Notre société contemporaine a vu se développer en quelques décennies de considérables progrès technologiques, mais elle a aussi constaté le maintien voire la résurgence de croyances anciennes qu’on pensait dépassées. Alors comment se fait-il que la croyance n’est pas anéantie par les attaques de la raison. En un sens, si l’on juge que la croyance est irrationnelle, le travail du raisonnement consiste à combattre toutes croyances qui s’opposent à la raison. A condition, que la croyance et la raison se placent sur le même terrain. La croyance et le raisonnement sont-elles donc deux valeurs totalement antagonistes? N’occupent-elles pas plutôt des places différentes et complémentaires ? Le raisonnement peut-il espérer combattre efficacement la croyance ? Et celle-ci n’est elle pas une valeur intrinsèque à l’Homme ? L’Homme, même s’il raisonne, peut-il se passer de croire ?
Dans un premier temps, nous verrons si le raisonnement et la croyance sont vraiment deux valeurs antagonistes, puis nous montrerons que le raisonnement peut combattre la croyance, mais que c’est un combat perdu d’avance.
Le raisonnement est un enchaînement intentionnel de propositions qui sont liées entre elles par des procédés logiques. Il vise à établir une démonstration qui aboutit à une conclusion.
L’objet propre de la logique est donc d’établir les conditions du raisonnement démonstratif. Elle fournit les règles en vertu desquelles l’Homme peut raisonner correctement et éviter les raisonnements qui n’ont que l’apparence de la validité. En ce sens, la logique est purement formelle : elle ne s’occupe pas de la vérité matérielle des propositions, mais seulement de la validité du raisonnement qui les enchaîne et qui rend la conclusion nécessaire. Ce n’est pas parce qu’un raisonnement porte sur des propositions vraies que ce raisonnement est correct ; et ce n’est pas parce que ce raisonnement est correct qu’il énonce des vérités. Le raisonnement se veut, par principe, indépendant des sentiments, des émotions..., il est donc censé être objectif, ce qui ne l’empêche pas de conduire l’Homme à une conclusion qui peut être juste, fausse ou tout simplement plausible.
En effet, la citation de Pierre Dac : « Quand on voit ce qu'on voit, que l'on entend ce qu'on entend et que l'on sait ce que qu'on sait, on a raison de penser ce qu'on pense.» nous rappelle que le raisonnement, basé sur l’observation, au moyen des sens, peut être illusoire. Ceci est illustré par Platon, dans le mythe de la Caverne, livre VII de la République (par exemple, avec le bâton tordu).
De plus, l’Homme fait appel au raisonnement dans tous types de circonstances et de domaines, le raisonnement n’est pas, comme on pourrait le penser à tort, seulement utilisé dans le domaine scientifique. Chaque Homme se devrait de raisonner, individuellement, sans aucune influence extérieure, pour se forger sa propre opinion. C’est ce que rappelait Albert Einstein dans Comment je vois le monde (en 1934), lorsqu’il écrivait : « Que chacun raisonne en son âme et conscience, qu'il se fasse une idée fondée sur ses propres lectures et non d'après les racontars des autres. ». Raisonner demande une certaine expérience et maturité, c’est un acte que l’Homme érudit tend à améliorer tout au long de sa vie, comme le rappelle Emile-Auguste Chartier dans Idées, Etude sur Descartes en écrivant : « Un sage se distingue des autres hommes, non par moins de folie, mais par plus de raison. »
Maintenant que nous savons ce qu’est le raisonnement, nous allons nous atteler à définir la notion de croyance.
La croyance c’est l’ensemble des choses qui provoquent mon assentiment parce qu’elles correspondent à ce que je suis. Les croyances portent sur tout ce que les hommes sont enclins à penser compte tenu du fait qu’ils sont hommes (comme l’instinct maternel, la liberté...). C’est ce qu’affirmait Spinoza quand il écrivait : «On croit facilement ce que l’on espère». Les croyances reposent sur le fonctionnement de la volonté dans le miroir de la conscience. L’Homme par sa conscience se convainc par exemple qu’il est libre, il se croit libre. Descartes écrit, dans les Méditations métaphysiques : « je pense, donc je suis » d’où on peut extrapoler le fait que l’Homme se croit et donc déduit qu’il est. La croyance est donc étroitement liée à la notion d’illusion.
