Bergson, La Pensée et le Mouvant: L’origine des mots (2)

L'explication de texte, rédigée par l'élève.

Dernière mise à jour : 06/05/2023 • Proposé par: torset (élève)

Texte étudié

Quelle est la fonction primitive du langage ? C’est d’établir une communication en vue d’une coopération. Le langage transmet des ordres ou des avertissements. Il prescrit ou il décrit. Dans le premier cas, c’est l’appel à l’action immédiate ; dans le second, c’est le signalement de la chose ou de quelqu’une de ses propriétés, en vue de l’action future. Mais, dans un cas comme dans l’autre, la fonction est industrielle, commerciale, militaire, toujours sociale. Les choses que le langage décrit ont été découpées dans le réel par la perception humaine en vue du travail humain. Les propriétés qu’il signale sont les appels de la chose à une activité humaine. Le mot sera donc le même, comme nous le disions, quand la démarche suggérée sera la même, et notre esprit attribuera à des choses diverses la même propriété, se les représentera de la même manière, les groupera enfin sous la même idée, partout où la suggestion du même parti à trier, de la même action à faire, suscitera le même mot. Telles sont les origines du mot et de l’idée. L’un et l’autre ont sans doute évolué. Ils ne sont plus aussi grossièrement utilitaires. Ils restent utilitaires cependant.

Bergson, La Pensée et le Mouvant

« Les êtres humains sont les seules espèces qui ont un langage, ce qui nous rend uniques parmi tous les animaux », dit Maggie Tallerman, professeur de linguistique à l'Université de Newcastle. Chaque jour, nous utilisons le langage pour communiquer avec nos semblables, pour échanger des informations, donner des ordres, partager une expérience. Cette capacité à converser est considérée comme l'un des changements majeurs de notre évolution et pour cette raison, les gens sont depuis longtemps fascinés par les origines de la langue.

Ce texte extrait de La Pensée et le Mouvant, « de la position des problèmes » de Bergson a pour thème le langage. Le philosophe, à travers ces lignes, cherche à comprendre l’origine du langage, à montrer que les mots ont avant tout une fonction sociale, qu’ ils servent à faciliter la vie en société. Il s’interroge aussi sur le rapport qu’entretient le langage à la réalité. En effet, les mots transmettent-ils la la réalité des choses ou ne sont-ils une construction collective, conventionnelle, qui permettent à aux hommes de se comprendre ? Il conclut en montrant que les mots étant conventionnels, ils sont peu aptes à décrire les singularités et nous enferment dans des schémas de pensée qui ne permettent pas de nous adapter à ce monde en perpétuel mouvement.

I. La communication, fonction primitive du langage

Par convention, le langage désigne tout un système de signes et de règles permettant la communication et l’expression, c’est une invention partagée par une collectivité. Dans sa première phrase, Bergson s’interroge sur la fonction primitive du langage. Si le mot primitif peut évoquer l’origine de la création du langage, rapidement la suite du texte nous montre que par primitif, il entend plus rechercher ce qui fonde le langage.

Ainsi en parlant de fonction primitive, Bergson ne se questionne pas simplement sur la fonction du langage, mais aussi son essence. Pour lui, la fonction primitive du langage est de permettre à l’homme de communiquer avec ses semblables (le mot « communication » vient d’ailleurs du latin communicare « mettre en commun, communiquer » ). Il permet avant tout la communication en vue de l'action. En effet, Bergson soutient la thèse que le langage est né de la nécessité qu’à l’homme à vivre avec ces semblables, à agir ensemble. Le langage peut s'apparenter à un « outil » dont l’objectif est de faciliter la vie en société. L'homme, n'étant pas bien adapté à la nature qui l'environne, conscient de sa faiblesse physique, a du s'adapter pour survivre, s’allier avec ses semblables, chercher des solutions communes et donc communiquer. Parler est donc une fonction liée à la vie en société. Les premiers humains ont du commencé à coopérer - et à parler davantage - afin d'exploiter leur environnement. Le groupe permettait d’accéder à la nourriture, il en allait de la survie de l’individu d’être capable de trouver une stratégie commune pour chasser une grosse proie. Pour y parvenir, il a fallu coopérer, ce fut le début de la communication.

Bergson défend l’idée que, de l’invention de la première lance à la production d’armes sophistiquées, la fonction du langage a et est toujours lié à l’action commune au sein d’une société. La langue par essence sert à la communication : c’est un outil social (cf ligne 5 du texte ou 13). Cependant nous pouvons nous interroger sur le fait que le langage n’ait comme unique fonction l’utilité? N’est-il là que pour nous permettre de nous transmettre des informations ? Il semble en effet qu’ au-delà de la transmission d’ informations objectives, le langage ait d'autres fins comme exprimer des émotions, des sentiments ou des désirs. Le langage peut aussi avoir une dimension poétique où la forme compte autant voire plus que le fond. Dans cet extrait, le philosophe affirme donc que « la fonction du langage est toujours sociale », puis il montre comment le langage est une construction collective d’une société.

