Rousseau, Julie ou la Nouvelle Héloïse : «Malheur à qui n'a plus rien à désirer !»

Note obtenue : 15/20. Corrigé complet avec rectifications après observations du professeur. Longueur => 5 pages environ.

Dernière mise à jour : • Proposé par: colas208 (élève)

Texte étudié

Malheur à qui n'a plus rien à désirer ! Il perd pour ainsi dire tout ce qu'il possède. On jouit moins de ce qu'on obtient que de ce qu'on espère, et l'on n'est heureux qu'avant d'être heureux. En effet, l'homme avide et borné, fait pour tout vouloir et peu obtenir, a reçu du ciel une force consolante qui rapproche de lui tout ce qu'il désire, qui le soumet à son imagination, qui le lui rend présent et sensible, qui le lui livre en quelque sorte, et pour lui rendre cette imaginaire propriété plus douce, le modifie au gré de sa passion. Mais tout ce prestige disparaît devant l'objet même ; rien n'embellit plus cet objet aux yeux du possesseur ; on ne se figure point ce qu'on voit ; l'imagination ne pare plus rien de ce qu'on possède, l'illusion cesse où commence la jouissance. Le pays des chimères est en ce monde le seul digne d'être habité, et tel est le néant des choses humaines, qu'hors l'Être existant par lui-même, il n'y a rien de beau que ce qui n'est pas.

Rousseau, Julie ou la Nouvelle Héloïse

Qui n’a jamais condamné le désir ? Dans nos sociétés occidentales, le désir est synonyme de manque, de souffrance et par la soumission qu’il inflige, témoigne de la finitude humaine ; le malheur viendrait de l’insatisfaction de nos désirs. Or, le désir étant par définition illimité, il est aisé de concevoir que celui-ci ne disparaît jamais vraiment : à peine est-il satisfait que notre désir est de nouveau attiré par un nouvel objet. C’est la raison pour laquelle on associe généralement le désir au malheur et à la souffrance. Mais, dans ce texte, la nouvelle Héloïse, Jean-Jacques Rousseau nous montre à travers le personnage d’Héloïse que le malheur ne vient précisément pas de nos désirs mais de leur absence, car selon lui, le bonheur vient de ce que l’on espère !
On proposera une explication linéaire du texte en décomposant son développement en trois parties. On verra ainsi dans un premier temps (jusqu’à la l. 9) quelle est la thèse soutenue par Rousseau et que pour lui, le travail de l’imagination nourrit l’illusion et enrichit le plaisir. Dans un second temps (jusqu'à la l. 13), on étudiera le fait que l’embellissement illusoire de l’objet désiré s’éteint avec l’obtention de celui-ci. Enfin, dans un dernier temps, l’auteur prétend que ce n’est pas le réel qui rend heureux, mais l’imaginaire, considération que nous pourrons discuter.

« Malheur à qui n’a plus rien à désirer ! ». La première phrase du texte de Rousseau s’apparente fort à un proverbe, semble posséder une valeur didactique, comme une sorte de mise en garde. Mais cette phrase semble aller contre l’idée reçue que l’on se fait généralement du désir. En effet, le désir est ordinairement perçu comme une période plutôt désagréable, un moment de doute ; n’ayant pas encore obtenu l’objet de son désir, on est au moins dans l’expectative du « promis » bonheur. Or contre toute attente, Rousseau dans cette phrase établit le malheur dans l’absence du désir. Autrement dit, le bonheur se situerait non pas dans l’obtention de l’objet du désir mais dans le désir lui-même. Le paradoxe grandit puisqu’il ajoute qu’avec l’obtention de l’objet du désir, « il perd pour ainsi dire tout ce qu’il possède » : l’obtention est donc synonyme de perte… Pourtant il semblait logique que l’absence de désir qui est impliquée par l’obtention immédiate de l’objet désiré soulage l’homme de tout doute d’obtention et ainsi, le libère du malheur qui en découle. De plus, dans la phrase suivante, Rousseau fait dire à Héloïse que

Accédez à la suite de ce contenu
Obtenez un accès immédiat à tous nos contenus premium.