La croyance reste tout de même très complexe à définir.
La croyance désigne une notion qui ne résulte pas uniquement d’un raisonnement. Les croyances sont des créations humaines. Elles concernent des valeurs et non pas des biens matériels (on ne croit pas en une lampe, mais on peut croire au paradis, à l’immortalité de l’âme...).
Les croyances ont pour théâtre d’action ce qu’on pourrait nommer : la subjectivité affective.
La croyance est donc ancrée au plus profond de chaque Homme, et elle est ce que Rousseau nommait « le sentiment intérieur ».
La croyance comporte les mythes et les religions, qui sont d’autant plus efficaces qu’elles ne reposent sur aucun fait logique.
Croire a de multiples fonctions : rassurer, créer des liens avec le passé, expliqué l’inexplicable ...
La croyance peut aussi, plus simplement, désigner l’opinion, qui peut être fondée sur une simple probabilité, c’est ce qu’on retrouve dans les formulations de Mme de Sévigné : « Je ne croyais pas que tout fût perdu » et de Pascal : « Deux sortes d’hommes : les justes qui se croient pécheurs, et les pécheurs qui se croient justes ».Toute certitude qui ne repose pas que sur un raisonnement fait partie des croyances.
Plus péjorativement, les croyances peuvent même, dans certains cas, conduire les hommes à la superstition, aux préjugés...
Le raisonnement fondé sur la logique paraît être « une thèse plus soutenable » que la croyance et il veut donc la combattre.
La croyance a souvent pour origine le manque de réponse apporté par le raisonnement. L’Homme comble le vide : lorsqu’il ne sait pas expliquer un évènement, un acte rationnellement... par une croyance.
Lorsqu’on étudie les croyances d’une société, on apprend beaucoup sur celle-ci. Les croyances sont en effet représentatives des hommes qui croient en elles et donc de la société.
Quand on remonte aux premières croyances, celles créent avant la religion, on observe que ces croyances sont en fait des mythes. Ce qui implique des personnages merveilleux, tels que des dieux, des animaux chimériques ou savants, des hommes bêtes, des anges, ou des démons, et l'existence d'un autre monde... Les mythes racontent comment un état de choses est devenu un autre, comment un désert est devenu un monde habité, comment le chaos est devenu cosmos, comment les immortels sont devenus mortels, comment de l’unité originelle de l’humanité est sortie une pluralité de tribus et de nations. Bref, les mythes ne racontent pas seulement la genèse du cosmos et de l’univers, mais aussi la création des parties de l’univers comme telle île, tel pays, telle plante, tel comportement humain, telle institution sociale...
Les mythes sont des histoires écrites par les hommes, pour les hommes. Les sociétés, même très différentes et sans contacts culturels, présentent des mythes qui utilisent les mêmes archétypes. De plus, les mythes ont un lien direct avec la structure religieuse et sociale du peuple. En effet, les hommes naissent ignorants des causes des choses. Ils croient que tout ce qui existe en tant qu’accompli relève d’un but, c’est-à-dire rempli une fonction. Ce qui conduit les hommes à croire aux causes finales : tous les hommes croient, ont crus ou croiront à l’existence des causes finales.
Les racines de la croyance sont donc multiples et difficiles à définir. A partir du XIXe siècle, on a expliqué les croyances tour à tour par l’émerveillement ou la crainte des hommes devant les puissances de la nature, par l’angoisse face à la mort, l’espoir en un monde meilleur, la consolation par rapport aux souffrances de la vie...
Les « tenants de la raison » ont toujours essayé et essaient toujours de combattre les croyances en détruisant leurs racines.