II. Les mots sont une construction collective

Bergson défend la thèse que le mot n’est pas la réalité, mais une construction collective qui reprend les caractéristiques générales du mot évoqué et qui permet à chacun de s’en faire une représentation. Pour Bergson, le langage nous permet de communiquer avec nos semblables au moyen de signes, mais nous éloigne du réel, car lié à des besoins sociaux, il est construit sur des représentations collectives qui s'écarte de la réalité du monde. Les mots font sens dans la mesure où les hommes qui les utilisent ont la même représentation de ce mot. Ainsi pouvons-nous comprendre l’autre quand il nous parle d’un « lit », car nous possédons comme lui une représentation mentale basée sur des caractéristiques communes de ce qu’est un lit. Sans doute sa représentation du mot « lit » n’est pas tout à fait la même pour lui que pour moi, mais nous comprenons bien qu’il parle d’un objet nous permettant de dormir. Le rôle des adjectifs, des compléments du nom dans une phrase est de tenter de réduire le plus possible l’écart entre sa vision du mot « lit » et la mienne. En effet le langage est conventionnel, de sorte que le mot ne pourra jamais correspondre à la réalité individuelle de chacun.

Les mots sont trop vagues pour décrire la réalité dans sa multitude, ils ne désignent que ce qui est commun et ignorent les différences individuelles. C’est pour cela que le langage n’est pas fait pour dire les singularités. Le langage est aussi culturel est appartient à une société.Il est intéressant de noter que le mot « lit » ne n’évoquerait rien pour des peuples qui dormiraient sur des nattes ou des peaux d’ours. Le choix de ces caractéristiques est bien l’œuvre d’une communauté qui en les sélectionnant affirme ses besoins, ses valeurs, sa vision du monde. C’est en cela que l’on peut dire que le langage est aussi d’origine sociale. Les anthropologues E. Sapir et B. L. Whorf ont montré que des langues différentes entraînent des conceptions ou des perceptions du monde différentes : des peuples qui n'ont qu'un seul mot pour désigner l'ensemble des nuances qui vont du bleu au vert n'auront pas exactement la même perception du monde que nous, pour qui un objet « bleu » est absolument différent d'un objet « vert ». D’une manière générale, on peut donc dire que le langage est  culturel, conventionnel et arbitraire et du fait même de ces caractéristiques n'est-il pas un obstacle, une prison pour notre pensée ?

III. La limite des mots

Bergson dans une dernière partie, nous montre que le langage même s’il s’enrichit de nouveaux concepts par exemple apportés par la science, n’en demeure pas moins prisonnier des images conventionnelles qu’il véhicule. Il ne s’adapte que mal au monde qui sans cesse évolue et se transforme. Face au changement, nos mots sont figés. Jorge Luis Borges écrivait « Je ne sais pas si le un écrivain peut être un révolutionnaire. Après tout, il se sert du langage, qui est une tradition » . Comme le langage est impuissant à représenter la vérité des choses, nous sommes condamnés à penser et communiquer avec mots qui expriment des généralités et qui caricaturent la réalité. Les mots sont peu aptes à exprimer la nouveauté, la particularité et s’ils donnent parfois le sentiment de s’actualiser, ils le font toujours en faisant sans cesse référence à ceux du passé. Cette fonction sociale du langage et le fait qu’il soit conventionnel emprisonne notre pensée.

En effet, nous pensons avec des mots et ceux-ci n’étant qu’un pâle reflet de la réalité (extérieure et intérieure), une simplification du réel, nous demeurons prisonniers de leur généralité et nous n’accédons pas à la complexité, à la singularité du monde et de ses perpétuels changements. Nos formes de communication évoluent et se développent, comme le montre l'incorporation des émoticônes et des emojis notre langage « écrit », permettant de transmettre plus facilement nos émotions ou nos idées lorsque nous envoyons des messages textuels. Comme tout langage, les émoticônes et les émojis ont leurs codes qui doivent être communs aux utilisateurs. Nous pouvons néanmoins nous demander si à l’instar des mots, cette forme de langage est une évolution positive de notre communication, où il ne constitue pas une prison encore plus restreinte à notre pensée.

Conclusion

Bergson à travers cet extrait, après avoir montré la fonction éminemment sociale du langage, et analysé comment celui-ci étant purement conventionnelle, il pouvait dans un même temps constituer un obstacle au développement de notre pensée.