Abbé Prévost, Manon Lescaut : L'enterrement de Manon (2)

C'est l'analyse linéaire corrigée par ma professeure de français

Dernière mise à jour : • Proposé par: inslgrc (élève)

Texte étudié

Je demeurai plus de vingt-quatre heures la bouche attachée sur le visage et sur les mains de ma chère Manon. Mon dessein était d’y mourir ; mais je fis réflexion, au commencement du second jour, que son corps serait exposé, après mon trépas, à devenir la pâture des bêtes sauvages. Je formai la résolution de l’enterrer, et d’attendre la mort sur sa fosse. J’étais déjà si proche de ma fin, par l’affaiblissement que le jeûne et la douleur m’avaient causé, que j’eus besoin de quantité d’efforts pour me tenir debout. Je fus obligé de recourir aux liqueurs fortes que j’avais apportées ; elles me rendirent autant de force qu’il en fallait pour le triste office que j’allais exécuter. Il ne m’était pas difficile d’ouvrir la terre dans le lieu où je me trouvais ; c’était une campagne couverte de sable. Je rompis mon épée pour m’en servir à creuser, mais j’en tirai moins de secours que de mes mains. J’ouvris une large fosse ; j’y plaçai l’idole de mon cœur, après avoir pris soin de l’envelopper de tous mes habits pour empêcher le sable de la toucher. Je ne la mis dans cet état qu’après l’avoir embrassée mille fois avec toute l’ardeur du plus parfait amour. Je m’assis encore près d’elle ; je la considérai longtemps ; je ne pouvais me résoudre à fermer sa fosse. Enfin, mes forces recommençant à s’affaiblir, et craignant d’en manquer tout à fait avant la fin de mon entreprise, j’ensevelis pour toujours dans le sein de la terre ce qu’elle avait porté de plus parfait et de plus aimable. Je me couchai ensuite sur la fosse, le visage tourné vers le sable ; et, fermant les yeux avec le dessein de ne les ouvrir jamais, j’invoquai le secours du ciel, et j’attendis la mort avec impatience.

Abbé Prévost, Manon Lescaut

Antoine François Prévost d’Exiles, nommé l'Abbé Prévost, est né en 1697 dans une famille noble et suit une éducation jésuite. Il mène une vie sous l'habit d'un religieux, mais qu'il quitte régulièrement pour les voyages, la littérature et les salons. Il meurt en 1763, écrasé par les dettes. Il est notamment l’auteur des Aventures et Mémoires d’un homme de qualité, ensemble de romans dont Manon Lescaut est le septième et dernier volume.

Manon Lescaut, raconte l’histoire d’amour et les aventures de Manon Lescaut et de Des Grieux, entraînés dans une marginalisation et une déchéance progressives. Le passage étudié se situe à la fin du roman, alors que Manon a été déportée en Louisiane et que Des Grieux l’a suivi, et qu'ils sont contraints de fuir la ville où ils s’étaient établis. C’est lors de cette fuite dans le désert que Manon voit ses dernières forces la quitter et qu’elle meurt dans les bras de Des Grieux.

Nous nous demanderons comment le récit douloureux de Des Grieux sublime la mort de Manon.

I. De la prostration à la résolution

a) L’impossibilité de la séparation (de « Je demeurai » à « ma chère Manon »)

Des Grieux ne peut se résoudre à la séparation. Le verbe d'état « Je demeurai », placé en début de phrase, traduit son immobilité, sa prostration. Le lexique du corps, renvoyant aussi bien à Des Grieux (« bouche ») qu'à Manon (« visage », « mains »), et le participe passé « attachée » signalent le lien indéfectible qui unit les amants.

Il offre ainsi à ses auditeurs un tableau pathétique qui s'inscrit dans la durée, comme le suggère l'indicateur de temps associé à un comparatif de supériorité « plus de vingt-quatre heures ». La perception du temps est ainsi bouleversée par l'émotion. On notera également l'évocation laudative de l'aimée, exprimant un sentiment d'appartenance (« ma chère Manon »). Des Grieux veut ainsi retenir l'objet de son amour par-delà la mort.

b) Le retour à la réalité (de « Mon dessein » à « sa fosse »)

Des Grieux sature ses propos d'expressions qui renvoient à sa fin prochaine à laquelle il ne peut échapper : « mourir » / « mort », « trépas », « fosse ». Cet horizon fatal paraît d'autant plus certain qu'il est désiré : « Mon dessein », « Je formai la résolution ». Par son récit qui adopte un style élevé (« trépas »), il se pose en héros tragique q

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