Depuis fort longtemps, certains érudits essaient de lutter contre la croyance (pas forcement pour l’anéantir mais au moins pour faire diminuer son ampleur dans la société), au moyen de raisonnements logiques voire scientifiques. En effet les « tenants de la raison » voulaient être libres d’énoncer leurs avis, même s’ils étaient contraires aux croyances populaires de l’époque. Depuis toujours l’Homme essaie d’expliquer ce qui l’entoure, il se heurte alors aux croyances qu’on instauré ses ancêtres. En effet, l’Homme avec les connaissances qu’il dispose dans son milieu de vie tend à expliquer tous les évènements qui se produisent autour de lui, lorsqu’il n’y arrive pas il a tendance à les éclaircir grâce aux mythes, à la puissance divine ou à toutes sortes de croyance. Mais les descendants de ces hommes disposent de plus de connaissances que leurs ancêtres, et peuvent donc interpréter certains éléments que ne pouvaient pas expliquer leurs ancêtres. Avec le temps, il apparaît quelquefois « un désaccord au niveau des croyances » entre les différentes générations.
Prenons par exemple le cas des croyances religieuses. Les rapports entre la philosophie et la religion ont toujours été complexes. Dès le Moyen-âge, certains philosophes théologiens (Anselme de Canterbury, Thomas d’Aquin...) ont affirmé le principe d’une collaboration entre la foi et la raison en cherchant à mettre la philosophie « au service de la théologie ». Mais il reste que du point de vue religieux, c’est incontestablement sur la faiblesse de la raison que se fonde la nécessité de la foi. Les religieux peuvent ainsi voir un risque de profanation dans la prétention de la philosophie à discourir sur Dieu, sur l’origine du monde ou sur l’âme, qui relèvent des mystères de la révélation. Inversement, la philosophie a eu à secouer son joug que les siècles religieux du Moyen-âge ont fait peser sur elle, et à revendiquer son autonomie, c'est-à-dire le droit de la raison à réfléchir librement, sans être limitée par les dogmes religieux. C’est ce qui explique la finalité de la lutte des tenants de la raison contre la croyance.
Tout de même, les tenants de la raison avaient au moins une croyance en commun : ils croyaient en la raison.
La croyance peut être combattue par le raisonnement, mais ne peut pas être anéantie.
La croyance est depuis toujours présente dans la société humaine. En effet la croyance répond à un besoin qui semble s’ancrer profondément dans l’individu. Pascal va même jusqu’à exposer le fait que la croyance fait partie intégrante de l’Homme et lui est vitale : « Nier, croire et douter sont à l’Homme ce que courir est au cheval. »(259). C’est l’idée que reprenait Paulo Coelho dans l’Alchimiste, lorsqu’il écrivait : « On aime parce qu'on aime. Il n'y a aucune raison pour aimer. » Ce qui signifie ici, que l’Homme tend naturellement vers l’amour qui est une notion subjective (domaine émotionnel) alors que raisonnablement, il n’y a aucun fondement d’un tel agissement.
En effet, la croyance a souvent été, comme dit auparavant, un moyen pour les hommes d’expliquer l’inexplicable de leur époque. C’est aussi un moyen pour les hommes de se rassurer et de donner un sens à leur existence, pour se projeter dans leur avenir...
Toutes les civilisations ont par exemple un mythe de la genèse. Il leur permet de se donner un lien avec le passé, de s’ancrer dans le monde. Les hommes créent les mythes auxquels ils croient. L’Homme est un élément du tout, et il a absolument besoin pour évoluer et s’épanouir de créer des liens entre lui et ce qui l’entoure.
Marx écrivait, dans Critique de la philosophie du droit de Hegel que la religion était « l’opium du peuple », ce qui symbolise bien l’état de dépendance des hommes face à certaines de leurs croyances.
Mais, même si elles sont essentielles à l’Homme les croyances ne sont pas forcement bénéfiques, et c’est ce que dépeins Marx dans sa citation.
