punir en moi et décourager à jamais cette classe de jeunes gens qui, nés dans une classe inférieure, et en quelque sorte opprimés par la pauvreté, ont le bonheur de se procurer une bonne éducation, et l'audace de se mêler à ce que l'orgueil des gens riches appelle la société.
« Voilà mon crime, messieurs, et il sera puni avec d'autant plus de sévérité, que, dans le fait, je ne suis point jugé par mes pairs. Je ne vois point sur les bancs des jurés quelque paysan enrichi, mais uniquement des bourgeois indignés... »
Pendant vingt minutes, Julien parla sur ce ton ; il dit tout ce qu'il avait sur le cœur ; l'avocat général, qui aspirait aux faveurs de l'aristocratie, bondissait sur son siège ; mais malgré le tour un peu abstrait que Julien avait donné à la discussion, toutes les femmes fondaient en larmes.

Stendhal, Le Rouge et le Noir - Livre II, chapitre 41

Grand auteur réaliste, Stendhal écrit en 1830 Le Rouge et le Noir, un roman contant l’histoire de Julien Sorel, un jeune fils de charpentier tentant de s’imposer dans la société malgré son appartenance à une classe sociale modeste. Après avoir tiré deux coups de fusils en pleine église sur Madame de Rênal, son premier grand amour, il est arrêté et jugé. Dans l’extrait étudié, Julien adresse un discours aux jurés. Comment cette page de roman donne-t-elle vie à cet épisode judiciaire ? Dans un premier temps nous verrons que c’est un épisode dramatique, puis que ce discours est étonnant et enfin, la mise en valeur du héros romantique.

I. Un épisode dramatique

Cet extrait du procès de Julien est un épisode dramatique. Tout d’abord, l’intérieur du roman est théâtralisé. Stendhal fait le choix du discours direct. Les paroles de Julien sont restituées entièrement, ce qui leur permet de conserver toute leur force. Il y a également une sorte de mise en scène de l’attitude ainsi que du ton comme le montrent les phrases « continua Julien en affermissant sa voix. », « Pendant vingt minutes, Julien parla sur ce ton ; il dit tout ce qu'il avait sur le cœur », « bondissait sur son siège ». D’une certaine manière, ces phrases de narration correspondent aux didascalies d’une pièce de théâtre.

De plus, la tension de l’action dramatique est très élevée. Tout d’abord, l’enjeu de ce procès est la mort comme le montre la triple répétition du mot « mort » : « L'horreur du mépris, que je croyais pouvoir braver au moment de la mort », « Je ne me fais point illusion, la mort m'attend », « J'ai donc mérité la mort ». En effet, le jeune Julien risque la condamnation à mort pour l’acte qu’il a commit. De plus, les réactions de l’assistance sont assez violentes. A travers les manifestations physiques, on peut déceler de l’indignation chez l’avocat général et de la pitié chez les femmes comme le montrent les phrases «l'avocat général, qui aspirait aux faveurs de l'aristocratie, bondissait sur son siège », « toutes les femmes fondaient en larmes ». L’expression « fondre en larmes » est une métaphore qui insiste sur l’émotion ressentie par ces femmes. Cet épisode est dramatique d’autant plus que le discours de Julien est assez étonnant.

II. Un discours étonnant

Le discours de l’accusé Julien est étonnant. Tout d’abord, celui-ci refuse catégoriquement de se défendre. Julien refuse d’être gracié par la justice comme le montre la phrase « Je ne vous demande aucune grâce ». Il plaide coupable en refusant même les circonstances atténuantes ainsi que le montre la phrase « la mort m'attend : elle sera juste. ». En plus, Julien va lui-même se reconnaitre des circonstances aggravantes. Il met en évidence que son crime est un matricide à travers la phrase « Mme de Rênal avait été pour moi comme une mère. ». Il va même jusqu’à avouer de lui-même la préméditation de son acte ainsi que le montre la phrase « Mon crime est atroce, et il fut prémédité ».

De plus, Julien accuse également la société. En effet, il passe du cas particulier, le sien, au cas général, celui de la société. Cette rupture est mise en évidence par la conjonction de coordination marquant l’opposition « mais » dans la phrase «Je ne vois point sur les bancs des jurés quelque paysan enrichi, mais uniquement des bourgeois indignés... ». Il dénonce une société conservatrice et hostile à l’ascension sociale ainsi que le montre la période « décourager à jamais cette classe de jeunes gens qui, nés dans une classe inférieure, et en quelque sorte opprimés par la pauvreté, ont le bonheur de se procurer une bonne éducation, et l'audace de se mêler à ce que l'orgueil des gens riches appelle la société. ». Celui-ci dénonce également une justice de classe. A travers les termes « bourgeois indignés », « sans s'arrêter à ce que ma jeunesse peut mériter de pitié », il critique la composition sociale des jurés qui sont incapables de prendre en compte les circonstances atténuantes de la jeunesse. A travers ce discours étonnant, c’est le héros qui est mis en valeur.

III. La mise en valeur du héros romantique

Dans cet extrait, le héros romantique est mis en valeur. Tout d’abord, Julien est un coupable attachant. Celui-ci est plein de talent. A travers son discours aux jurés, il démontre largement sa grande éloquence malgré son origine sociale. Il est également plein de courage face à la mort puisqu’il ne pleure pas. Bien qu’il ait ému aux larmes les femmes, celui-ci ne joue pas sur les sentiments. De plus, Julien est plein d’amour. En effet, il rend hommage à la femme qu’il a aimée à travers les superlatifs de la phrase « J'ai pu attenter aux jours de la femme la plus digne de tous les respects, de tous les hommages ».

En plus d’être attachant, Julien est également un héros seul face à une société qui l’opprime. Julien est jeune et se retrouve face à des adultes beaucoup plus âgés que lui. De plus, Julien est un jeune homme d’origine sociale humble face à des gens d’une classe supérieure ainsi que le suggère la phrase «Messieurs, je n'ai point l'honneur d'appartenir à votre classe, vous voyez en moi un paysan qui s'est révolté contre la bassesse de sa fortune. ». Julien est un accusé sans appui face à un avocat général qui incarne la société. C’est la focalisation omnisciente qui met en évidence ses aspirations aux faveurs de l’aristocratie comme le montre la phrase « l'avocat général, qui aspirait aux faveurs de l'aristocratie ». Face à ces jurés impitoyables, Julien n’est qu’un accusé sans ressource. Ce héros est toujours seul face à un groupe. Son seul soutient est les femmes fondant en larmes mais celles-ci sont dépourvues de pouvoir à cette époque.

Conclusion



Dans cette page de roman réaliste, le héros romantique Julien Sorel est grandement mis en valeur par son discours éloquent et étonnant. A travers cet épisode dramatique de son jugement, Stendhal nous offre une vision assez négative de la société et surtout de l’aristocratie à laquelle il reproche notamment son hostilité à l’ascension sociale.