Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves - P4: Déclarations

Fiche réalisée par un élève de 1ère S.

Dernière mise à jour : 17/01/2022 • Proposé par: Pinguin (élève)

Texte étudié

- Par vanité ou par goût, toutes les femmes souhaitent de vous attacher. Il y en a peu à qui vous ne plaisiez ; mon expérience me ferait croire qu'il n'y en a point à qui vous ne puissiez plaire. Je vous croirais toujours amoureux et aimé, et je ne me tromperais pas souvent. Dans cet état néanmoins, je n'aurais d'autre parti à prendre que celui de la souffrance ; je ne sais même si j'oserais me plaindre. On fait des reproches à un amant ; mais en fait-on à un mari, quand on n'a à lui reprocher que de n'avoir plus d'amour ? Quand je pourrais m'accoutumer à cette sorte de malheur, pourrais-je m'accoutumer à celui de croire voir toujours monsieur de Clèves vous accuser de sa mort, me reprocher de vous avoir aimé, de vous avoir épousé et me faire sentir la différence de son attachement au vôtre ? Il est impossible, continua-t-elle, de passer par-dessus des raisons si fortes : il faut que je demeure dans l'état où je suis, et dans les résolution que j'ai prises de n'en sortir jamais.
- Hé ! croyez-vous le pouvoir, Madame ? s'écria monsieur de Nemours. Pensez-vous que vos résolutions tiennent contre un homme qui vous adore, et qui est assez heureux pour vous plaire ? Il est plus difficile que vous ne pensez, Madame, de résister à ce qui nous plaît et à ce qui nous aime. Vous l'avez fait par une vertu austère, qui n'a presque point d'exemple ; mais cette vertu ne s'oppose plus à vos sentiments, et j'espère que vous les suivrez malgré vous.
- Je sais bien qu'il n'y a rien de plus difficile que ce que j'entreprends, répliqua madame de Clèves ; je me défie de mes forces au milieu de mes raisons. Ce que je crois devoir à la mémoire de monsieur de Clèves serait faible, s'il n'était soutenu par l'intérêt de mon repos ; et les raisons de mon repos ont besoin d'être soutenues de celles de mon devoir. Mais quoique je me défie de moi-même, je crois que je ne vaincrai jamais mes scrupules, et je n'espère pas aussi de surmonter l'inclination que j'ai pour vous. Elle me rendra malheureuse, et je me priverai de votre vue, quelque violence qu'il m'en coûte. Je vous conjure, par tout le pouvoir que j'ai sur vous, de ne chercher aucune occasion de me voir. Je suis dans un état qui me fait des crimes de tout ce qui pourrait être permis dans un autre temps, et la seule bienséance interdit tout commerce entre nous.

Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves - P4

Mme de La Fayette (1634-1693) est une femme instruite et cultivée. Elle tient un salon littéraire à Paris et fréquente la cour. Elle appartient au mouvement du classicisme, et est connue essentiellement pour son roman classique, La princesse de Clèves. D’abord publié en 1678 sans nom d’auteur, il fut ensuite attribué à Mme de La Fayette.

Ce roman peut cependant être considéré comme une œuvre collective. Mme de La Fayette a sans doute été inspirée par ses amis La Rochefoucauld et madame de Sévigné, ainsi que par Huet, un auteur théoricien sur l’origine des romans. Mais c’est Mme de La Fayette qui fut la principale architecte de cet ouvrage. L’action se déroule à la cour d’Henry II (XVIe siècle). C’est donc un roman historique, puisque écrit à la même époque. Il raconte l’histoire de la princesse de Clèves, une femme mariée tombée amoureuse du Duc de Nemours.

L’extrait étudié est situé à la fin du roman (tome 4). Mme de Clèves, devenue veuve, est libre de son engagement marital. Elle refuse cependant d’épouser le Duc, afin de rester fidèle à son mari. La princesse de Clèves est un exemple de vertu que souhaite donner Mme de La Fayette.

I. L'expression de l'amour du point de vue du Duc de Nemours

a) La déclaration d'amour

Le Duc expose ses sentiments à la troisième personne ("un homme qui vous adore", "résister à ce qui nous plaît"). Il crée ainsi une distanciation pour donner plus de poids à ses paroles.

C'est une abnégation courante au XVIIe siècle chez les personnes courtoises. ("Le moi est haïssable", Pascal). C'est une déclaration passionnée, renforcée par l'attitude du Duc de Nemours.

b) L'attitude du Duc, son invitation à l'aimer

Le Duc essaye d'abord de convaincre Madame de Clèves d'abandonner son engagement par la parole. Il l'interpelle grâce à un questionnement ("croyez-vous le pouvoir, madame?") pour l'amener aux conclusions qui sont les siennes.

Il utilise ensuite les gestes pour la persuader de l'aimer ("M. de Nemours se jeta à ses pieds et s'abandonna à tous les mouvements dont il était agité", "ses pleurs"). Ce sont des actes désespérés, qu'il utilise en dernier recours. Même s'ils touchent Mme de Clèves, ils ne suffisent par pour lui faire abandonner ses principes.

II. L'attitude de Madame de Clèves

a) Le devoir et la bienséance

La princesse de Clèves possède un sens de l'honneur qui l'empêche d'écouter ses sentiments. Son rang l'oblige à adopter une attitude vertueuse. Elle ne peut donc pas aimer le Duc de Nemours sans l'épouser, et ne peut pas l'épouser après la mort de son mari. Elle y est contrainte par une "vertu austère", qui ne parait cependant pas être invincible.

b) Un combat pathétique

Tout au long du texte, on peut voir que Mme de Clèves se bat contre ses sentiments. Elle aime le Duc de Nemours, mais ne peut se résoudre à l'épouser. Elle lui dit ne pas penser être assez forte pour lui résister, et lui demande donc de s'éloigner d'elle.

III. Deux points de vue face à l'amour et au bonheur

a) Le point de vue du Duc

M. de Nemours entend les arguments de la princesse, mais ne comprend pas qu'elle puisse l'aimer et refuser de l'épouser. Selon lui, elle devrait s'abandonner à ses sentiments, et profiter du bonheur de leur amour.

Pour le Duc, Mme de Clèves et sa source de bonheur ("vous seule vous opposez à mon bonheur").

b) Les arguments de la princesse de Clèves

Par bienséance, Mme de Clèves ne souhaite pas débuter une histoire d'amour sur la mort de son mari. Même si elle aime le Duc, elle doit, à la fois pour son "repos" (sa tranquillité) et pour le souvenir de son mari, résister aux avances du Duc.

Ce dernier ne la laissant pas indifférente, elle décide de s'éloigner de lui.

Conclusion

Cette scène est une scène d’adieu et de tragédie. Deux personnages s’aiment mais ne peuvent pas s’épouser. C’est un conflit d’arguments causé par des points de vue différents.

La beauté de ce texte est traduite dans les déclarations d’amour des deux protagonistes, qui sont exprimées en termes très simples, mais très profonds. Cette scène de roman est très proche d’une scène de théâtre.