La croyance est un besoin essentiel de l’Homme qui dépasse le niveau de la raison.
La croyance peut être capable de résister aux tentatives de destruction dont elle peut être l’objet, pour deux raisons : Tout d’abord, perdre ses croyances, cela oblige l’Homme a une remise en cause radicale de lui-même, par conséquent tout Homme « s’accroche » à ses croyances, peut importe les raisonnements qui vont à l’encontre de celles-ci.
Ensuite, chaque Homme attache une importance extrême au fait de ne relever que de lui même. Ce qui signifie qu’il « s’oppose » aux raisonnements (du moins se référant à ses croyances), car il a l’impression que les personnes qui exposent ces raisonnements cherchent à lui imposer une façon de réfléchir, ce qui le limite en quelques sortes dans sa liberté (ici, libertés d’opinion, de pensée, d’expression...). Il finit donc le plus souvent par refuser ces raisonnements.
De plus, Kant écrivait : « Toute croyance est un assentiment subjectivement suffisant mais objectivement insuffisant pour la conscience.» Ce qui défend l’idée que la croyance provoque chez celui qui croit une adhésion perçue comme suffisante par celui qui croit. Celui qui croit de manière spontanée adhère suffisamment à ce qu’il croit pour ne ressentir ni inquiétude, ni embarras. Rousseau défendait aussi cette idée « un raisonnement a beau me prouver que je ne suis pas libre, le sentiment intérieur, plus fort que tous ces arguments, les dément sans cesse », aucun évènement ne peut altérer, modifier la croyance humaine. Brochard écrivait même : « La croyance est un genre dont la certitude est une espèce. »
Aussi, la croyance « dispose » d’une force immense. Elle est telle que le vrai (ce qui suppose ici un raisonnement juste) n’est pas assuré de l’emporter face à la croyance. C’est l’impact de l’idée qui est essentielle, et non son contenu de vérité.
C’est ce qu’on retrouve à un niveau très élevé dans la religion, et surtout la foi. Comme son étymologie l’indique (du latin fides), la foi est « confiance » : le fidèle (littéralement celui qui a la foi) s’en remet a Dieu parce qu’il se sait borné, fini et que Dieu est puissance infinie. La foi est alors une conviction qui engage tout l’individu, une adhésion totale à ce qui reste pour lui un mystère indéchiffrable.
Se pose alors le problème des rapports entre la foi et la raison c’est-à-dire entre la religion et la philosophie. L’acte de foi a rapport à des vérités jugées essentielles, mais mystérieuses, situées au-delà de ce que la raison peut saisir, et qui sont l’objet d’une révélation, et non d’une compréhension. C’est ce qu’appelait Pascal, pour les distinguer des vérités de raison, des « vérités de coeur ».
Une croyance peut être anéantie par un raisonnement mais personne ne peut anéantir la croyance car celle-ci, telle une hydre, pour chaque tête coupée en génère plusieurs autres.
Le raisonnement et la croyance semblent être deux notions totalement antagonistes. En réalité elles occupent des places complémentaires. La croyance comble les vides laissés par le raisonnement. De plus, le raisonnement est basé sur l’objectivité et la logique ; alors que la croyance est fondée sur le subjectif, l’émotionnel... Le raisonnement peut tout de même combattre, ou du moins essayer de combattre la croyance. Mais ce combat est perdu d’avance, tant la force de la croyance est immense. La croyance n’est à aucun moment inquiétée par le raisonnement, car la croyance dépasse le niveau de la raison. Même il est vrai que, ponctuellement, une croyance peut être anéantie par un raisonnement, mais cette croyance finira par ressurgir, sous une autre forme, tôt ou tard. Chaque civilisation a ses propres croyances (représentatives de sa société...). On pourrait alors se demander comment se fait-il que toutes ces croyances sont en fait très semblables et se rejoignent. N’y aurait-il pas alors un nombre fini de croyances ?